La première
» Ma toute première petite annonce publiée dans Libération date du 27 mars 1979 : « ALLÔ MAMAN HOMO – Aussi doucement et tendrement désespéré que Souchon, avec l’envie de se battre de Lavilliers, garçon disponible attend garçon disponible. Contact : BP 143 – 1000 Bruxelles ». »
La solitude provinciale
» Le 24 novembre 1984, Libé publie une de mes annonces. Pendant les trois mois qui suivent, je corresponds avec l’un de mes « répondeurs », Hervé.
Résultat : un voyage en train Bruxelles-Pont-Audemer pour lui rendre visite. Je vous dévoile, avec son accord, l’intégrale des six courriers (comportant quelques fois plusieurs lettres) qu’il m’a écrits à la main et qu’il m’a envoyés par la poste, durant cette si longue attente.
Ce témoignage permet de découvrir à quel rythme le désir enflait à l’époque, avec quelles confidences et quels non-dits, mais il nous montre également comment un jeune homosexuel, au milieu des années 80, se débrouillait pour vivre sa sexualité différente dans une petite ville française, sans que sa famille n’en soit vraiment au courant. »
Réminiscence de Mort à Venise
» J’entendais les flots lointains de la mer, le brouillard des voix, les cris des baigneurs. Comme la bande-son de Mort à Venise.
Avec ton torse imberbe, le soleil joue lanterne magique. Les ombres minuscules d’insectes s’amusent sur ton corps adolescent. Le désir monte comme une odeur.
Voyage exténuant. Début de la nuit dans ce train. Moiteur du compartiment bondé. En face de moi, un jeune homme parle allemand. Cheveux blonds et courts. Un visage blanchâtre, un peu rose. Petit à petit, deux regards qui se croisent. Mais… Vite, vite ! Surtout ne pas se fixer. Croisements qui se répètent. Soif du regard. À l’affût. Nos yeux sont de petits animaux. Nos yeux sont des chasseurs.
Tu buvais un verre, accoudé au bar. On s’est parlé, je ne sais plus pourquoi, ni comment. Cela a duré plusieurs heures. Je sentais que tout est possible. Une sorte d’énorme liberté. Alors, besoin de séduire. Se découvrir très fort, très bien.
Nos passés et nos avenirs, nos rêves et nos ennuis : tout défile.
Tu m’as dit que tu avais 22 ans et que tu ne savais plus où tu en étais.
Lundi dernier, pour la première fois de ta vie, un autre homme t’avait caressé.
Tu m’as offert à boire. On s’est assis. Un instant, mes lèvres ont frôlé ton cou. Je ne sais plus si c’est toi qui as commencé ou s’ils ont été à la rencontre l’un de l’autre… mais nos doigts ont très indiscrètement voisiné sous le coin de la table. »
(A suivre…)
BP14 – Ixelles 4 – 1050 Bruxelles.
Fait divers
» L’annonceur m’indique qu’on peut se retrouver chez lui, et me file son adresse. Cela ne se fera pas dans l’immédiat et, quelques semaines plus tard, je me sens associé, malgré moi, à un fait divers gravissime.
La vie est un roman, et parfois un cauchemar. Comme chaque matin, chez mon libraire, je survole les premières pages des journaux du jour. Ce jour-là, je découvre immédiatement, imprimé en très grand, à la » une » de l’un d’eux, sa photo où il est pris de face. Il est mort et la maison où il habitait a été ravagée par les flammes.
Mais est-ce bien lui ? Sans mot dire, j’achète le canard funeste messager et rentre derechef à la maison. La victime, c’est bien lui. Ma lecture plus approfondie me permet de découvrir qu’il s’agit bien de la rue qu’il m’avait indiquée. De nombreux coups de couteaux lui ont ôté la vie. Etrange sensation que d’éprouver une forte compassion pour une personne avec qui on n’aura jamais l’occasion d’échanger un regard.
Sur son profil de dragueur, reste indiquée de façon automatique la date de son dernier passage : c’était deux jours plus tôt, par rapport à la date du journal qui annonce son assassinat. Ultime journée qu’il lui resta pour gambader. »
Les intertitres sont de la rédaction.