Enfance entre enfers et paradis

Guy Gilsoul Journaliste

La réalité de l’enfance a toujours interpellé les artistes. Dans une exposition haute tension s’entremêlent les époques et les regards.

Des enfants doux comme des images, il y en a. C’est sûr. On les découvre, bien habillés, soignés et patients dans les tableaux peints hier par Fernand Khnopff, Henri Evenepoel ou Permeke. C’est charmant, toujours baigné dans une belle lumière chaude et rassurante. On pourrait s’en contenter et découvrir le même idéal de fraîcheur et de douce rêverie dans les photographies récentes signées Hubert Grooteclaes ou Steve Hart. Certes, le spectacle navrant des fillettes, candidates bling-bling au titre de miss d’un jour jouant aux séductrices devant l’objectif de Susan Anderson n’appartient pas à la même catégorie. Leur sourire désigne l’empreinte malsaine d’une société du spectacle formaté et contestable.

On peut donc aussi s’émouvoir. Au XIXe siècle industriel, les peintres De Braekeleer, Jacob Smits ou Pierre Jacques Dierckx ont peint, avec beaucoup d’empathie souvent, les enfants mis au travail et ces autres, malades, mourants ou orphelins. A son tour, mais dans les années 1930, on doit au photographe Willy Kessels de profonds témoignages sur le quotidien des enfants pauvres. Aujourd’hui, d’autres plasticiens évoquent les enfants soldats d’Afrique ou ces autres, déracinés, drogués et prostitués, provocateurs et souriants, que Sergey Bratkov, par exemple, suit jusque dans les lieux les plus sordides de la Russie actuelle. Rien n’aurait-il changé au pays des enfants dociles ?

Parfois, l’enfant est suivi durant de longues années. L’artiste peut alors approcher et révéler les lentes et progressives transformations qu’impose le jeu de la société sur l’apparence, les gestes, les attitudes et les expressions de l’enfance. Ainsi les séries de portraits de Rineke Dijkstra (avec une rescapée bosniaque) ou Alessandra Sanguinetti qui, durant cinq années, a suivi deux s£urs de 9 et 12 ans vivant dans un village d’Argentine.

Mais cela grince aussi lorsque, quittant la sphère sociale, on gagne celle, plus secrète, du rapport entre l’artiste et sa propre enfance, entre lui et sa progéniture. Quand, par exemple, Yu Xiao, par l’artifice des truquages, construit une silhouette hybride dans laquelle son propre visage d’adulte rejoint son corps de petite fille. Ou alors le contraire, plus provocateur, proposé par Edith Maybin qui suggère des scènes intimes dans lesquelles le visage de sa propre fille a été posé sur le corps en petite tenue, de la photographe. Parfois aussi, l’artiste se met à jouer  » comme  » un enfant. A l’heure du modernisme, combien de peintres ne se sont pas inspirés des graphies enfantines ? Dans l’exposition, quelques exemples, signés Miró et Paul Klee, nous le rappellent. D’autres visent à rendre visible l’univers irréel de l’enfant quand, emporté par le jeu, il devient un autre. Oleg Dou propose ainsi un portrait d’enfant Bambi, associant la blancheur laiteuse et intemporelle du visage et deux petites cornes d’un rouge de velours fichées dans le crâne. Dans un coin de l’exposition, un immense bébé sculpté par l’artiste hyperréaliste Ron Mueck sourit, les yeux grands ouverts. Nu, rondouillard, en pleine santé. Il ne sait rien encore de ce qui l’attend… De ce que la société et ses parents vont lui demander, lui inculquer, lui imposer. Il ne sait rien de ses rêves à venir. Mais il nous fixe, intensément.

Gevaarlijk jong, enfant en danger, enfants dangereux, Musée du Dr Guislain, Guislainstraat 43, à 9000 Gand. Jusqu’au 20 mai 2012. Du mardi au vendredi, de 9 à 17 heures. Les samedis et dimanches, de 13 à 17 heures.

www.museumdrguislain.be

GUY GILSOUL

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