Le Vif/L’Express : Vous briguez, à 74 ans, un nouveau mandat de bourgmestre. Pourquoi ne pas vous arrêter ?
Philippe Moureaux : La raison, c’est un attachement à ma commune, Molenbeek, devenu viscéral après vingt ans de maïorat. J’ai hésité avant de me représenter. Il y avait en moi une hésitation entre mon confort personnel et cette conception de la politique au service des autres. Entre les deux, mon c£ur balance. J’ai aussi interrogé ma santé. En fin de compte, je suis reparti pour un nouveau challenge.
Votre expérience est-elle valorisée au Parti socialiste ? Ou avez-vous le sentiment qu’on vous considère comme dépassé ?
Il y a des deux. Je suis parfois valorisé, et surtout utilisé par mon parti. Notamment dans les matières institutionnelles. Je suis un peu le chien de garde PS à la commission des Réformes institutionnelles du Sénat. C’est un boulot que j’aurai fait pendant quarante ans. Et puis, il y a mes opinions très à gauche, mises en avant par le parti à certains moments, dérangeantes à d’autres.
Quelle est l’évolution qui vous marque le plus depuis votre entrée en politique ?
Il y a moins de convictions, plus de » voyons comment le vent va tourner « . Naguère, les partis tenaient bien sûr compte de l’opinion publique, mais ils considéraient aussi qu’ils avaient un rôle éducatif à jouer. Je ne le trouve plus beaucoup dans la politique actuelle, ce rôle éducatif.
Dans une interview, vous avez comparé le pouvoir à une drogue. Que vouliez-vous dire ?
Je parlais récemment avec Marcel Cheron (Ecolo), qui fait beaucoup de jogging. Je lui demande : ce n’est pas un peu une drogue ? Il m’a répondu que oui, il y avait de ça. Apparemment, il a été prouvé que le cerveau libère des substances pendant la course, ce qui fait que le sportif ressent un manque s’il s’arrête pendant un certain temps. Il existe peut-être un phénomène similaire dans l’excitation du pouvoir, dans la réussite et les échecs. Je ne suis pas le meilleur exemple, car je suis un homme de convictions. Mais quand on voit certains qui n’ont pas beaucoup de convictions et qui s’accrochent, là on se dit que c’est davantage la drogue du pouvoir qui les anime.
Vous pratiquez une rhétorique brutale, rugueuse, voire outrancière. Vous-même reconnaissez que votre style a » vieilli « . Question de génération ?
C’est plutôt une idée qui court : surtout ne pas faire de vagues, peser cinq fois ce qu’on va dire, demander conseil. Peut-être que les gens finiront par s’en lasser et demanderont des opinions plus claires. On vient de le voir en France. En étant plus tranchant que la plupart des élus actuels, Mélenchon a quand même rallié une part non négligeable de l’électorat.
ENTRETIENS : F.B.