C’est arrivé près de chez vous
Si C’est arrivé près de chez vous se présente comme une parodie à la fois macabre, hyperbolique et effrayante des émissions de télévision qui érigent en spectacle voyeuriste la misère des gens, les déviances des sociétés contemporaines et les irréparables catastrophes qu’elles entraînent (le thème désormais éculé du tueur en série), il est aussi une oeuvre en abîme, le réalisateur Rémy Belvaux se mettant lui-même en scène et allant, dans l’une ou l’autre scène, jusqu’à se moquer de lui et de son propre film, de ce que j’appellerais son OCNI. En clair : un objet cinématographique non identifié. Mais cet OCNI est, très vite, devenu un OCI, tant il est vrai qu’il constitue une date importante, décisive, dans l’histoire moderne du cinéma belge et, plus particulièrement, dans l’histoire du cinéma belge de langue française. […]
Franquin
Pour ce qui me concerne, je n’ai pas le sentiment qu’André Franquin (1924 -1997), le créateur du Marsupilami, soit un meilleur dessinateur que Hergé (ils sont nés tous les deux dans la commune bruxelloise d’Etterbeek). Je crois plutôt qu’il est meilleur cartooniste et suis convaincu que son sens de l’humour est beaucoup plus aiguisé que celui du créateur de Tintin, ainsi que le prouvent tous ses dessins et ses bandes dessinées, où figure Gaston Lagaffe. Sous des apparences tour à tour inoffensives, gentilles, plaisantes et anodines, l’humour d’André Franquin a quelque chose de subversif et d’anarchique, quand il ne l’est pas purement et simplement. Du reste, la naissance même du personnage de Gaston Lagaffe aujourd’hui légendaire est subversive et anarchique, puisque aussi bien il apparaît pour la première fois dans les pages du journal Spirou en date du 28 février 1957 sans aucun mot d’explication, sans aucune légende, sans que son nom soit mentionné – un drôle de gus, un rien coincé, semble-t-il, portant un large noeud papillon et vêtu d’un étroit veston bleu, dans l’embrasure d’une porte vitrée sur laquelle on lit » Spirou Rédaction « . Pourquoi est-il là ? Mystère. […]
Liège
Si les Liégeois sont en général bienveillants, courtois et serviables, ils aiment toutefois cultiver une certaine impertinence, et même une impertinence certaine, à l’image de Tchantchès, la marionnette typique qui a droit à son musée depuis 1948, rue Surlet dans le quartier d’Outre-Meuse, et qui incarne depuis des lustres l’identité et le caractère liégeois, mélange d’insolence, de sagesse populaire, de gouaille, de bon sens, de chauvinisme, d’humanité, de raillerie, de bonhomie. Cette impertinence se manifeste surtout dans le domaine des arts plastiques. Je songe en particulier à des créateurs tels que Jacques Lizène, Jacques Louis Nyst, Eric Duyckaerts, Benjamin Monti, Pol Pierart, Capitaine Lonchamps (un pseudonyme), Xavier Mary (il aime recycler artistiquement des pneus, des panneaux de signalisation ou des enseignes publicitaires) ou encore Jacques Charlier, qui forment ce que j’appellerais l’école liégeoise de l’impertinence ou l’école liégeoise de l’irrévérence, pour reprendre ici le mot d’une exposition à laquelle ils ont participé au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, du 18 mars au 29 mai 2011, et qui s’intitulait L’Art de l’irrévérence. […]
Rubens, Pierre Paul
Pierre Paul Rubens (1577-1640) est probablement la figure belge la plus célèbre à travers le monde – le peintre belge archétypique. Qui pourrait lui disputer ce statut ? Peut-être certains de ses lointains émules, comme René Magritte ou, dans une déclinaison artistique qu’il n’a pas pu connaître, Hergé, mais ce n’est pas sûr. » Toute sa vie il joua de bonheur « , a dit l’excellent auteur resté anonyme de la copieuse monographie de plus de cinq cents pages, Pierre Paul Rubens, l’oeuvre du maître, parue à la librairie Hachette, en 1912. » Le succès lui vint rapide et incontesté ; de son vivant il goûta les charmes d’un triomphe que la postérité devait consacrer. Il n’eut pas de rival, Van Dyck et Jordaens, ses élèves, étant restés des amis fidèles et des émules respectueux. Vénéré par ses compatriotes comme une gloire nationale, il fut admiré par les étrangers comme un maître universel. […] Enfin il put jouir, et son oeuvre jouit encore du privilège si rare d’être admiré par la foule comme par les connaisseurs. » Être admiré aussi bien par la » foule » que par les » connaisseurs « , n’est-ce pas justement le propre du génie ? […]
Stromae
De quoi perdre la tête. De se croire plus doué que les autres. De se prendre pour un nouveau Johnny Hallyday. Ou, justement, pour une réincarnation de Jacques Brel – ritournelle que les médias commenceront alors à entonner à la moindre occasion et qui n’arrêtera plus de coller à la peau – à la réputation – de Stromae. » Un Brel métis « , ai-je même un jour entendu à la radio. Mélange irréprochable, dans la musique et les paroles, d’une certaine Belgique farcie de belgitude (?) et d’une Afrique certaine, loin, très loin des images triviales de Tintin au Congo, des préjugés xénophobes et des considérations racistes. Ce qui situerait Stromae au sein d’une famille de chanteurs belgo-africains de la même génération que la sienne aux côtés, par exemple, de Baloji (Serge Baloji Tshiani) ou de Jali (Jean-Pierre Ntwali Mucumbitsi), qui a connu pour sa part un bel accueil, en 2011, avec son album Des jours et des lunes et des chansons telles qu’Española ou la très mélancolique et très mélodieuse Rien de neuf sous le soleil. Ou encore de Sarah Carlier, dont les chansons pop soul ressemblent à des messages envoyés par SMS. […]