Gare à la solitude !

L’univers de la nudité s’unit à celui de la machine.

Alors que la ville de Liège s’apprête à inaugurer la toute nouvelle – et fameuse – gare TGV des Guillemins, le Grand Curtius ouvre magistralement ses salles d’expositions temporaires en présentant, et ce n’est évidemment pas un hasard, le  » peintre des gares  » : Paul Delvaux (Antheit, 1897 – Furnes, 1994). Ses £uvres les plus caractéristiques sont reconnaissables entre toutes : des trains, des trams mais aussi des femmes en proie au désarroi ou à la solitude. Et c’est bien de cet état d’isolement dont il est question dans le tableau intitulé L’Age de fer.

Il fait nuit. Dans l’obscurité d’une gare presque endormie, une femme allongée dans une attitude décalée, expose sans pudeur sa nudité. Aux alentours, pas la moindre silhouette furtive ou hésitante. Hormis, peut-être, cette ancienne locomotive qui entre en gare et s’approche de notre belle… Cette présence féminine, au visage inexpressif et énigmatique, hante toute l’£uvre de Delvaux. De longs cheveux blonds tirés en arrière, un visage aux traits fins, de grands yeux en amande tristes et inaccessibles sont autant de caractéristiques qui définissent les muses  » delvaliennes « .

Se plaît-elle dans un jeu de séduction ? Plongée dans ses pensées, la Vénus alanguie offre son corps virginal sans réserve. Une part de secret l’animerait pourtant d’une sensualité qui éveillerait à coup sûr notre désir. Mais rien à faire ! Insensible à toute présence externe, elle ne cherche pas à séduire le spectateur que nous sommes, et nous relègue au rôle – beaucoup moins plaisant ! – d’observateur distant, impotent.

Maigre consolation : nous ne sommes pas les seuls qu’elle ignore. Si étrange que cela puisse paraître, la protagoniste de Delvaux ne semble pas prendre conscience de son environnement : un univers glacial, sans âme… Un monde onirique peuplé de lampadaires et de pylônes électriques, dans lequel la solitude est encore plus oppressante quand l’obscurité et le calme dominent.

La palette chromatique, sobrement nuancée, participe à l’harmonie générale de la composition, et renforce le caractère immaculé du corps dénudé. La lumière joue également un rôle important : elle fige la scène dans une atmosphère poétique et enveloppe la jeune femme d’une douce et étrange clarté qui accroît sa part de mystère.

Examinons, enfin, l’avant-plan. Nous pénétrons dans un espace intime, l’intérieur d’une chambre avec cette femme allongée sur son lit, cette plante sur le guéridon. Ce lieu paraît délimité par un muret de briques blanches. Mais l’architecture s’arrête là, ne posant pas plus de limites. Dès lors, ce sont deux univers qui s’unissent : celui de la nudité, de la douceur du drap, et celui de la machine, du monde ferroviaire si cher à Paul Delvaux.

Exposition De demain à Delvaux, musée du Grand Curtius, 136, Féronstrée, à 4000 Liège.

Jusqu’au 28 juin 2009. www.destinationsdelvaux.be

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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