En dix mois, la ministre a fait une multitude d’annonces et ouvert de nombreux chantiers. Brillante mais désordonnée, elle irrite franchement, voire inquiète. Les ministres PS, les syndicats et les enseignants ont en tout cas du mal à suivre.
« Je ne viens pas pour les futilités. » Quand Joëlle Milquet s’installe au ministère de l’Education, l’été dernier, elle expose d’emblée son objectif : » Avec moi, l’enseignement ne va pas continuer à se regarder le nombril pendant vingt ans. » Dès lors, elle choisit » de concerter, d’écouter, de proposer, de déposer et d’avancer « . Elle veut » convaincre « , » motiver « , animée par une seule conviction : » Je ne détiens pas la vérité. »
Et dans les faits ? Milquet déploie depuis dix mois un style à l’opposé de celui de ses prédécesseurs (Marie- Martine Schyns, Marie-Dominique Simonet, Christian Dupont…). Directe, sûre d’elle, elle occupe l’espace médiatique, volontairement ou non, fidèle à son image de ministre dynamique et déterminée, qui continue à la rendre plutôt sympathique au sein de l’opinion. De fait, elle s’investit corps et âme. » Nous sommes étonnés par sa capacité de travail extraordinaire, témoigne Eugène Ernst, secrétaire général de la CSC-Enseignement. Elle bosse beaucoup et fait beaucoup bosser ses partenaires. » » On ne peut pas dire qu’elle ne produit rien « , commente Pascal Chardome, secrétaire général de la CGSP-Enseignement. » Joëlle Milquet a une idée à la minute, un projet à l’heure. Elle n’est donc pas toujours facile à suivre. »
Ses fonctions pèsent presque 90 % du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles – elle gère l’Education, les Bâtiments scolaires, la Petite Enfance et la Culture. Et elle porte, seule, presque la moitié de l’accord de la majorité PS – CDH. Mais jusqu’ici, le panier des réformes est assez léger : avant-projets de loi sur le redoublement en troisième maternelle, sur l’enseignement technique et professionnel, sur l’absentéisme des élèves ; nouvelles règles de désignation des inspecteurs… De nombreux chantiers sont ouverts, mais le plus décisif reste à venir et, avec lui, les points les plus durs, comme la refondation de l’école : le grand chantier de la coalition francophone, baptisé » Pacte pour un enseignement d’excellence « .
Courage et exaspération
Au gouvernement, plusieurs reconnaissent son courage. Ainsi, depuis novembre, l’exécutif veut recadrer la manière dont les écoles défavorisées dépensent un soutien supplémentaire de 14 millions d’euros annuels. Cette enveloppe sert à engager des profs, à payer du matériel ou des activités scolaires, pour lutter contre l’échec et l’inégalité entre élèves, sans puiser dans le portefeuille des parents. L’idée PS – CDH : convertir, » en partie « , ce subside en emplois. Plus question d’accepter que ces moyens additionnels soient réservés, selon les propos de la ministre, » à repeindre un mur en blanc « . La mesure suscite de la résistance, surtout de l’école catholique. Mais » Milquet tient, même si elle se met à dos les directeurs du libre, souligne un chef de cabinet PS. Avec ce dossier, elle prouve que la priorité, ce sont les élèves et leur encadrement. C’est une manière courageuse d’inscrire sa ligne politique. »
» Sa ligne politique, c’est celle du gouvernement, note un autre chef cab’. Elle a une vision progressiste de l’école et n’est pas inféodée à une fédération. Avec elle, le problème ne réside pas dans une opposition politique. »
Pour autant, Joëlle Milquet en exaspère beaucoup. Même les plus indulgents constatent que son charme n’opère plus. On parle d’une » ministre sucrée « , qui donne l’impression d’acquiescer lorsque vous lui parlez mais qui, dès qu’elle s’entretient avec un autre, reprend vos propos à son compte. » On ne sait pas ce qu’elle pense au début de l’entrevue et on n’en sait pas plus à la fin, explique Eugène Ernst. En fait, il n’y a pas vraiment de discussion. On est face à quelqu’un qui dit à tout le monde : je partage votre argumentation. Mais que pense-t-elle vraiment ? Jusqu’où tient-elle à ses idées ? »
Le problème, c’est sa méthode. Son organisation, d’abord, souvent chaotique. Ainsi le fameux » pacte d’excellence « , pour lequel il a fallu fixer un calendrier et des étapes, mobiliser les acteurs et ordonner les groupes de réflexion, les travaux et les échanges. » J’ai dû lire trois fois sa note pour comprendre vraiment, rapporte un chef de cabinet socialiste. On ne savait plus quand allaient commencer les consultations, avec qui et sur quels thèmes… » Résultat : le chantier a pris du retard. » Heureusement, elle en a délégué l’organisation » à sa collaboratrice Laurence Weerts, » structurée et rigoureuse « .
» C’est une conséquence de son caractère. Joëlle Milquet veut tout contrôler. Elle a elle-même rédigé les transparents présentés aux directeurs d’école « , explique un ancien du cabinet Simonet (CDH). Du coup, si elle n’est pas là ou si elle arrive en retard – souvent -, rien n’avance. Les intercabinets, auxquels participent ses collaborateurs, la satisfont rarement. Ses directeurs de cabinet y participeraient un mandat très fragile sous le bras, la ministre revenant sans cesse sur les dossiers. » C’est une politique pure et dure. Venant du fédéral, elle a cette culture : lorsqu’on décide, on est suivi. Le problème, c’est qu’elle veut appliquer au gouvernement ce qu’elle a mis en place au sein de son cabinet « , explique André Flahaut (PS), ministre francophone du Budget.
L’éléphant dans le magasin de porcelaine ?
Personne, donc, ne doute de ses qualités intellectuelles, sa créativité et son expérience. Ce qu’on lui pardonne moins, c’est son entêtement et son impulsivité – » spontanéité « , nuancent certains. Sauf qu’en communication politique, le coup de sang vire vite à la bourde. Ainsi du dossier controversé sur l’encadrement pédagogique alternatif, qui doit accueillir l’élève dispensé de religion ou de morale dans l’enseignement officiel. Au CDH comme au PS, on estime naturel qu’il tende les relations des deux familles puisqu’on » touche à leur core business « . Mais le PS lui reproche d’être partie bille en tête, sans avoir mesuré toute la sensibilité du dossier. » Elle n’a sans doute pas voulu mal faire les choses et son délai était serré, juge André Flahaut. Mais balancer une circulaire aux parents et réaliser un sondage sur le nombre de dispenses, ce n’est pas une méthode sereine… Ça ressemble bien à un éléphant dans un magasin de porcelaine. »
L’entourage de la ministre veut croire que son impulsivité explique certaines maladresses, parce que, emportée par sa fougue, » Joëlle Milquet ne se rend pas toujours compte de ce qu’elle fait « . D’autres n’y croient pas : » Je ne peux pas m’imaginer qu’avec son bagage politique, elle n’a pas anticipé ce chaos sur les cours de religion et de morale, commente un collègue. Il ne faut pas être naïf : tout mettre sur le compte de l’impulsivité permet d’occulter ce qui est parfois un manque de loyauté. Entre l’imprécision et le mensonge, la ligne est ténue… »
Le PS craint donc de voir Joëlle Milquet prendre du retard sur le programme et de devoir s’attaquer à des sujets épineux en fin de législature, alors que la période préélectorale sera entamée. L’autre danger : Joëlle Milquet risque de se griller ou de s’épuiser. C’est finalement la seule question : l’hyperministre va-t-elle tenir ? Et si oui, combien de temps ?
Par Soraya Ghali