En finir avec le Diable ?

Le Diable en rit encore : un colloque lui est entièrement consacré, ces 3 et 4 novembre, à l’UCL. Théologiens et autres spécialistes testeront une hypothèse : l’utilité du diabolique, qui prend à sa charge le mal dans la vie et dans l’histoire.

Trident gonflable, serre-tête à cornes, écharpe nationale siglée Red Devils… Les supporters des Diables Rouges ne nous contrediront pas : l’image du Prince des ténèbres fait de la résistance dans notre monde séculier. Le Diable, ses ancêtres – dieux mauvais, esprits des morts… – et ses émanations : vampires, loups-garous, etc. sont partout, dans le cinéma, la littérature, la bande dessinée, la publicité, le commerce… Comme le rappelle Alain Rey dans son Dictionnaire amoureux du Diable (Plon), paru il y a deux ans,  » entre superstition, religion et réalité, le Démon joue tous les rôles : bourreau, victime, fantasme, tentation, péché, plaisir, malheur.  »

La diabolisation du langage n’est pas en reste, en particulier dans le discours politique. On se souvient de l’  » axe du mal « , rhétorique néoconservatrice chère à George W. Bush en 2002. De l’expression, tout aussi manichéenne, l' » empire du mal « , utilisée en 1983 par Ronald Reagan pour désigner l’Union soviétique. Ou encore, des slogans des ayatollahs, qui fustigeaient le  » Grand Satan  » américain et les  » Petits Satans « , alliés de Washington. Tout récemment, le chef de la Tchétchénie appelait à combattre les chaytans ( » diables « ) de l’Etat islamique…

Le diable au placard

Le contraste est frappant : si le Diable, habillé ou non en Prada, est partout dans la société, il a, du moins dans nos régions, déserté le terrain de la religion chrétienne. Alors que l’occultisme, porte ouverte au diabolique, fait toujours des adeptes, que les demandes d’exorcisme se multiplient dans les diocèses de France et de Belgique, et que de nombreux jeunes éprouvent une fascination pour une contre-culture où abondent symboles, rites et références sataniques, le Diable ne fait plus recette dans les églises. Depuis plus de quarante ans, évêques et curés de paroisses n’en parlent plus devant les fidèles. Ils font l’impasse sur ce qui apparaît comme une vieille fable écrite pour faire peur et mettent plutôt l’accent sur la liberté de l’homme face au mal.

 » Le moderne éclairé a-t-il d’autre choix que de congédier pour de bon le Prince des ténèbres ? « , questionne Benoît Bourgine, professeur à la Faculté de théologie de l’UCL. Pour autant, le Pr Bourgine et d’autres théologiens pointent l’utilité du diabolique. Il ne s’agit pas, préviennent-ils, de revenir à une pastorale de la peur. Mais ils estiment qu’on écrase l’homme si on le laisse totalement responsable du mal. Le Diable serait donc un mal utile et nécessaire : accusé de toutes les misères du monde, il permettrait de catalyser les peurs, les angoisses, les fantasmes. Sa figure aurait une fonction thérapeutique : ni Dieu, ni l’homme ne sont responsables du mal si un tiers, appelé Diable, prend sur ses noires épaules une responsabilité que nous n’avons pas la force d’assumer. La figure du Diable intéresse d’ailleurs aussi les psychologues, car elle aide à régler des conflits internes : un enfant qui aime sa mère et a été méchant avec elle, ou lui a menti, peut dire que c’est le diable qui l’a poussé à agir ainsi.

 » En supprimant le Démon, nous supprimons une énigme. Or, il est très dangereux de supprimer les énigmes « , estimait Adolphe Gesché, grande figure de la Faculté de théologie de l’UCL, décédé en 2003. Ces 3 et 4 novembre, le colloque bisannuel qui porte son nom ( » colloque Gesché « ) aura précisément pour thème En finir avec le Diable ? Les enjeux d’une figure emblématique du mal (1). Spécialistes français et belges traiteront notamment du mal et de son image, des figures du Diable dans le Nouveau Testament, le Coran et les jeux vidéo…

(1) Auditoire Montesquieu, place Montesquieu, à Louvain-la-Neuve, de 9 h 30 à 17 h 30. www.uclouvain.be/colloque-gesche

Par Olivier Rogeau

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