Une telle unanimité est rare : le FMI, la BCE, la Commission européenne, le Trésor américain, même Olli Rehn, l’ex-commissaire européen aux Affaires économiques, tous plaident dans le même sens. Afin d’éviter une nouvelle récession dans la zone euro, l’Allemagne devrait utiliser son » espace budgétaire » pour stimuler l’économie par des réductions fiscales et surtout, en investissant dans ses infrastructures. L’écroulement récent de plusieurs ponts et la répétition d’incidents sur le réseau ferroviaire montrent que ce ne serait pas du luxe. Il est évident que l’Allemagne investit trop peu : ses investissements, tant publics que privés, sont en proportion du PIB inférieurs à ceux de la France ou de la Suède ou même de la Grèce !
Pourtant, jusqu’à présent, la réponse officielle est » nein « . Pourquoi ? En suivant les débats en Allemagne, on relève au moins quatre raisons.
1. L’Allemagne est déterminée à montrer l’exemple d’un budget en équilibre. Le ministre des Finances qui s’est fortement engagé à atteindre cet objectif croit que sa crédibilité en dépend.
2. L’Allemagne a moins d’ » espace budgétaire » qu’on ne le pense généralement parce qu’elle a une population vieillissante et doit donc dégager des surplus pour supporter les futures dépenses de pensions et de soins de santé.
3. Les difficultés économiques de la zone euro résultent plus d’un problème d’offre que de demande. Les réformes structurelles en vue d’améliorer la compétitivité des entreprises sont, selon la doctrine officielle, la seule voie pour assurer une reprise durable.
4. Il y a aussi une raison purement politique. L’objectif du budget en équilibre est inscrit dans l’accord de gouvernement. La Chancelière craint que, si elle s’en écarte, elle donnera du grain à moudre au parti anti-euro AfD. Comme souvent, la politique intérieure pousse Angela Merkel dans une direction et sa responsabilité européenne dans une autre.
Sa tactique habituelle dans ces circonstances est de traîner les pieds face à ses partenaires pour en tirer le maximum de concessions, puis de céder un peu de terrain à la dernière minute pour éviter que l’Europe ne tombe dans le précipice. Elle finit toujours par céder, mais trop peu et trop tard. Ce fut le cas pour le sauvetage de la Grèce, pour la création du mécanisme européen de stabilité, pour la mise en place de l’union bancaire… Si elle s’en tient à cette tactique, il n’est pas trop difficile d’imaginer ce que pourraient être les composantes d’un » paquet » que le Conseil européen pourrait avaliser en décembre : davantage de réformes pas seulement annoncées mais effectivement mises en oeuvre en France et en Italie ; un soutien de la consommation et de l’investissement en Allemagne au prix d’un léger déficit budgétaire ; un programme européen d’investissement (les 300 milliards proposés par le président Juncker) financé par de nouveaux instruments mobilisant aussi des fonds privés ; la poursuite de la politique » non conventionnelle » de la BCE. Je suis convaincu que c’est le » deal » dont la zone euro a un urgent besoin.
Toutefois, pour qu’il puisse voir le jour, il faut d’abord rétablir la confiance entre les principaux acteurs. Le gouvernement allemand ne croit plus aux promesses du gouvernement français ; il n’accorde guère plus de crédit au gouvernement italien qui annonce beaucoup de réformes mais peine à les concrétiser. Le président Hollande et le Premier ministre Renzi ont aujourd’hui une responsabilité majeure : passer des paroles aux actes et éviter ainsi à l’Europe de devoir attendre l’Allemagne… trop longtemps.
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par Philippe Maystadt