» En Somalie, la solution est politique »

L’ex-président de l’association Médecins sans frontières réagit à la menace de famine dans ce pays de l’Est du continent en proie à la violence.

Dix millions de personnes seraient aujourd’hui menacées de famine dans la Corne de l’Afrique et notamment en Somalie, un pays exsangue après des années de guerre. Les humanitaires peuvent-ils intervenir dans une zone de non-droit ? Oui, affirme Rony Brauman, mais à certaines conditions. Et ils doivent parfois savoir renoncer.

Le Vif/L’Express : En Somalie, le pouvoir central ne contrôle qu’une faible partie du territoire. Que peuvent faire, dans ces conditions, les organisations humanitaires pour lutter contre la famine ?

Rony Brauman : Le principal problème des organisations humanitaires, ce n’est pas l’absence d’Etat, mais la sécurité de leurs personnels. En général, dans ce type de conflits, quand le gouvernement central n’est plus un interlocuteur ou qu’il ne contrôle plus certaines régions, il existe une autorité de facto, avec laquelle les ONG peuvent traiter. Dans le nord de la Somalie, cela fait ainsi plusieurs années que Médecins sans frontières (MSF) traite avec les groupes locaux. Mais ce genre d’entente n’est pas possible dans le Sud, faute d’accord sur la sécurité avec les shebab qui tiennent le terrain. L’action humanitaire s’effectue alors en remote control. L’ONG fait appel à des intermédiaires locaux. Ce n’est pas la panacée, car la distance avec le théâtre des opérations ne favorise pas la bonne évaluation des besoins, pas plus qu’elle ne permet de s’assurer que l’aide va bien à ceux auxquels elle est destinée.

En 1997, vous expliquiez que, pour intervenir, il fallait qu’une situation réunisse trois critères :  » La liberté de se déplacer sur le territoire, d’évaluer les besoins et de dialoguer sans contrôle.  » Si ces critères n’étaient pas respectés,  » il [fallait] savoir renoncer « . Ces critères existent-ils aujourd’hui en Somalie ?

Il faut voir ces critères dans une perspective dynamique. En fonction de l’amélioration ou de la dégradation de ceux-ci, il faut aviser. Dans le cas précis, les déplacements sont plus que limités, les contacts avec la population sont pratiquement impossibles pour des raisons de sécurité, ce qui rend forcément l’évaluation des besoins très difficile. Une intervention militaire n’est en revanche pas souhaitable : elle mettrait les humanitaires dans le même camp que les militaires. Il y a tout de même des raisons de penser que la situation pourrait s’améliorer. Certains groupes de shebab seraient prêts à accueillir l’aide internationale ; tandis que d’autres, probablement des djihadistes étrangers, dont certains Yéménites, ne sont pas de cet avis. L’espoir réside dans la lassitude des Somaliens envers les éléments les plus radicaux. En clair, la solution à cette crise est d’abord politique.

Mais que faire si c’est la frange la plus dure qui s’impose finalement ? Se retirer ?

C’est une décision qui est difficile à prendre, mais à laquelle il faut parfois avoir recours. En 1994, au Rwanda, dès lors que les génocidaires contrôlaient une région, il fallait en partir. En Indonésie, après le tsunami qui s’est produit en décembre 2004, MSF avait pris la même décision, en faisant valoir qu’au vu de la réalité de la situation sur place, sa présence n’était pas utile.

En Somalie aujourd’hui, peut-on parler d’une crise sans précédent ?

On est en train d’assister à une surenchère catastrophiste ! Il faut ne pas se souvenir des grandes famines d’après-guerre pour dire des choses pareilles… Même en Somalie, la situation est très contrastée. Les besoins existent, mais ils sont très circonscrits.

Est-ce à l’Occident, et à lui seul, d’intervenir ?

Non. S’il n’y a que l’Occident qui se mobilise aujourd’hui, c’est que l’intervention humanitaire fait désormais partie des attributs de la puissance. Le fait de se présenter comme une puissance bienveillante,  » bénévolente « , est devenu incontournable. Mais, depuis plusieurs années, discrètement, on voit apparaître des ONG brésiliennes, des pays du Golfe ou d’autres pays émergents sur les théâtres de crise. Ainsi, lors du séisme en Haïti, on a vu un avion chinois apporter du matériel de secours, bien qu’Haïti ait reconnu Taïwan. C’était manifestement une aide humanitaire. A mesure que la Chine s’affirmera comme puissance globale, elle s’impliquera dans des opérations de ce type.

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE GASTINEAU

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