Les gouvernements doivent-ils délibérément augmenter leurs déficits pour compenser la faiblesse de la demande et des investissements privés ? Ou doivent-ils plutôt réduire les dépenses publiques afin de rendre de l’argent disponible pour les dépenses privées et rétablir la confiance des investisseurs privés ? En fonction de la théorie macroéconomique – keynésienne ou néolibérale – en laquelle on croit, l’une ou l’autre approche est présentée comme LA voie de la relance. Les arguments avancés par chacun des deux camps – par des responsables politiques ou des professeurs renommés (il y a des Prix Nobel d’économie de part et d’autre) – le sont souvent » hors contexte » institutionnel.
Ainsi, lorsque des partisans d’une relance par les dépenses publiques citent l’exemple américain à l’appui de leur thèse. Certes, la politique de relance aux Etats-Unis a débouché sur une reprise plus rapide et plus vigoureuse de la croissance. Mais cette politique a été menée à partir du budget fédéral lui-même largement financé par la banque centrale. Ce n’est pas la Californie ou le Texas qui a mené une politique de relance. Car chaque Etat, individuellement responsable de l’équilibre de ses finances publiques, sait qu’il ne pourra pas faire appel au fédéral s’il éprouve des difficultés pour assurer le service de sa dette. Lorsque, au début du siècle, la Californie et l’Illinois se sont retrouvés dans de sérieuses difficultés budgétaires, il n’a pas été question que les autres Etats ou le gouvernement fédéral viennent à leur secours. A la suite de la crise financière, les budgets des Etats et des pouvoirs locaux aux USA ont, comme dans la zone euro, joué un rôle procyclique, ils ont donc connu des restrictions en période de récession. Mais cela a été plus que compensé par la politique anticyclique du gouvernement fédéral. C’est la situation dont rêvaient les » delorsiens » lorsqu’ils déclaraient : » Aux Etats l’austérité, à l’Europe la relance. »
Nous n’en sommes malheureusement pas là ! Il n’y a pas de budget de la zone euro. Le budget de l’Union européenne est dérisoire ; il pèse à peine 1 % du PIB de l’UE alors que le budget fédéral des Etats-Unis représente près d’un tiers du PIB. Pis, le Conseil européen a décidé en pleine crise de réduire le budget européen, avec un argument idiot : » Puisque les Etats doivent se serrer la ceinture, l’UE doit le faire aussi. » Juste le raisonnement inverse de celui qui a permis la relance aux Etats-Unis ! En outre, le petit budget européen doit toujours être en équilibre alors qu’aux Etats-Unis, le déficit est grimpé à 12 % du PIB en 2010. Enfin, il est interdit à la BCE de financer les institutions européennes alors que la Federal Reserve finance le gouvernement américain pour des montants considérables.
Dès lors, privées des instruments traditionnels de relance, les autorités de la zone euro ont recherché des formules de substitution. Le Plan Juncker d’investissements stratégiques, s’il réussit à mobiliser des fonds privés dans la proportion annoncée, devrait constituer un progrès significatif, mais encore insuffisant. En réalité, comme cela est timidement reconnu dans le dernier » rapport des présidents » des institutions européennes, la zone euro a besoin d’une » capacité budgétaire » propre, sinon pour disposer d’un instrument contra-cyclique à l’instar du budget fédéral américain, du moins pour aider les Etats de la zone euro à absorber des chocs asymétriques.
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par Philippe Maystadt