Franchises

L’époque est au tout recyclable à Hollywood. Démonstration de force avec, aux côtés du tout-venant des super-héros, le retour sur les écrans des Star Wars, Mad Max, James Bond et autre Terminator peuplant un Jurassic World cinématographique.

Un simple coup d’oeil rétrospectif sur 2015 suffit à s’en convaincre : avec The Avengers: Age of Ultron, The Fantastic Four ou Ant-Man, Hollywood reste plus que jamais à l’heure des super-héros, saturant les écrans de blockbusters à l’intérêt souvent inversement proportionnel à leur force de frappe. Une tendance qui ne devrait pas se démentir dans les prochains mois, alors que sont annoncés Batman vs Superman, mais encore les retours de Captain America en pleine Civil War, des X-Men face à l’Apocalypse, et jusqu’aux Teenage Mutant Ninja Turtles. A court d’imagination et ciblant ouvertement (sinon exclusivement) le public ado, les studios pratiquent le recyclage à grande échelle, puisant tant et plus dans les catalogues Marvel, D.C. Comics et autres, non sans avoir, au passage, adopté un nouveau vocabulaire tenant en quelques termes bâtards, ces  » sequels  » (pour suite),  » prequels  » (situés en amont du récit original) et autres  » spin-off  » (ou séries dérivées), déclinés jusqu’à plus soif dans des franchises juteuses à défaut d’autre chose.

A cet égard, l’année écoulée marque sans doute un cap qui, outre le tout-venant des (super-) héros et autres sagas adolescentes, comme The Hunger Games ou Divergent (en attendant Les animaux fantastiques,  » spin-off  » de Harry Potter, prévu à l’automne 2016), a salué le retour de quelques poids lourds que l’on croyait rangés des voitures. Et l’on ne parle pas ici d’un Ethan Hunt lancé dans une cinquième Mission impossible, ni bien sûr d’un James Bond, insubmersible depuis 1962 et Dr. No, comme l’a rappelé, si besoin en était, Spectre, le 24e épisode de ses aventures – 007 demeure, il est vrai, un cas à part, indémodable et indétrônable du haut de sa propre mythologie. Non, l’événement de 2015 aura résidé dans la relance de franchises ayant contribué aux beaux jours de l’industrie du spectacle de Hollywood et d’ailleurs à la fin du XXe siècle, les Mad Max, Terminator, Star Wars et autre Jurassic Park, devenu entre-temps Jurassic World – normal, la mondialisation n’a pas épargné les monstres du crétacé – ; autant de sorties qui ont fait l’événement ces derniers mois, avant d’affoler le box-office global.

Gagnants sur tous les tableaux

En procédant de la sorte, les décideurs hollywoodiens jouent sur plusieurs tableaux. Et notamment sur l’affectif et la fibre nostalgique de spectateurs susceptibles de renouer là avec des émotions adolescentes, en quelques détournements de l’effet madeleine de Proust. La matrice de Star Wars remonte à 1977, celle de Mad Max à 1979, The Terminator apparaissant en 1984, suivi neuf ans plus tard par les tyrannosaures du Jurassic Park, les uns et les autres ayant imprégné à des degrés divers l’imaginaire des teenagers d’alors. S’agissant de Star Wars, on peut même parler sans excès de phénomène culturel, avec des répercussions tous azimuts et jusque dans le langage courant – « May the Force be with you  » s’est trouvé décliné dans tous les idiomes imaginables -, la saga confinant désormais au mythe. S’y ajoute, bien sûr, la perspective de toucher de nouvelles générations de spectateurs, en tablant sur des histoires – ou faudrait-il dire des produits? – ayant largement fait leurs preuves, ce qui, reporté en données comptables, se traduit par un risque zéro. Plutôt que ses ersatz plus ou moins inspirés, autant se replonger dans l’univers apocalyptique original du Mad Max qu’avait imaginé George Miller; quant au conflit entre le Bien et le Mal au coeur de La guerre des étoiles, il est suffisamment simpliste et fumeux pour pouvoir être traité à toutes les époques :  » a long time ago in a galaxy far, far away « , mais aussi aujourd’hui, et même sans doute demain.

Peut-être, du reste, est-ce dans cette lisibilité à toute épreuve que réside le vrai trait de génie de George Lucas, aux côtés du développement des produits dérivés qui ont fait sa fortune. Un phénomène n’étant pas près de se démentir, voire même ayant gagné en ampleur. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir la gamme d’objets arborant l’imagerie SW ayant précédé, ces dernières semaines, la sortie de l’Episode VII de la saga sur les écrans. Aux traditionnels mugs, tee-shirts, peluches, poupées et autres casquettes, sont ainsi venus s’ajouter gourdes, boules de Noël, coques pour portables, couverts sabres-lasers, gaufriers, et l’on en passe, jusqu’aux sous-vêtements complétant désormais une panoplie d’un chic intergalactique fort relatif. Le business est, de toute évidence florissant, et les analystes estiment que les revenus de la vente de produits dérivés du Réveil de la force, dernier en date des volets de l’épopée, devraient s’élever à quelque 5 milliards de dollars. Soit beaucoup plus encore que les recettes, pourtant pharaoniques, attendues de l’exploitation du film en salles – à titre indicatif, Kinepolis annonçait, la veille de la sortie de ce nouveau volet, des préventes record de 55 000 tickets, dont plus de la moitié pour la seule journée du 16 décembre, jour J pour les Star Wars maniacs du royaume.

Une économie parallèle

De quoi prendre la mesure du raz-de-marée attendu. Le blockbuster, d’une façon générale, et la franchise, en particulier, sont en effet des placements sûrs, à défaut, bien souvent, de réussites artistiques majeures: Mad Max : Fury Road a rapporté quelque 150 millions de dollars aux Etats-Unis, et 370 dans le monde; Terminator : Genisys, 90 aux USA et 440 à l’échelle planétaire ; des montants qui, pour Jurassic World, s’élèvent respectivement à… 652 millions et 1,669 milliard de dollars. A ce niveau, le cinéma devient une économie parallèle, et l’on comprend mieux, peut-être, les quelque 4 milliards de dollars déboursés par Disney fin 2012 pour racheter l’Empire de George Lucas.

Une somme à même de donner le tournis (mais équivalente à celle avancée quelques années plus tôt pour l’acquisition de Marvel Comics et sa galerie de super-héros dont il s’est rapidement avéré qu’ils avaient le pouvoir d’être hyperrentables – même un navet comme Avengers: Age of Ultron a généré des recettes mondiales de 1,4 milliard de dollars), et ce qui s’apparente à une opération win-win, comme l’on dit, sauf peut-être pour les spectateurs. Encore qu’en la matière, et pour Le réveil de la force en tout cas, la production ait veillé à ne pas prendre ces derniers pour des gogos. En confiant la réalisation à J. J. Abrams, Disney a opté pour l’homme de la situation, lui qui avait précédemment relancé… la franchise Star Trek pourtant bien mal en point. Et qui a su, dans le cas présent, se réapproprier l’univers tout en renouant avec l’esprit de la trilogie originale, celle qui, de 1977 à 1983, avait posé les bases du mythe tout en contribuant largement à faire entrer Hollywood dans l’ère des blockbusters. La boucle est donc en quelque sorte bouclée, et les dommages collatéraux de la prélogie sortie entre 1999 et 2005, et ayant découragé jusqu’aux inconditionnels de La guerre des étoiles,sont sans doute à passer aux pertes et profits.

Les héritiers de l’oncle Walt ne sont par ailleurs pas nés de la dernière pluie, fût-elle d’astéroïdes. Et pour leurs 4 milliards de mise, ils ont prévu, non seulement de boucler la troisième trilogie que vient d’ouvrir le film d’Abrams (les épisodes à suivre ont été confiés l’un à Rian Johnson, l’autre à Colin Trevorrow, le réalisateur de Jurassic World enchaînant ainsi les blockbusters après s’être fait les dents dans les films à micro-budget, façon Safety Not Guaranteed), mais aussi de décliner l’univers imaginé par George Lucas de diverses manières, suivant une stratégie déjà appliquée pour le catalogue Marvel. Et d’annoncer, dès 2013, la mise en chantier de plusieurs films autonomes – les fameux  » spin-off  » – inspirés de la saga, histoire de combler  » l’attente  » des fans entre deux épisodes de la trilogie (et de gonfler le portefeuille des actionnaires). On pourrait donc, dans un futur proche, découvrir une aventure de Luke Skywalker, suivie d’une autre de la princesse Leia, voire R2-D2 et C-3PO à la conquête de l’espace ou encore le retour de Dark Vador, etc. Une extension en appelant une autre, puisque les attractions et la franchise Star Wars, déjà présentes dans certains d’entre eux, seront valorisées dans les parcs Disney, existant et à venir, et sans doute n’est-ce là qu’un début – il n’y a pas de petit profit, après tout. Autant dire que l’on n’est pas près d’en avoir fini de la Force, ni d’ailleurs des franchises en série…

Jean-François Pluijgers

L’événement de 2015 aura résidé dans la relance de franchises ayant contribué aux beaux jours de Hollywood

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