Francofolies : ‘tention au loup !

Philippe Cornet Journaliste musique

A cette édition 2004, on ira plutôt voir Bashung, Raphaël, Bénabar, Stephan Eicher, M ou Miossec que Florent Pagny ou Garou, c’est sûr

Francofolies de Spa, du 20 au 25 juillet. Infos au 0900 84 100 (0,45 euro/min) ; www.francofolies.be

Certes, la vocation d’un festival comme les Francofolies est d’attirer le grand public et d’alimenter son affiche en inévitables grands noms qui feront chauffer la billetterie. On a cependant tiqué en découvrant la moitié de la tête de ces Francofolies 2004 : va pour M, vedette hexagonale rebondissante, et Maurane, trésor national belge, mais la perspective de voir Florent Pagny et Garou, vedettes commerciales sans intérêt artistique, n’est guère palpitante. Pourquoi inviter le hurleur canadien, décalque vocal de Johnny Halliday ? Pour ses chansons en feuille d’érable et son pantalon en pur cuir vachette ? Parce que le Garou fait le loup pour les jeunes filles influençables et leurs mamans ? Réponse û criante û le 24 juillet sur la place de l’Hôtel de Ville. Que dire alors de Florent Pagny (le 23 juillet) et de ses complaintes pour moins d’impôts et plus de pampa (la moitié du temps, il habite sa Suisse à lui, au fin fond de la Patagonie) ? S’il est difficile d’avoir de l’admiration pour un type qui fraude le gros pognon qu’il gagne û il a été condamné pour cette raison par la justice française û il est quasi impossible d’aimer des chansons qui enfilent la contestation de bazar à l’analyse sociétale, tout en prônant la conduite de 4 x 4 entre les lamas sud-américains… Si incroyable que cela puisse paraître, on a aimé Florent Pagny, pas pour sa musique û soyons sérieux û mais lorsque, jeune, brun et maigre, il jouait les rebelles et demi-teignes irréductibles dans les téléfilms de France 3. Avec le temps, il a visiblement préféré une coiffure empruntée à la collection Luc Besson et, porter, lui aussi, les falzars en peau de vachette. Moins que leur présence à Spa 2004, c’est la façon dont les Francofolies mettent ces deux crieurs en tête d’affiche qui nous agace ! On le dit avant que, la prochaine fois, les Francos ne nous proposent triomphalement Star Academy avec la conviction de nous servir de la  » belle chanson française « .

Pour nous, les têtes d’affiche du Spa 2004 se nomment M, Bashung, Eicher et Alain Chamfort. Il est évident que le trentenaire Mathieu Chedid, alias M, continue son parcours en forme d’étoile solaire, remplissant sans faiblir des salles de plus en plus grandes, deux Bercy pour Paris et un Forest-National prévus à la rentrée. Même si son dernier opus de studio, Qui de nous deux, se vend moins rapidement que le précédent, le talent scénique de M reste spectaculaire : loin de fourguer les tics d’un Jimi Hendrix de province, il puise dans son imagination guitaristique d’insoupçonnées réserves de chansons swing et mélodieuses qui définissent un réel langage musical. Il est probable que M ne se laissera enfermer dans aucune  » djeunesse  » et louvoie à son rythme vers une zone plus adulte, plus intemporelle, loin de la scarification des modes (le 22 juillet).

De vraies têtes d’affiche

Quant aux autres de ce carré d’as, Eicher, Bashung et Chamfort, ils ont certains points communs : tous trois ont connu à un moment ou l’autre de leur carrière de deux décennies et plus des triomphes discographiques traduits par des tubes certifiés (dans l’ordre, Déjeuner en paix, Ma Petite Entreprise et Manureva). Tous trois continuent une route parfois chaotique, mais intimement personnelle. Là où Chamfort aurait pu persévérer à crooner pour les minettes, il a façonné une £uvre exquise, faite de dérision et de distanciation, toujours enveloppée de vraies mélodies pop. Il est d’ailleurs assez typique de l’imbécillité de l’industrie musicale de le virer quelques mois après être revenu au volant d’un disque ( Le Plaisir) qui porte parfaitement son nom (le 21 juillet).

Le cas Eicher est tout aussi imprévisible : voilà un quadra qui a survécu à la folie midinette du début des années 1990, enchaînant des disques à chaque fois différents, et retrouvant dans le dernier ( Taxi Europa) les bribes d’une mélancolie helvético-bohème qui donne du poids au temps et à ses chansons (le 20 juillet). Qu’ajouter encore sur Bashung, Alain, dernier toréador du rock français (avec Christophe) qui n’a jamais voulu choisir entre être Don Quichotte et Sancho Pança ? Que son dernier CD/DVD live prouve que l’aventure est toujours possible, que la régénération est dans l’audace perpétuelle, que l’écriture vraie n’est jamais prisonniè- re ? Un peu tout cela, en effet, avec la grandeur des timides authentiques qui se métamorphosent en public (le 21 juillet).

Pour en finir avec les têtes d’affiche, officielles ou officieuses, on s’en voudrait de snober Maurane, dont ce sera la Fête en clôture de festival, le dimanche 25 juillet sur la place de l’Hôtel de Ville. Avec des invités ( » dont on n’a pas encore confirma- tion « , dixit le chargé de com’), la meilleure chanteuse de variétés actuelle va sans aucun doute remporter un triomphe attendu devant un public conquis d’avance. Dommage que Maurane ne prenne pas un peu plus de risques et ne laisse pas le swing et la mélancolie gommer son  » humour  » finalement secondaire, voire envahissant. Il y a en effet une autre Maurane que la chanteuse  » marrante  » complaisamment filmée par un récent documentaire ertébéen : celle qui, en voix libre, dans des chansons fines, loin des arrangements convenus, n’impose aucune caricature, juste son magistral savoir-chanter. On pense toujours que Maurane pourrait être Janis Jopin ou Cesaria Evora, et qu’elle le sera un jour.

D’agréables jeunesses

Il serait malhonnête de ne pas reconnaître aux Francofolies un û timide û désir d’ouverture envers les nouveaux venus talentueux, y compris les non-francophones. En programmant Mud Flow (le 22 juillet) ou Girls in Hawaii (le 21), Spa 2004 reconnaît implicitement le sang neuf de la Belgique, y compris celui du Nord puisqu’il a le bon goût d’inviter la formidable chorale Scala (le 22) et Sioen (le 25), l’une des révélations flamandes de l’année écoulée.

Au répertoire national, il convient de noter le retour de Philmarie, calé le 23 juillet à 16 h 30 au Village Francofou. Depuis la parution de son premier album en 1998, ce groupe bruxellois a plus ou moins raté une carrière prometteuse : faillite de son label, mais aussi excès de confiance, surplus d’arrogance, le tout propulsé par un répertoire bizarrement hétéroclite et la voix surdouée de Philmarie, ex-petit chanteur prodige devenu grand. Six ans plus tard, le nouveau disque Automatique sonne comme une seconde chance toujours aussi peu catalogable : quel rapport entre le monstre de Muslim, morceau-tornade aux vocalises sacrificielles et la reprise apaisée de Félix Leclerc, Le Petit Bonheur ? Pas grand-chose, si ce n’est un amour absolu de la musique qui transperce les chansons. Philmarie a décidé de ne jamais dompter son dandysme vocal : cette maîtrise qui l’amène parfois au zénith émotionnel ( Que rien ne nous revienne) pousse aussi son outrecuidance naturelle à jouer funky, chanson, rock, metal, velouté, selon les humeurs du jour et du titre. C’est sûr que cela ne va pas aider le département marketing à le vendre mais Automatique vaut le détour d’oreille. C’est le cas aussi d’autres invités des Francos. Ceux dont on vous a déjà amplement parlé et en bien : Cali, Zop Hopop, Miossec, Tarmac, Bénabar, Art Mengo, Diam’s, Raphaël, Autour de Lucie, Emilie Simon. Et deux autres sur lesquels on revient un instant : Corneille et Magyd Cherfi. Le premier, Rwandais échappé du génocide qui a anéanti sa famille, connaît un véritable triomphe chez les ados û surtout les filles û qui craquent pour son R & B charmeur et conscientisé (le 25 juillet). Quant à Cherfi, chanteur de Zebda, sa première échappée discographique en solo ( Cité des étoiles) coïncide avec la sortie d’un livre qui raconte lui aussi le destin encombré, parfois broyé, des fils immigrés de la vague arabe des années 1960. Un univers touchant et néoréaliste qui devrait plaire aux enfants de Ferré et de la Méditerranée (le 23 juillet).

Philippe Cornet

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