Entre vaudeville et utopie

Louis Danvers Journaliste cinéma

Le tandem Ducastel-Martineau aborde la confusion sexuelle avec humour, piquant, mais aussi émotion, dans un Crustacés et coquillages aux couleurs multiples

(1) On pense surtout à Alain Resnais ( On connaît la chanson) et François Ozon ( Huit femmes).

Gay et pas triste, le cinéma d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau fait son petit bonhomme de chemin avec un bonheur certain, depuis la révélation touchante que fut Jeanne et le garçon formidable, en 1997. Le sympathique duo donne à ses choix û parfois audacieux mais jamais fermés au public populaire û une liberté de ton, une musicalité aussi, que ces grands admirateurs de Jacques Demy pratiquent avec élégance, tout comme ils savent manier l’humour et l’émotion, l’esprit et une sensualité certes marquée par une orientation homosexuelle, mais qui s’ouvre assez largement à l’univers hétéro pour ne pas glisser vers le ghetto culturel.

Leur nouvel opus, Crustacés et coquillages, tire son titre d’une ancienne tendresse pour La Madrague, chanson autrefois interprétée par Brigitte Bardot. Un titre qui annonce aussi les vacances, et esquisse un petit côté explorateur des drôles d’animaux que nous pouvons être, quel que soit notre itinéraire amoureux et la plus ou moins grande franchise de nos désirs intimes.  » Au départ, explique Jaques Martineau, nous avions cette envie de parler d’un personnage d’homme dans la quarantaine, marié et père de famille, mais qui a connu dans sa jeunesse une très belle histoire avec un garçon qui réapparaît soudainement dans sa vie, moment à partir de quoi tout part en vrille…  » A partir de ce premier élément, et du choix û dès l’entame û de Gilbert Melki pour jouer le rôle principal, le tandem a progressivement imaginé une intrigue à caractères nombreux et rebondissements multiples.  » Nous avions un désir de franche comédie, poursuit le volubile Martineau, car, même s’il y avait de la drôlerie dans nos films précédents û en particulier Drôle de Félix û, nous trouvions délicieux de faire rire sans complexe ! C’était aussi, je crois, une manière de ne pas s’abandonner à la dépression qui guette tout réalisateur qui éprouve des difficultés à concrétiser un projet, ce qui était û je ne vous le cache pas û notre cas…  »

Musicalité

 » Quand nous imaginons un film à venir, on se lance des idées l’un à l’autre, on se parle beaucoup, mais on ne prend pas de notes, on accumule simplement des images, des personnages à partir desquels, à un moment donné, Jacques commence à écrire « , explique Olivier Ducastel en décrivant un processus créatif où  » dès le premier jet de scénario, l’élan qui marquera le film achevé est déjà bien présent : on travaille bien sûr ensuite les détails, à partir du script de Jacques, mais le ton y est déjà donné, de manière décisive. Y compris cette musicalité dont on nous fait souvent la remarque qu’elle est une des caractéristiques de notre travail.  » Jacques Martineau avoue parfois penser en termes musicaux lorsqu’il rédige un scénario :  » Quand j’écris, j’entends des rythmes plutôt que du contenu (je ne crois pas que le contenu soit si important que cela au cinéma), je perçois des rythmes de conversations, des façons de parler. Plus tard, les acteurs apporteront encore des variations infinies à cette matière rythmique dont nous prenons soin qu’elle soit différente de film en film. Crustacés et coquillages allant, par exemple, en accelerando.  »

Grands admirateurs de Jacques Demy, le génial créateur des Parapluies de Cherbourg et des Demoiselles de Rochefort, Ducastel et Martineau n’ont pas pu résister à la û belle et louable û tentation d’introduire des scènes  » en chanté  » dans leur nouveau film.  » Nous venions d’échouer à  » monter  » un projet de vraie comédie musicale, qui aurait été un film pour enfants, explique le longiligne Ducastel, alors il n’était pas question de faire de Crustacés et coquillages un musical ! Mais on ne se refait pas et, pour certaines séquences, où les solutions traditionnelles ne nous satisfaisaient pas, nous avons fini par les transformer en numéro musical. C’était aussi une manière pour nous de répondre aux autres cinéastes français qui, depuis quelques années (1), utilisent des chansons dans leurs films…  »

Désir et harmonie

Crustacés et coquillages explore avec art et sensibilité les questions liées à l’identité sexuelle. Il le fait de manière subtile, comme quand Béatrix (Valeria Bruni-Tedeschi) confie à son mari Marc (Gilbert Melki) qu’elle soupçonne leur fils Charly (Romain Torrès) d’être  » pédé « .  » Tu ne vois pas ça ? » s’étonne-t-elle, stupéfaite de la supposée cécité de son époux alors que c’est elle-même qui se trompe. Non seulement Charly n’est pas homosexuel (au grand désespoir de son copain Martin), mais c’est Marc qui est bisexuel sans qu’elle en sache rien ! Au petit jeu des erreurs et des malentendus, Martineau et Ducastel se révèlent fort habiles, et leur film allant crescendo réserve au spectateur son lot de surprises et de bifurcations. Le tout dans une amusante surenchère de portes qui s’ouvrent, se ferment et, surtout, claquent façon vaudeville…

 » Nous n’avons pas voulu détourner le vaudeville, commente Jacques Martineau, mais plutôt réinvestir ses codes avec la matière que nous souhaitions traiter. C’était inconscient, jusqu’au moment, au début du tournage, où un acteur a claqué une porte. Nous nous sommes dit : ô Voilà, c’est ça !  » et, depuis ce moment, nous avons dit à chaque comédien qu’il pouvait y aller joyeusement dans le claquage de portes. Ce dont aucun ne s’est privé !  » Les yeux des deux réalisateurs brillent d’une lueur complice alors que revient ce souvenir. L’enthousiasme et le plaisir sont bien les maîtres mots d’une démarche cinématographique n’ignorant certes pas une certaine gravité, mais assumant clairement et avant toute chose une volonté de divertir avec  » une surface réjouissante, sous laquelle affleure çà et là l’émotion « .

Ducastel et Martineau ne sont pas comme ces nombreux collègues chez qui l’irruption des désirs au-delà des tabous moraux, familiaux et sociaux, engendre forcément le drame, voire la tragédie.  » Nous voulons imaginer que de la réalisation des désirs puisse naître une certaine harmonie, imparfaite évidemment mais tout de même positive. C’est notre façon d’être des utopistes « , conclut Olivier Ducastel avec un sourire. Par ses facettes multiples, ses ruptures de ton, sa construction millimétrée et néanmoins ouverte aux instants de dérive, Crustacés et coquillages invite à une partie de plaisir pimentée de burlesque et semée de moments poignants. Une interprétation de grande qualité (Jacques Bonnaffé, aussi, en amant lassé d’être confiné à l’ombre) achève de faire de ce petit film pétillant une assez jolie réussite.

Louis Danvers

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