Génération VIP

Enfants d’artistes, de politiques, de patrons, de sportifs aussi, ils bénéficient à plein de la notoriété et de la réussite de leurs parents. Les dynasties françaises ne se sont jamais aussi bien portées, comme le démontre une enquête édifiante – dont Le Vif/L’Express publie des extraits – sur les privilèges de ces nouvelles castes.

On ne naît pas chanteur ni comédien, encore moins footballeur, réalisateur ou mannequin. On le devient. Mais quand on s’appelle Chedid, Zidane, Gainsbourg, Audiard ou Tapie, le chemin pour y parvenir est plus facile à emprunter. Combien d' » héritiers « , pour reprendre le mot du sociologue Pierre Bourdieu, peuplent aujourd’hui le monde de la musique, du cinéma, de la mode ? Posséder un patronyme célèbre pour accéder aux loges VIP de la société française n’est plus seulement l’apanage des sphères politiques, économiques ou administratives. Même le football, terrain de jeu où l’on pensait que seule la méritocratie s’exerçait, est touché par le phénomène. Quand on parle de Thuram ou de Zidane, il s’agit désormais de Marcus, d’Enzo et de Luca, les fils des vainqueurs de la Coupe du monde de 1998 qui évoluent déjà à un haut niveau. Il y a cinquante ans, Pierre Bourdieu pointait la reproduction des élites. Au terme d’une enquête approfondie et difficile – sur le terrain -, les journalistes Aurore Gorius et Anne-Noémie Dorion détaillent de manière concrète le fonctionnement de cette nouvelle aristocratie française. Un ouvrage dense, où il est avéré que pour les  » fils et filles de « , l’entre-soi commence dès le plus jeune âge.

Julien Bordier et Delphine Peras

[EXTRAITS] Exit le public, vive le privé ! L’école Jeannine Manuel de Paris, un must

La sélection aurait […] lieu exclusivement au mérite. Comment expliquer alors que, pour la plupart de ces établissements, la lettre de recommandation fasse partie intégrante du dossier d’admission ?  » La notoriété des parents ou des personnes qui recommandent ne fait pas tout « , confie Laurence (1), l’ex-prof de Jeannine Manuel. Certains enfants de personnalités n’ont pas réussi à entrer.  » Depuis que le fils de Jeannine Manuel a repris les rênes de l’établissement fondé par sa mère (en 1954), les valeurs de l’institution semblent néanmoins avoir évolué.

 » C’est un businessman. Et Elisabeth Zéboulon, la directrice, est une chef d’entreprise redoutable, juge l’ancienne prof. Elle bosse très dur pour soigner ce qui compte plus que tout pour elle : le rayonnement de l’école. Tout ce qui y participe est bon.  » Comme, entre autres, compter parmi ses effectifs les enfants de personnalités en vue.

 » Ils sont hyperstricts sur la sélection, assure Laure (1) (une ancienne élève). Peut-être que si tu es un peu en dessous et connu ou pistonné, ça peut aider, mais on ne prendra pas quelqu’un qui ne peut pas suivre l’enseignement, même si c’est le fils de Nicolas Sarkozy.  » Il semble donc que Louis Sarkozy, élève de l’école avant que sa mère ne s’exile aux Etats-Unis, ait été un brillant élément. Le fils de l’ancien président n’est pas une exception. Les descendants de politiques, d’hommes d’affaires ou de stars sont légion sur les bancs de l’école bilingue. Les enfants des familles Bouygues, Paretti (Crédit lyonnais), Pouzilhac, Kessler, Servan-Schreiber, Schlumberger, Bruni, Madelin ou Bich (stylos Bic) ont été ou sont sur les bancs de l’école si convoitée. Mais aussi les enfants de Jean-François Copé ( NDLR : ancien secrétaire général de l’UMP, lui-même ancien élève), du mannequin Estelle Lefébure… Sont-ils tous des minicracks ?

(1) Les prénoms ont été modifiés.

L’Ecole alsacienne de Paris : un endroit protégé

Cette protection séduit depuis toujours les grandes familles des milieux culturels et intellectuels. La liste des anciens donne le tournis. Clarisse Labro, fille de Philippe, Gaël et Sara, les enfants d’Anny Duperey et Bernard Giraudeau, Yacha Kurys, fils de Diane Kurys et Alexandre Arcady, les jumelles des Flammarion, les enfants de Denis Olivennes ( NDLR : PDG d’Europe 1), de Simone Veil ou de Wolinski ont tour à tour planché sur les pupitres de l’Alsacienne. Le caractère privé de l’école ne semble pas froisser le patriotisme des hommes politiques, y compris ceux de gauche. Preuve en est la présence à différentes époques des enfants de Martine Aubry, Elisabeth Guigou, Arnaud Montebourg, Alain Juppé, Michel Barnier, Claude Cheysson et Louis Schweitzer et, paradoxe extrême, de Vincent Peillon, quelques années avant qu’il ne devienne ministre de l’Education nationale.

Plus récemment, les dynasties industrielles et du show-biz sont venues étoffer les rangs, apportant dans leur sillon un peu de bling-bling jusqu’alors soi-disant méprisé par leurs prédécesseurs. Après les enfants de Franck Riboud, de Sophie de Menthon et de Thierry Breton, qui avaient ouvert la voie il y a un peu plus de dix ans, la famille Pinault y a inscrit ses enfants. Côté showbiz, les enfants de Chiara Mastroianni, Louis Bertignac, Isabelle Adjani et une certaine Izïa Higelin, fille de Jacques, ont fait partie des effectifs. La prolifération des  » fils et filles de  » entraîne des égards bien particuliers. L’institution fait preuve d’une vigilance accrue pour protéger les petites têtes blondes.  » Nous étions briefés par la surveillante générale sur les risques de kidnappings d’enfants de familles en vue « , se souvient une ancienne pionne, chargée de superviser la pause déjeuner. […] Chaque midi sur le trajet vers le jardin du Luxembourg, les enfants sont surveillés de près.  » Toutes les classes de CM2 ( NDLR : dernier niveau de l’école primaire en France) partaient et restaient ensemble. Si des gens s’approchaient du groupe, il fallait être très vigilant, poursuit-elle. On jouait dans un endroit très précis du Luxembourg. Un périmètre délimité, où il fallait avoir tous les enfants sous les yeux en permanence.  »

Le lycée Montaigne de Paris : au coeur de l’entre-soi Rive gauche

Cité scolaire particulièrement symptomatique de la prévalence de l’entre-soi sur l’excellence académique, Montaigne abrite les enfants issus de milieux socioprofessionnels haut de gamme. Le niveau scolaire, bien que très correct, ne justifie pas l’engouement provoqué par l’établissement.  » Toute l’année, nous avons des courriers de demandes d’admission. Le collège, qui recrute très majoritairement dans le VIe arrondissement, est très favorisé, et obtient des résultats au-dessus de ceux de l’académie, décrit Isabelle Bourhis, sa proviseur. Au lycée, on retrouve un public largement favorisé, avec, depuis quelques années, davantage de mixité scolaire et surtout sociale. Maintenant, je ne dis pas qu’il ne faut pas que ça progresse encore…  » En fait de public, on y trouve une concentration bien plus forte qu’ailleurs de fils d’éditeurs, de psychiatres, d’artistes, de journalistes, de publicitaires, de professionnels de l’industrie cinématographique, et aussi à la marge d’hommes politiques. Parmi les enfants de personnalités, Nathanaël Karmitz, fils de Marin Karmitz, dont il a pris la succession à la tête des cinémas MK2, et de Caroline Eliacheff, mais aussi le réalisateur Alexandre Aja, fils d’Alexandre Arcady, le journaliste de Mediapart Michaël Hajdenberg, fils d’Henri, l’ancien président du Crif, ainsi que les fils de l’écrivain Erik Orsenna ou de René Frydman, le père du bébé-éprouvette, du psychanalyste Daniel Sibony, de la productrice Fabienne Servan-Schreiber ou encore du réalisateur chilien Cristobal Arteaga. Certains profs à la famille médiatique, comme la femme d’Alain Duhamel ( NDLR : journaliste à RTL), un temps professeur de musique, ont aussi enseigné dans l’établissement. […] Professeur de philosophie au lycée après avoir passé une grande partie de sa carrière en Seine-Saint-Denis, Carole Diamant ne cache pas le contraste entre les deux mondes qu’elle a côtoyés.  » Dans les fiches de renseignements, on retrouve une foule de psychanalystes. Et l’une de mes classes contient au moins cinq parents musiciens. Ce matin, je faisais un cours sur Freud et l’inconscient, et un élève m’a interpellée pour savoir si le nom d’emprunt de son premier cas clinique, Anna O., avait un rapport avec le nom de sa fille, elle aussi prénommée Anna. Après la pause, il est revenu avec la réponse : pour l’obtenir, il avait téléphoné à ses parents, tous deux psychothérapeutes. Je reconnais que ça ne m’arrivait pas en banlieue.  »

Master class et avant-premières

Hormis cette attention de tous les instants, les écoles prisées par les VIP bénéficient d’un traitement à part. Locaux réservés pour les activités extrascolaires, matériel de pointe : les infrastructures sont à la hauteur de leur public. A l’école Jeannine Manuel, chaque salle de classe est équipée d’un Mac, d’un iPad et d’un écran interactif.  » Il y en a cinq dans la salle des profs et tous les élèves ont accès à un Mac. On est connectés en permanence, raconte une ancienne enseignante. Si on parle d’une chanson, on peut montrer le clip dans l’instant qui suit. Un grand théâtre est à la disposition des profs. Le bâtiment dédié aux sciences, géré par de nombreuses assistantes de labo, est particulièrement performant.  » Il n’en faut pas moins pour contenter les enfants de ceux qui mènent la France, qu’ils appartiennent au monde économique, politique ou artistique.

Les conférenciers, parents ou anciens eux-mêmes, sont quant à eux directement issus du Bottin mondain. A Montaigne, les tables rondes d’orientation fourmillent de psychanalystes et de journalistes connus. Sans être des anciens, les écrivains David Foenkinos, Adrien Bosc et Pauline Dreyfus, figures de la rentrée littéraire 2014, sont venus tous les trois parler de leurs romans quelques semaines après leur sortie. Père d’élève, Jean-François Copé ne rate aucun des forums de l’emploi organisés par Jeannine Manuel.

A l’Ecole alsacienne, le club cinéma a pu bénéficier de master class délivrées par de célèbres parents d’élèves, Isabelle Huppert en tête. Les semaines du cinéma ont été agrémentées de la présence de Zabou Breitman, dont la fille Anna Chalon, désormais chanteuse de son état, était élève. Mais aussi de l’acteur Christophe Malavoy, des réalisateurs Jacques Perrin ou Benoît Jacquot ou du chef opérateur franco-iranien Darius Khondji. Chez les Seydoux, Juliette, la cousine de Léa, s’est assise sur les bancs de l’école. Sa famille envoie régulièrement, en avant-première, des films qu’elle distribue. Chaque année, le salon du livre reçoit de prestigieux invités, parmi lesquels Jean d’Ormesson, Elisabeth et Robert Badinter, Michel Rocard, Tatiana de Rosnay, Colombe Schneck, Catherine Dolto. Directeur musical de l’Orchestre symphonique de Cincinnati et du Mostly Mozart Festival de New York, Louis Langrée a dirigé lui-même le concert célébrant les 10 ans du club de musique de chambre où jouait son enfant. Côté industrie, Axel Dumas, gérant d’Hermès International, est venu assurer une conférence sur les crocodiles qui décorent ses sacs à main aux élèves de la classe de son fils.

D’autres interventions sont moins heureuses. Tout le monde ne semble pas adopter un profil bas, comme Victoria Abril et Charlotte Gainsbourg, anciennes mères d’élèves de Jeannine Manuel réputées particulièrement discrètes. Lorsqu’il était encore collégien à Jeannine Manuel, le jeune Arnaud Lagardère a voulu changer en cours d’année de professeur de mathématiques pour incompatibilité d’humeur : sa demande a été prise en compte. Très généreux, son père venait de subventionner à grands frais la rénovation du théâtre. Et d’offrir au personnel de ravissants paniers repas, garnis de champagne et de foie gras.

Fils et filles de… Enquête sur la nouvelle aristocratie française, par Anne-Noémie Dorion et Aurore Gorius. La Découverte, 208 p. (à paraître le 19 septembre).

 » Nous étions briefés par la surveillante générale sur les risques de kidnappings d’enfants de familles en vue  »

Quand le jeune Arnaud Lagardère veut changer de prof de maths, sa demande est prise en compte

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