Futurs immédiats

Les objets connectés débarquent en masse sur le corps ou à la maison. Apple et Google affûtent les armes logicielles qui les animeront. En embuscade, Samsung et sa nouvelle montre Gear S tentent toutefois une déclaration d’indépendance. Explications depuis l’IFA, salon high-tech de Berlin.

Louée lors des précédentes éditions de la grand-messe allemande, la télévision est tombée de haut lors du dernier salon high-tech qui a accueilli 200 000 pèlerins technophiles. Le stand de LG qui, à l’instar de ses grands concurrents, occupait à lui seul l’équivalent d’un demi-terrain de foot, illustrait cette désaffection. Sur son emplacement, certes, des écrans plats et incurvés (5 400 euros pour un modèle 55 pouces) ont attiré les regards. Le gimmick concave favoriserait l’immersion du spectateur tout en épousant au mieux la forme courbée de son oeil. Certains modèles 4K (résolution d’image théoriquement quatre fois supérieure à la full HD) flexibles s’aplatissent et se bombent même en temps réel pour s’adapter au mieux au nombre de spectateurs qui leur font face. Mais aussi spectaculaires soient-ils, ces nouveaux téléviseurs aux résolutions olympiques (on parle déjà de 8K) n’ont pas autant gagné les faveurs du public que les G Watch R, nouvelle génération de smartwatches que le constructeur sud-coréen a mis en scène à la manière d’un bijoutier. Avec lui, Sony, Motorola, Asus et Samsung se joignent à la messe pour exposer six nouveaux modèles (deux pour Sony), en avant-première mondiale. Les montres intelligentes n’émeuvent plus les geeks, habitués à les voir défiler depuis plus d’un an. Mais leur présence en masse à l’IFA a marqué les esprits. D’autant que des rumeurs persistantes d’une version d’Apple planaient sur le salon, qui avait lieu une semaine avant la présentation du géant californien.

La vague des smartwatches

La saturation du marché du mobile haut de gamme et l’effritement des marges confortables qu’elle entraîne cette année n’est pas étrangère à cet acte de foi généralisé au dieu tocante. Ce premier trimestre, Samsung a accusé une chute de ses ventes de smartphones de 9 % par rapport à l’année dernière. De quoi le pousser à défricher de nouveaux secteurs. Malgré des autonomies risibles (deux jours en moyenne) et des cadrans loin de faire l’unanimité (difficile de s’improviser joaillier), la vague smartwatch a touché une fois de plus le numéro un mondial des smartphones qui présentait sa nouvelle Gear S à écran courbé et tactile de 5 cm (!) de diagonale. Gare aux poignets menus.

 » C’est plus qu’une nouvelle tendance, c’est une occasion inédite, souligne Jean-Daniel Ayme, directeur télécom et opérations de Samsung Europe. Cinq millions de smartwatches ont été vendues cette année, et nous détenons plus de 70 % de parts du marché. Il est supposé atteindre 135 millions d’unités d’ici à 2020 mais nous continuerons à nous battre en matière d’innovation de nos smartphones. Nous garderons notre domination sur ce terrain et la développerons sur les wearable devices.  » Ce terme regroupe tout accessoire ou vêtement connecté (à l’image des mourantes Google Glass), qui lui-même fait partie d’une famille plus grande encore, celle de l’Internet des objets.

De nombreux analystes (GSMA, Gartner, ABI Research et Intel) tablent sur 24 à 30 milliards d’objets intelligents connectés d’ici à 2020. Ces projections n’échappent pas à Samsung. Après l’échec de Bada, système d’exploitation mobile maison qui n’a pas résisté à Android, ce dernier tente de revenir sur le terrain des OS nomades en glissant astucieusement Tizen dans sa montre Gear S.  » Notre intention a toujours été d’être multi OS, précise Jean-Daniel Ayme Mais nous restons toujours très liés à Google.  » Derrière ce discours, impossible de ne pas voir dans Tizen (également prévu sur un futur smartphone baptisé  » Z « ) l’envie de contrôler sa chaîne de production de bout à bout.

Montre de l’indépendance, la Gear S ? Le drapeau bleu et blanc flotte d’autant plus que Samsung s’est récemment payé le luxe d’offrir à ses clients Nokia Here, un logiciel de navigation offline et une alternative viable à Google Maps que tous ses smartphones embarquent d’office. Les nouvelles montres concurrentes ont, elles, toutes, prêté allégeance à Google. Les G Watch R de LG, Moto 360 de Motorola et SmartWatch 3 de Sony tournent sous Android Wear, système d’exploitation pour technologies mettables que Google a dévoilé en mars dernier, rejoint ensuite par Asus et HTC.

Prévues dès le mois prochain en Europe à un tarif allant de 200 à 300 euros, ces montres intelligentes seront dotées de nombreuses fonctions smartphone. En rue, ne plus devoir sortir son téléphone de la poche pour trouver son chemin ou répondre à un coup de fil séduit. Cent cinquante mille unités devraient être écoulées cette année chez nos voisins français selon l’institut d’études de marché Gfk et 3,1 millions au niveau mondial, l’ensemble étant tiré par les bracelets connectés, plus populaires vu leur autonomie et leur discrétion.

La maison connectée

La maison a, elle aussi, tenu un rôle central à Berlin. Acheté en janvier dernier par Google pour 3,2 milliards de dollars, Nest Labs lancera en Belgique dès la fin septembre son Learning (215 euros). Ce thermostat connecté compatible avec la plupart des chaudières du marché permettrait de réduire de 15 % à 20 % leur consommation, en croisant prévision météo du Web, habitudes de chauffage et détection de présence. Le Protect se profile, lui, comme un super détecteur de fumée différenciant vapeur d’eau et monoxyde de carbone. Il envoie des alertes sur le smartphone de son propriétaire en cas d’incendie. Il va même jusqu’à lui préciser l’origine de la fumée…

L’Internet des objets trouve d’ailleurs dans la sécurité et la santé une porte d’entrée idéale. Le vieux rêve de la domotique renaît. Apple lançait d’ailleurs, en juin dernier, sa plate-forme HomeKit. Celle-ci offre la possibilité de parler au célèbre Siri, un logiciel de reconnaissance vocale, pour lui demander, par exemple, de fermer les rideaux et d’allumer la lumière. Rendant possible le dialogue entre des objets connectés de diverses marques, le HomeKit est loin d’être un rêve de futurologue enthousiaste.  » La combinaison de plusieurs objets connectés et intelligents est une des clés de la maison de demain. Apple pousse cette définition et tout va plus vite « , note Guillaume Mathias, product manager chez Withings. Cette société française connue pour ses pèse-personnes intelligents a mis il y a quelques semaines sur le marché l’Aura, un analyseur de sommeil capable de réveiller le dormeur au  » bon  » moment de son cycle. Et en avant-première à l’IFA, elle a présenté son Home, une caméra intelligente avec capteur intégré pour analyser en temps réel la qualité de l’air d’une pièce. Lors de la démonstration, placer le Home avec une lingette nettoyante sous une cloche de verre excitait immédiatement le compteur de l’application sur iPad. L’accessoire qui sera mis en vente ce mois-ci à 200 euros fait également office de webcam grand angle consignant sur un journal intelligent toutes les activités des enfants lorsque les parents ne sont pas là, en les filmant.  » Nous avons été parmi les premiers à faire partie du projet HomeKit d’Apple et nous planchons déjà sur des scénarios d’utilisation avec Philips qui en fait aussi partie. Leurs ampoules connectées pourraient, par exemple, diffuser une lumière bleue tamisée – pour éviter de réveiller votre conjoint – si notre Home voit que vous vous réveillez la nuit, pour aller boire un verre d’eau.  »

Enthousiaste, Gartner prédit des maisons abritant en moyenne 500 objets connectés en 2022. Les grands constructeurs high-tech tentent donc de développer leurs standards. Pour contrer Apple et à son HomeKit, Samsung a récemment racheté Smart Things, plateforme de communication domotique pour 155 millions d’euros. Le mouvement est donc en marche. D’autant que LG sortira lui aussi, dès cette rentrée, son écosystème connecté dédié à l’électroménager. Présenté sous une section de leur stand baptisé Smart Home, leur Home Chat demande de prendre son smartphone pour dialoguer par SMS avec son four, son frigo et sa machine à laver. Au supermarché, demander au Home Chat une recette de gâteau au chocolat permet d’obtenir une liste d’ingrédients nécessaires et une photo instantanée du contenu de son frigo (qui enferme une webcam). Une fois rentré à la maison, les préréglages du bon mode de cuisson du four sont automatiquement activés. Le tout au fil d’une conversation drolatique où le four n’hésite pas à se plaindre.  » Cet écosystème sera lancé d’abord en Corée du Sud et aux Etats-Unis pour une question de langue, note Sabrina Eilers, porte- parole pour le Benelux du géant coréen. Mais ce n’est qu’un début. En Corée, nous utilisons déjà notre aspirateur Hom-bot pour surveiller la maison via ses trois webcams. On doit encore régler les évidentes questions de vie privée que cela pose en Europe.  »

La firme coréenne n’est toutefois pas la seule à vouloir connecter ses aspirateurs. Dyson lançait ainsi sur le salon berlinois le 360 Eye, aspirateur autonome, massif au look inquiétant équipé d’une caméra à 360 degrés établissant une cartographie complète de son environnement pour éviter des obstacles. A quand les premiers aspirateurs équipés de tasers anti-intrusion ?

Par Michi-Hiro Tamaï, à Berlin

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