Sous les étoiles de Nout… Au fil d’une grande exposition consacrée aux rites funéraires dans l’Egypte ancienne, le Musée du Cinquantenaire, à Bruxelles, nous dévoile les secrets des sarcophages égyptiens. Palpitant !
On le sait peu mais la section égyptienne des Musées royaux d’art et d’histoire, à Bruxelles, compte plus de 15 000 pièces acquises depuis la fin du XIXe siècle. Beaucoup d’entre elles demeurent dans les réserves. Et près de 95 % de ce trésor n’a jamais fait l’objet d’une publication. L’exposition proposée aujourd’hui au Cinquantenaire et le catalogue scientifique qui l’accompagne répondent à cette carence. Dans la première partie du parcours se développe une histoire qui s’étire sur près de 4 000 ans entre la première dynastie et la fin de l’époque romaine. Dans la seconde, le visiteur est invité à suivre les recherches en cours menées à la fois à partir des scans de momies réalisés en collaboration avec les cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles, et d’une campagne de restauration d’un ensemble de dix cercueils reçus en…1894. Entamée depuis plusieurs mois par une équipe italienne, cette dernière se prolonge en public durant les six mois de l’expo.
Voyage dans l’au-delà
Que se passe-t-il lorsque le coeur cesse de battre ? Dès les premiers rois égyptiens, existent des textes dits » des Pyramides » dans lesquels est explicité le voyage du défunt dans l’au-delà. Au fil des douze heures de la nuit, les épreuves se multiplient et les décors, sur les murs des tombes ou les cercueils, ont le pouvoir d’éclairer le mort dans sa quête d’Osiris, le soleil. La porte marque symboliquement cet instant du passage. Et c’est donc par une porte que le visiteur est aspiré et conduit vers un premier espace nocturne habité par des chants de lamentation et quatre petites statuettes de pleureuses. Dans la salle suivante, autour d’une première momie, ont été rassemblés les objets nécessaires au voyage : diverses offrandes, des bijoux, des miroirs mais aussi des représentations de rituels et de scènes funéraires avec leur cortège de divinités hybrides et symboles de première urgence. Quelques pas encore et nous passons sous un ciel nocturne dont l’étendue est occupée par une immense évocation de Nout, la déesse au corps étoilé qui aidera le défunt lors de ses épreuves. Sur un large écran défilent, en 3D, les objets les plus remarquables qui nous attendent dès la quatrième salle.
Les premiers cercueils de bois et de terre cuite, de petite taille (on plaçait le mort en position foetale) remontent au IVe millénaire. La momification se faisait naturellement grâce aux qualités du sous-sol. Ce ne sera plus le cas dès l’Ancien Empire, l’époque des pyramides de Gizeh. Désormais, ce sont bien des prêtres qui procèdent à la momification. Le corps, auquel les viscères furent retirés et remplacés par diverses herbes, est protégé par des amulettes, entouré de bandelettes puis allongé sur le côté gauche afin que son âme (son Bâ) puisse sortir par deux yeux (Oudjat) peints à la surface du cercueil. Les décors peints, parfois stuqués, se font plus denses au Moyen Empire comme le détaillent des panneaux pédagogiques.
Non loin, le visiteur attentif pourra s’arrêter ici devant de petits cercueils construits pour les figures féminines, souvent de faïence bleue, appelées Oushebti qui, à leur tour, accompagnaient le mort. Si à cette époque la forme des cercueils est rectangulaire, le Nouvel Empire innove en inventant… le plastron. On les appelle parfois des cercueils-pantoufles. En réalité, le haut du couvercle est divisé en deux parties inégales, la supérieure correspondant au haut du corps, la figure et les épaules. On glissait donc le défunt dans sa » boîte » en le plaçant désormais sur le dos, les bras croisés et en déposant, sur son corps, une planche à son tour décorée. Parfois, comme désormais le » voyage » n’est plus réservé qu’aux richesses des classes dirigeantes, le sarcophage est fabriqué en terre et le décor modelé dans un style plus grossier et inattendu.
De découverte en découverte
Poursuivant cette avancée dans le temps, l’exposition présente les fameux cercueils arrivés chez nous en 1894 à la suite d’une découverte extraordinaire sur le site de Deir el-Bahari. Trois ans plus tôt, sur le site de ce complexe funéraire, une équipe d’archéologues accède à une cache contenant 450 cercueils. Dans la précipitation, ceux-ci sont acheminés jusqu’au musée du Caire qui, débordé par cet afflux, décide d’en offrir à une vingtaine de grands musées parmi lesquels celui de Bruxelles. Mais voilà. Aucune observation n’a été faite sur le site, aucun relevé. Aucune étude. Un vrai désastre archéologique. D’où cette décision de Luc Delvaux, le conservateur de la section Egypte, d’entamer une étude et, en préalable, une restauration.
Certains de ces cercueils sont montrés, en entier ou fragmentés (cercueil extérieur, intérieur et planche de momie). D’autres ont rejoint le laboratoire disposé dans une avant-dernière salle derrière de grandes vitres. Mais avant de gagner cette partie réservée aux recherches en cours, on admire encore bien des pièces parfois curieuses, comme cette statue d’Osiris (exhumée en 1927 par Jean Capart) faite à partir de graines entourées de boue et recouverte de bandelettes. Ou encore, très attendu, cet ensemble de momies humaines et animales. Une tête, par exemple, volée voici peu dans les réserves et retrouvée chez un brocanteur… mais pas de corps, disparu à la suite d’une dissection commandée par le conservateur de l’époque. Un corps d’enfant aussi, noirci par les résines qui le protégeaient. Mais surtout des cercueils en bois, en bronze, dorés ou peints d’animaux dont on voit la présence des corps momifiés dans la salle suivante via les premières photos de scan obtenues aux cliniques Saint-Luc. Il y a là des chats, une mangouste, un faucon, des serpents, un scarabée et un chacal qui vient de révéler un inédit : la présence dans son corps évidé d’une main humaine. Cette découverte laisse les archéologues pantois. Décidément, l’Egypte n’a pas fini de surprendre.
Sarcophagi. Sous les étoiles de Nout, au Musée du Cinquantenaire, à Bruxelles. Jusqu’au 20 avril 2016. www.kmkg-mrah.be
Catalogue sous la direction des deux commissaires Luc Delvaux et Isabelle Therasse, éd. Racine.
Par Guy Gilsoul