A travers une soixantaine d’oeuvres d’artistes nippons et européens, la Fondation Thalie propose, à Bruxelles, une plongée au coeur de la culture japonaise. Palpitant !
Tout est propre, brillant et contenu dans ce Japon que le visiteur occidental découvre pour la première fois. Tout est de même exubérant, électrique et coloré. Sur les passages cloutés que chacun respecte, glissent les hommes en costume noir, les ados en total look manga et les femmes en kimono soyeux. Dans le silence des temples de bois, d’autres font des offrandes tour à tour pour les dieux shintoïstes et pour les déités bouddhistes. Dans les pâtisseries, la beauté des glaçures rivalise avec celle des emballages. Aux étals des marchés couverts, la chair blanche et luisante des poissons se mêle à la noirceur patinée des champignons sauvages…
L’exposition organisée par la Fondation Thalie (une initiative privée de Nathalie Guiot, collectionneuse proche des milieux du Palais de Tokyo et du Centre Pompidou, à Paris) nous plonge, grâce aux oeuvres d’artistes contemporains, au coeur même de ce Japon aussi troublant que fascinant. Son titre explicite le propos : Wabi Sabi Shima. Les trois mots convoquent des aspects fondamentaux d’une esthétique raffinée qui est aussi une manière d’être. Le premier terme renvoie à la simplicité (qui est aux antipodes du simplifié). Le deuxième évoque la patine (vécu comme un élément de la vie). Le troisième inclut le chaos dont les violences de la nature japonaise (comme écho à celle de tout un chacun), toujours inattendue, fait partie du quotidien.
Divers thèmes traversent ces trois notions mais habitent chacune des pièces choisies. Il s’en dégage des parfums délicats qui, à l’égal de la gastronomie japonaise, mêlent des saveurs et des sentiments parfois contradictoires. Le caractère d’étrangeté réside autant dans l’image que dans la manière de la réaliser. Ainsi, cette peinture à l’huile de Kaoru Usukubo qui montre une jeune femme (ou est-ce une enfant ?) agenouillée derrière une île miniaturisée. Au centre, se dresse une maison lumineuse vers laquelle l’héroïne se penche. Sa robe en soie, les rubans qui l’enserrent ainsi que le ciel bouché, le gris de la mer et l’aridité du sol convoquent une irréalité aussi énigmatique que tendre. Cette même étrangeté provient aussi de la technique quand, par exemple, Tomotaka Yasui sculpte dans le bois une jeune femme d’une immobilité absolue tout en la couvrant de laques dont la profondeur possède une qualité de vie aussi trouble que bien réelle. Ou qu’en accord avec la tradition, Yoshihiro Suda, lui, sculpte et peint avec la plus grande précision, ici une fleur de camélia, là une autre de magnolia.
La photographie n’est pas en reste avec, notamment, ce noir et blanc de Hiroshi Sugimoto : un détail, presque rien. Une serrure brillante de la portière rouillée d’une voiture depuis longtemps abandonnée. Dans l’exposition, Nathalie Guiot a aussi donné la parole à des artistes européens ayant vécu et subi le choc de cette culture si particulière. On songe, par exemple, au céramiste Maarten Vanden Eynde et ses bols à thé ou encore à Michael Whittle, basé à Kyoto, et ses dessins évocateurs des liens entre l’esprit et la nature.
Wabi Sabi Shima, à l’Espace H18 : 18, rue du Châtelain, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 24 mai. www.thalieartfoundation.org
Guy Gilsoul