EN ÉGYPTE, BUSINESS AS USUAL

La diplomatie peut avoir la mémoire courte et opérer des revirements singuliers au point de désespérer les aspirations les plus fortes et les plus honorables. Quatre ans et demi après la chute d’Hosni Moubarak sous la pression de la rue, un autre raïs, Abdel Fattah al-Sissi, inaugure, ce jeudi 6 août, le nouveau canal de Suez devant un parterre de chefs d’Etat et de gouvernement. L’Egypte est en passe de retrouver son rang d’inamovible puissance régionale comme si le printemps arabe du Caire n’avait été qu’une parenthèse. Même pouvoir issu de l’armée, même opposition expédiée dans les geôles et mêmes courtisans occidentaux pressés de signer des contrats et de composer avec un partenaire stable dans un environnement sensible.

L’habileté politique de l’ancien général al-Sissi est une des clés de ce retour de la diplomatie du cynisme. En proposant et en réalisant dans un délai record de douze mois (1) le doublement du mythique canal de Suez (en fait sur 37 des 192 km de son tracé, 35 autres kilomètres bénéficiant d’un élargissement), le nouvel homme fort du Caire a gagné sur trois tableaux. Il a ravivé la fibre patriotique d’une population nostalgique du président Nasser, grand ordonnateur de la nationalisation du canal en 1956. Il lui offre une perspective, certes encore incertaine, d’essor économique que les projets industriels envisagés le long de la nouvelle voie maritime devraient nourrir. Il réussit à amadouer les puissances européennes et asiatiques, premières bénéficiaires de cette accélération du trafic entre mer Méditerranée et mer Rouge. Un coup de maître.

La réalité est moins rassurante. La répression arbitraire des Frères musulmans depuis le coup d’Etat de juillet 2013 a jeté un certain nombre de leurs membres dans les bras du groupe terroriste Etat islamique dont les activités n’ont jamais été aussi violentes et meurtrières dans le Sinaï. Le tir d’un missile contre une vedette de la marine égyptienne au large de Rafah en a témoigné spectaculairement cet été. La menace terroriste a fini de ruiner les espoirs de sursaut du secteur touristique.

Cette conséquence concrète du dévoiement de la révolte égyptienne de 2011 n’a pas réfréné les ardeurs du président français François Hollande à parader lors de la cérémonie d’inauguration d’Ismaïlia en tant qu’invité d’honneur, service après-vente de 24 avions Rafale oblige. Les militants égyptiens apprécieront les priorités de la patrie des droits de l’homme. Mais c’est tout le monde occidental qui, échaudé par le chaos syrien, semble aspirer au Moyen-Orient à la restauration des équilibres régionaux d’antan.

La réhabilitation progressive de l’Iran chiite à la faveur de l’accord international sur son programme nucléaire, recommande sans doute d’un point de vue stratégique de renforcer le pôle sunnite, Arabie saoudite et Egypte. Mais c’est ignorer que le soutien aveugle à des pouvoirs dictatoriaux ne fait que retarder le moment où devra être fondamentalement traitée une fièvre sociale et démocratique qui rejaillira inéluctablement.

(1) Grâce notamment à l’expertise de l’entreprise belge Deme (lire Le Vif/L’Express du 15 mai dernier).

de Gérald Papy

 » Abdel Fattah al-Sissi a gagné sur trois tableaux, patriotique, économique et diplomatique  »

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