Fleurus Le scandale des trois  » i « 

 » IRE, iode radioactif et information déficiente « . La folle semaine de l’Institut des radioéléments (IRE) de Fleurus démontre qu’en Belgique la sécurité nucléaire est loin d’être irréprochable. Et si, demain, une centrale nucléaire connaissait un  » incident  » identique ?

C’est bien connu. En matière de sécurité, nucléaire ou non, le diable se cache parfois dans les détails. Si l’on s’en tient à cette maxime, l’IRE de Fleurus, d’où se sont échappées des quantités anormales d’iode radioactif voici près de deux semaines, doit ressembler à l’enfer. Rappel des faits : l’IRE fabrique des radio-isotopes utilisés à des fins de diagnostic et de traitement médical, notamment des cancers. Le vendredi 22 août, lors d’un banal transfert d’effluents liquides d’une cuve à une autre, un ordinateur tombe en panne. Gênant : c’est lui qui est censé donner l’alarme si un dégagement anormal d’iode radioactif est observé. Réparé, il ne lancera toutefois l’alerte que le dimanche matin. Plus perturbant encore : le technicien présent interprétera erronément ce signal.

Le lundi matin, une nouvelle erreur humaine est commise. L’alarme officielle n’est finalement donnée qu’en fin de matinée. Mais l’Agence fédérale pour la sécurité nucléaire (AFSN) n’ordonne la cessation des activités de l’IRE que le mardi 26 août. Entre-temps, l’iode radioactif s’est répandu dans l’atmosphère en quantités supérieures à la normale. Ni les balises extérieures, dites  » Télérad  » ( voir l’illustration), ni la balise placée dans la cheminée de l’IRE n’ont inquiété qui que ce soit. En partie, parce que les quantités relâchées, dit-on aujourd’hui à l’agence, étaient trop faibles.

Un gâchis ? Oui. Pas en termes de santé publique, à première vue. En effet, les examens pratiqués, cette semaine, sur les glandes thyroïdes de 1 200 riverains, huit à dix jours après l’incident initial, ont toutes abouti à des résultats négatifs. Ce n’est pas étonnant : l’iode 131 perd, en huit jours, la moitié de sa radioactivité. La vraie source d’inquiétude se trouve ailleurs : ce type d’incident était craint, pressenti, presque écrit noir sur blanc. Un audit franco-belge avait été réalisé, l’année dernière, à l’IRE. Il avait relevé une longue liste de manquements : absence d’étude de scénarios d’incendie, manque de rigueur dans la gestion de bâtiments  » délicats  » sur le plan de la sûreté, connaissances insuffisantes sur leur stabilité en cas de feu, absence de certains documents relatifs à la sécurité, etc.

Ce n’est pas tout. Une partie des griefs portaient explicitement sur les bâtiments et les installations qui se sont révélés défectueux ces derniers jours (le B 6 et le système de ventilation) et paraissent aujourd’hui prémonitoires : maîtrise insuffisante des risques de dissémination des matières radioactives, systèmes d’alarme inopérants, contrôle  » laissé au bon vouloir des agents « (!), lourdes lacunes dans les procédures à suivre en cas d’incident ou d’accident, etc. Bref, le gros  » couac  » récent ressemble à la chronique d’un événement annoncé que rien ni personne, malgré la modernisation amorcée ce printemps à l’IRE, n’a réussi à empêcher. On frémit à l’idée que l’une des principales matières premières de l’IRE est, comme dans les centrales nucléaires, de l’uranium enrichi.

Des responsabilités claires mais multiples

Qui a failli ? L’équipe de l’IRE, bien sûr, s’il faut en croire le rapport provisoire d’enquête dressé par Paul Magnette (PS), ministre du Climat et de l’Energie.  » On a assisté à une accumulation d’erreurs et de carences inconcevable et totalement inacceptable « , tonne-t-il en réclamant des sanctions à la fin des investigations. Le ministre (carolo) pointe aussi l’Agence fédérale car, dit-il, elle a tardé à réagir : l’IRE, une fois l’alerte confirmée, aurait eu des difficultés à entrer en communication avec l’Agence. De plus, bourgmestres, pompiers et entreprises voisines ont été avertis des fuites d’iode par… la presse. Le chien de garde du nucléaire à Charleroi, Jean-Marc Nollet (Ecolo), en rajoute une couche :  » Le contrôle nucléaire, en Belgique, est un petit monde. Tout le monde se connaît. L’Agence a trop longtemps protégé l’équipe de l’IRE dans le passé. A quand un véritable contrôle indépendant international ? « 

La responsabilité du monde politique fédéral est également indirectement engagée : le long  » vide  » politique qui a fait suite aux dernières élections législatives a eu pour effet de retarder le transfert des missions de contrôle nucléaire, autrefois assumées par AVN (un organisme privé indépendant des opérateurs), vers Bel-V, la filiale spécialisée de l’Agence. Peut-être la révision décennale des installations, dans laquelle l’audit mettait tous ses espoirs pour voir certains dysfonctionnements corrigés  » dans les plus brefs délais  » ( sic), entamée au printemps dernier, a-t-elle pris du retard à cause du gouvernement plongé en affaires courantes : une hypothèse rejetée par le directeur général de Bel-V, Benoît De Boeck.

En tout cas, un constat s’impose à l’issue des récents événements à l’IRE (qualifié d' » incident grave « , classé de niveau 3 sur une échelle qui en compte 7 : une première dans le pays !) : quatorze ans après sa création, l’Agence n’a pas encore acquis ce statut de  » gendarme du nucléaire  » qu’elle était censée devenir au surlendemain de l’accident de Tchernobyl (1986). Et si, demain, le même cafouillage devait survenir dans une centrale nucléaire en difficulté ?

Philippe Lamotte

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