En Tunisie, la démocratie dans la cible

Héritées de la dictature Ben Ali, police et armée sont mal équipées pour lutter contre la menace terroriste.

En Tunisie comme ailleurs, le groupe Etat islamique ne choisit jamais ses mots au hasard. Dans un communiqué, l’organisation djihadiste s’est félicitée que Seifeddine Rezgui, le terroriste qui a tué 38 personnes sur une plage de Sousse, à 140 kilomètres de Tunis, ait  » atteint sa cible « . Après quoi l’auteur du texte, perfide, a ajouté ces quelques mots :  » […] en dépit des mesures de sécurité « . Et pour cause. Trois mois après la tuerie, dans la capitale, du musée du Bardo (22 morts, dont 21 touristes étrangers), les failles sécuritaires du pays sont à nouveau pointées du doigt.

Depuis l’apparition au grand jour de la menace djihadiste, il y a plus de trois ans, la question de la sécurité est restée le maillon faible des gouvernements successifs. Les autorités ont tardé à prendre la mesure de la menace terroriste. A l’époque, les islamo-conservateurs du parti Ennahdha, au pouvoir entre 2011 et janvier 2014, sont accusés d’avoir laissé prospérer, par leur laxisme, les groupes radicaux. Après l’attentat du Bardo, en mars 2015, une forme de déni s’est développée chez les nouveaux dirigeants, dans l’espoir, sans doute, de sauver une saison touristique en chute libre. Presque tous les mois, pourtant, policiers et militaires sont tués lors d’accrochages avec des djihadistes qui ont trouvé refuge dans les maquis montagneux proches de l’Algérie. D’autres viennent de la Libye voisine, en proie au chaos, où le groupe Etat islamique étend peu à peu son emprise. Avec un risque de contagion, tant la frontière, longue de 200 kilomètres, est poreuse et livrée aux trafics.

Depuis quelques mois, des mesures sont prises pour rassurer les touristes. Des herses et des blocs de ciment protègent les accès aux bâtiments publics les plus sensibles et aux ambassades. Dans les stations balnéaires, la présence policière a été renforcée. Nombre d’hôtels sont poussés à appliquer des normes de sécurité, inexistantes il y a encore un an : scanners de détection métallique, caméras de surveillance, vigiles… La prise de conscience du secteur remonte à 2013, lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser sur la plage d’un hôtel à Sousse, sans faire de victimes.  »

Dans les faits, pourtant, la vigilance des premiers temps s’est peu à peu relâchée. Ainsi, au musée du Bardo, deux semaines à peine après l’attentat, des visiteurs ont relevé que la police manquait de vigilance dans ses contrôles. Aux checkpoints déployés à l’entrée des villes, y compris dans des zones sensibles, telles que Kasserine, les vérifications sont d’une rigueur très variable. Lors de la tuerie de l’hôtel Riu Imperial Marhaba, à Sousse, le 26 juin, le terroriste a eu le temps de parcourir l’établissement, avant d’être abattu par les forces de l’ordre, trente minutes après le début de l’attaque.

Pour la jeune démocratie tunisienne, le défi est vital – 7 % du produit intérieur brut provient du tourisme, qui emploie près d’un demi-million de personnes. Le nouveau président, Béji Caïd Essebsi, a frappé à toutes les portes afin d’obtenir de l’aide. Car la police et l’armée sont mal équipées pour lutter contre cette menace récente : ni l’une ni l’autre n’ont été formées à cela. L’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir en janvier 2011 après vingt-trois ans de règne autoritaire, exigeait avant tout une police politique aux ordres. L’armée ne comptait pas.

Le ministère de l’Intérieur déchiré par des luttes internes

Bras armé du pouvoir sous Ben Ali, le ministère de l’Intérieur est déchiré par des luttes internes, qui affectent l’organisation des services :  » Une nouvelle génération arrive, mais elle n’a pas encore chassé l’ancienne « , rapporte un policier. Le besoin de professionnalisation devient urgent. Après l’attentat du Bardo, la France a renforcé sa coopération : échange de renseignements, audit des services, formation et conseil en équipements…  » Tout est à faire, car la police doit réapprendre les fondamentaux : maîtriser son territoire et contrôler les frontières, souligne un expert. Il s’agit non pas de fliquer à nouveau, mais d’instaurer la démocratie.  » Pour cela, elle doit aussi reconquérir la confiance de la population.

C’est tout l’enjeu des prochains mois. La tentation sécuritaire existe toujours dans une partie de la classe politique, dominée par le parti au pouvoir, Nidaa Tounès, dont des membres sont d’anciens partisans de Ben Ali. Confrontées à une menace sans précédent, les autorités tunisiennes durcissent le ton et promettent un train de mesures  » douloureuses, mais nécessaires « . Le Premier ministre a notamment annoncé la fermeture des mosquées hors de contrôle – ce qu’il avait déjà promis après l’attaque du Bardo – et de revoir la loi sur les associations.

Romain Rosso, avec Elodie Auffray (à Sousse)

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