Sa jeunesse : premier en tout mais très mauvais perdant
Le seul domaine dans lequel ses parents sont furieux de son comportement, c’est le sport. Charles Michel pratique plusieurs disciplines intensément : athlétisme, tennis, équitation… » Sur un terrain de tennis, j’avais envie de gagner à tout prix, s’amuse le Premier ministre. Je détestais perdre et quand je perdais, j’étais très fâché sur moi, je m’en voulais beaucoup. Alors que j’étais un enfant plutôt sage, il m’est arrivé de casser des raquettes. Les principales colères de mes parents contre moi étant enfant, c’était dans ces moments-là. Attention : j’étais fâché sur moi, jamais sur l’adversaire, c’est important de le préciser. J’étais convaincu que je pouvais faire mieux. » Il s’arrête, réfléchit un instant et ajoute : » Ce trait de caractère n’a peut-être pas changé… »
» Je l’ai connu neuf mois avant tout le monde ; et dans mon ventre, déjà, j’espérais en faire un petit sportif, tellement il bougeait, dit sa maman. Nous sommes tous les deux des gagneurs, je faisais aussi beaucoup de compétition. Mais moi, je ne râlais pas quand je perdais. » » C’est un adversaire parfois un peu emmerdant parce qu’il n’aime pas perdre, acquiesce son père. Quand il était battu au tennis par sa maman, c’était quelque chose, hein, il râlait des heures. » Malicieux, il ajoute : » Moi non plus, c’est vrai, je n’étais pas un bon perdant. Mais moi, au moins, je trichais. Lui pas… Au tennis, je criais « out » avant que la balle ne tombe. Et lui, il s’emportait : « Comment ça ? Elle n’est jamais out ! »… »
2000 : l’année où il tue son père
Le 17 octobre 2000, la carrière de Charles Michel connaît un coup d’accélérateur inattendu : il est propulsé au gouvernement wallon. C’est le plus jeune ministre que la Belgique ait jamais connu, tous niveaux de pouvoir confondus.
[…] En ce début octobre 2000, Charles Michel mange des pâtes au restaurant l’Adriatico, à Jodoigne, avec sa maman et sa petite amie de l’époque. Situé chaussée de Tirlemont, à deux pas de la maison familiale, c’est un pied-à-terre où ils se retrouvent souvent. Son père, vice-Premier du gouvernement fédéral, est une nouvelle fois absent : il se trouve à Bruxelles pour un énième marathon de négociation. Soudain, le téléphone sonne. Au bout du fil, c’est Daniel Ducarme, très sibyllin. » Charles, il faut que je te voie maintenant, au siège du parti à Bruxelles. Je ne peux pas te parler au téléphone. » » Sur le moment, j’étais angoissé, se souvient Charles Michel. C’était une période où mon père avait des problèmes de santé et j’étais convaincu qu’il avait eu un malaise. Je n’ose pas le dire à ma mère, je pars à Bruxelles avec une boule au ventre, sans me douter une seule seconde qu’il va me proposer d’être ministre. »
Daniel Ducarme le rassure très vite au sujet de son père : il va bien, il négocie. Puis, le président lui explique sa volonté de remanier le gouvernement wallon et de le nommer ministre. » Je comprends tout de suite ce que Ducarme fait, poursuit Charles Michel. Il avait une relation passionnelle avec mon père. Ils s’adoraient et ils se détestaient, c’était un lien pratiquement amoureux. Tous deux avaient des origines plutôt modestes dans un parti d’universitaires, ils avaient parfois été méprisés et cela avait créé une affection sincère. Mais Ducarme souffrait du poids de mon père comme vice-Premier : il n’avait pas la pleine plénitude de la présidence et mon père le lui faisait régulièrement sentir. En me faisant cette proposition, il montre qu’il est un vrai président de parti, il impose sa légitimité. En outre, il fait quelque chose de vicieux : en me désignant moi, il déforce mon père, il ouvre le champ des accusations de népotisme. Dans la seconde, je comprends tout ça. Mais je ne sais pas ce qui se passe dans mon cerveau, l’envie est trop forte et je lui réponds immédiatement que je vais le faire. »
2004 : les racines du ressentiment anti-PS
Au sein du MR, Charles Michel devient un héros aux yeux de beaucoup, c’est le chevalier blanc qui a osé affronter le démon rouge. S’il paye tout d’abord le prix de sa guérilla permanente par un retour dans l’opposition, il est écrit qu’il reviendra sur le devant de la scène. Renforcé. On l’a accusé d’avoir été arrogant, jamais d’avoir été un mauvais ministre : une victoire ! Il est déterminé à prendre sa revanche sur ce système socialiste qui a voulu le briser. Dans l’immédiat, le fils de Louis paye cher son enthousiasme de jeune ministre, d’un retour dans l’opposition. Et s’apprête à vivre de façon précoce une sérieuse traversée du désert. Comme si son père avait eu raison en craignant de le voir devenir ministre si tôt… Mais le PS, dix ans plus tard, recevra en retour la monnaie de sa pièce.
2004 : l’origine de la déchirure avec Reynders
Le 10 octobre, Didier Reynders prolonge sa filiation avec Jean Gol en mettant la main sur le parti. Il est le seul candidat. Son score est sans appel : 94,10 % des voix des membres. Son ambition ? » Porter le MR au niveau du PS dans le monde francophone. » Le slogan qu’il martèlera sans cesse deviendra célèbre : il faut » déplacer le centre de gravité en Wallonie « . A tout prix.
Il désigne Charles Michel » porte-parole » du parti, ce qui lui permet de démontrer que le parti reste uni. Surchargé aux Finances, il pourra aussi se décharger sur son jeune collaborateur. » Je me suis complètement fait avoir par Didier, reconnaît aujourd’hui Charles Michel dans un sourire. Quand il m’a expliqué la fonction, c’était quasiment un rôle de président intérimaire. Mais rapidement, c’est devenu une mission quasiment honorifique. » Didier Reynders veille à ce que l’ambitieux et hyperactif fils de Louis ne lui fasse pas trop d’ombre. Il le confine à des tâches subalternes et inintéressantes. Charles Michel n’a décidément pas le pouvoir auquel il aspire.
[…] » Cette période m’a rendu très polyvalent, dit-il aujourd’hui. Je pouvais autant parler d’une crise de l’immigration que de la sécurité sociale. Mais en coulisses, j’ai été très mal traité. C’est une période dont je ne garde pas de très bons souvenirs. L’entourage de Didier était très méfiant à mon égard. J’ai été invité aux deux premières réunions de staff, puis cela n’a plus été le cas. Il y avait sans cesse de petites vexations. » Ses proches collaborateurs, qui gravitent toujours autour de lui, se souviennent qu’ils occupaient des locaux sombres dans un coin retiré du siège du MR, rue de Naples. Pratiquement personne ne les saluait. Des pestiférés.
2009 : la source de la haine de Magnette
L’incident en question trouve ses racines dans un projet de Laurette Onkelinx, en charge de la Santé. Elle se dit favorable au lancement d’un projet pilote permettant de tester gratuitement la qualité des drogues dites » festives » afin de mettre un frein à ce fléau en plein développement. Charles Michel réagit publiquement, se déclarant » sidéré et choqué « . » Cette initiative est en décalage complet avec ce qu’il faut faire pour lutter contre les ravages provoqués par les drogues dures, et incohérent par rapport à la politique que nous menons en matière de Coopération, lance-t-il. Je prends l’exemple de l’Afghanistan où nous envoyons des militaires pour assurer la sécurité mais où nous soutenons aussi le développement de cultures alternatives à celle du pavot car le commerce de la drogue finance le terrorisme et la violence. Lancer un label de qualité pour des drogues dures, c’est donc aussi tout à fait incohérent. »
Laurette Onkelinx se dit à son tour » sidérée » par cette sortie. Mais le projet en question ne verra jamais le jour. Des années plus tard, Paul Magnette laissera entendre qu’il n’a pas avalé la pilule car cela témoigne de la méconnaissance par le libéral des réalités de sa région. » Charles Michel n’a sans doute jamais vu les ravages que font les nouvelles drogues de synthèse dans le Hainaut. Son attitude irresponsable a tué dans l’oeuf cette idée. Je ne lui pardonnerai jamais ! » Le CD&V, lui aussi, s’y opposait fortement, estimant » inacceptables » les opérations pilotes menées en Wallonie.
2010 : le divorce d’avec le FDF
Le FDF, allié au PRL depuis 1992, choisit clairement le camp de Didier Reynders. Aucun de ses représentants ne figure d’ailleurs dans la liste des rebelles. C’est le reflet de la méfiance maladive d’Olivier Maingain à l’égard des Michel, considérés comme des machines à conquérir le pouvoir, sans plus. Sur le mode : » On n’est pas dans un débat idéologique mais dans un jeu de pouvoir. Cette logique individualiste est typique de la culture libérale. Ce n’est pas la nôtre. »
Plus fondamentalement, le FDF fait davantage confiance à Didier Reynders sur le plan institutionnel. Le président est » correct dans ses engagements et fiable « . Francophile, aussi. Des atouts non négligeables à l’heure où le grand marchandage communautaire autour de l’arrondissement de Bruxelles-Hal- Vilvorde se prépare, sur fond de polémiques autour des bourgmestres non nommés de la périphérie bruxelloise.
[…] Olivier Maingain, président du FDF, estime que les attaques ( NDLR : Du » clan Michel » contre le » clan Reynders « ) étaient » brutales et vulgaires « . » Je me souviens d’une réunion au sommet, un soir au siège du MR dans l’après-élections 2010, raconte-t-il. Willy Borsus, l’homme qui était incontestablement chargé de sonner la charge, tente de faire croire que tout cela n’était inspiré que de bons sentiments et d’une volonté de rassemblement. Il commence, dans un style mielleux, obséquieux, faux-cul à mort : » Avec toute la considération que j’ai pour mes amis en politique… » C’était révoltant après tous les coups qui avaient été échangés. Daniel Ducarme, qui assistait à une de ses dernières réunions parce qu’il était gravement malade, a explosé instantanément : » Willy, ton estime, ta considération, je les crache par la fenêtre. » Le discours que Charles Michel diffusait de proche en proche pour avoir la main, c’était : un, avec Didier Reynders, vous ne retournerez jamais au pouvoir parce qu’il est banni par tout le monde ; et deux, on va remettre au pas le FDF, qui a beaucoup trop d’influence. »
2014 : le dimanche de rupture avec le PS et le CDH
Le dimanche 13 juillet dans l’après-midi, il réunit les responsables du PS et du CDH pour une réunion de la dernière chance, dans les locaux austères et défraîchis du MR à Namur. Certains ont critiqué une immixtion de l’informateur dans les affaires régionales, mais l’initiative de la réunion viendrait en réalité d’Elio Di Rupo, à ce moment coformateur du gouvernement wallon avec Paul Magnette. Sur la table, quelques mignardises. Charles Michel, seul, fait face à Benoît Lutgen et aux deux socialistes. L’informateur fédéral parlera plus tard d’un » dîner de cons « . » Ce fut une réunion au cours de laquelle on m’a pris pour un idiot « , confirme-t-il. Il a l’impression que l’on se moque de lui, Benoît Lutgen et Paul Magnette échangeant même des SMS entre eux au cours de la discussion. » Elio Di Rupo, lui, était plus taiseux, il me donnait l’impression de ne pas vouloir abîmer la relation avec moi, se souvient-il encore. Il était courtois alors que les deux autres étaient rigolards. Comme s’il se disait qu’un ou deux mois plus tard, il aurait besoin de moi, cela sautait aux yeux. » Lucide, Elio Di Rupo raconte : » J’espérais qu’une étincelle se produise. Mais c’était à mon avis un des repas les plus gelants de ma vie. L’atmosphère devait être aussi froide que dans un frigo où on met de la viande chez les bouchers… C’était inimaginable, en particulier entre Benoît et Charles, mais je sentais aussi que cela ne prenait pas entre Charles et Paul. C’est un repas qui a été probablement déterminant dans l’orientation prise par Charles Michel. » Il ne se trompe pas. […]
» Je dois être honnête, nous dit Charles Michel, dix mois plus tard, dans la résidence du Premier ministre. J’avais déjà avancé alors sur la suédoise, et même s’ils avaient accepté la tripartite avec le MR à tous les niveaux de pouvoir, je ne suis pas certain que j’aurais pris… On était déjà trop loin dans le processus et j’étais déjà excité par l’autre option qui était plus innovante, même s’il restait des obstacles. »
2014 : la liquidation de Reynders
» Tu dois savoir une chose : si ce n’est pas toi, c’est Reynders, poursuit Louis Michel auprès de son fils. Je vais te dire une chose, Charles : dans la minute où il va être Premier ministre, toi, tu vas retourner au parti parce que je ne te vois pas être ministre de Reynders. Tu auras beau être président de parti, avoir été informateur et formateur ; dans la minute, il va tomber sur toi une chape de solitude que tu ne peux pas imaginer. Même des gens qui te soutenaient vont basculer vers Reynders, parce que le pouvoir et les signes du pouvoir seront chez le Premier ministre. Tu ne te retrouveras même pas notaire de Reynders. Je ne te dis pas que tu dois accepter le poste de Premier ministre, c’est un choix que tu dois faire toi-même, mais tu dois quand même savoir ce qui va se passer si tu refuses. Tu auras fait gagner le parti deux fois, tu l’auras amené au gouvernement, tu auras obtenu le poste de Premier ministre, tu auras même sept ministres. Mais la seconde après qu’il ait prêté serment, compte sur Reynders pour faire savoir que c’est lui le chef du parti et que tu es une sorte de sous-notaire. C’est lui qui composera le gouvernement, tu arracheras peut-être un poste ou deux pour tes amis. Et il sera même en position de t’imposer de prendre des gens à lui chez toi pour te surveiller. S’il le veut, il a peut-être le parti en mains pour vingt ans. Fais ce que tu veux, mais tu ne peux pas non plus refuser au parti d’avoir le poste de Premier ministre. »
A l’issue de cette longue diatribe, Charles Michel rétorque, flegmatique : » Je sais, c’est une des raisons pour lesquelles je vais y aller. Reynders Premier ministre, cela n’a d’ailleurs jamais été une option pour moi dans ce momentum-ci… »
2015 : la réalisation d’un vieux rêve libéral
Si Charles Michel a finalement fait le choix de s’allier à la N-VA, au CD&V et à l’Open VLD, c’est après une rapide réflexion stratégique. Avec une conclusion évidente : ce cas de figure induit une nouvelle dynamique politique du côté francophone. Le MR devient » la seule alternative crédible » au PS. Un vieux rêve libéral.
» Je savais que dans un système proportionnel, cela allait donner lieu du côté francophone à une dynamique de débat de type majoritaire, acquiesce Charles Michel. Et donc à une dualisation plus grande entre le PS et le MR. Cela clarifie le jeu, cela clarifie le choix. C’est plus compliqué pour le CDH et Ecolo de vivre dans le débat médiatique dans une telle configuration : ce n’était pas mon but premier, mais c’est une conséquence de cela. Je vais peut-être vous surprendre, mais je pense que tous les politologues les plus brillants qui pensent que le MR et le CDH chassent sur les mêmes terres et le PS et Ecolo sur les mêmes terres se trompent. Je pense qu’il peut y avoir un transfert de voix massif du MR vers le PS ou du PS vers le MR. Je suis convaincu que c’est surtout au PS que l’on peut prendre des voix la fois prochaine, parce que le PS a une part de son électorat centriste, potentiellement flottant. Celui-ci est désorienté par le positionnement actuel du PS et, surtout, par la difficulté nouvelle du PS, d’avoir un pied dans la majorité et un autre dans l’opposition. Le paradoxe, c’est que c’est moins difficile pour nous cette fois-ci. »
2019 : l’objectif Michel II
Demain, pourrait-on avoir un gouvernement Michel II ? MR et N-VA pourraient s’entendre pour rempiler, évitant de la sorte le retour du PS au pouvoir. » De la même manière que l’on nous disait « kamikazes » quand on a commencé il y a dix mois, je n’étais pas très ému ; de la même manière, quand certains disent on est parti pour dix ans de suédoise, je ne le suis pas, c’est difficile à prédire « , répond Charles Michel.
Le Premier ministre n’exclut toutefois pas l’idée d’un Michel II : » C’est une possibilité. Si l’on sort conforté par les élections, on peut décider de continuer encore une fois pour aller plus loin dans l’implémentation des réformes, pour poursuivre le chemin, la trajectoire. C’est une possibilité, oui, mais ce n’est pas la seule. » Des propos qui risquent de faire jaser…
Charles Michel. Le jeune Premier, par Olivier Mouton, Racine, 256 p.
Les intertitres sont de la rédaction.