Ebola en Belgique : on est prêt

Ses liaisons aériennes avec les pays affectés exposent particulièrement la Belgique à la fièvre hémorragique virale. Notre pays semble avoir tout prévu pour résister, au cas où… Il n’y a aucune raison de paniquer. Reportage.

Ebola suscite beaucoup d’hystérie. Au point que le découvreur belge du virus, Peter Piot, a lui-même lancé des appels au calme. Il a affirmé qu’il n’hésiterait pas à s’asseoir dans le métro à côté d’une personne porteuse du virus et déjà contagieuse (à l’issue de la période d’incubation), pourvu qu’elle ne lui vomisse pas dessus. Il n’empêche, la fièvre hémorragique virale – le nom scientifique d’Ebola – fait peur parce qu’à l’heure actuelle, les traitements ne sont pas encore au point et le taux de mortalité des malades qui l’ont contractée est élevé, environ 60 %. En outre, le taux de propagation de la maladie reste exponentiel : plus de 4 300 cas recensés aujourd’hui, contre 3 000 fin août.

Le risque de voir le virus débarquer en Belgique n’est donc pas pris à la légère. D’autant qu’en dehors de l’Afrique de l’Ouest, notre pays est sans doute l’un des plus exposés. En effet, Brussels Airlines est la seule compagnie aérienne au monde qui dessert encore les trois pays africains touchés par l’épidémie, à savoir la Guinée-Conakry, la Sierra Leone et le Liberia. Air France continue de voler vers les deux premiers. Le Liberia, dont les frontières terrestres sont fermées, ne peut plus compter que sur Brussels Airlines.

 » L’OMS a d’ailleurs envoyé un courrier officiel, le 29 août, pour nous demander de ne pas interrompre nos liaisons vers les trois pays affectés, explique Geert Sciot, de la compagnie belge. Car cela compromettrait gravement l’acheminement de personnel médical et de médicaments vers les populations touchées.  » On ne peut que s’en réjouir. Mais sommes-nous prêts, le cas échéant, à affronter le virus à l’intérieur de nos frontières ?

Les autorités se veulent rassurantes.  » D’abord, les barrières sont solides, soutient Sven Heyndrickx du SPF Santé. Dans les aéroports des pays affectés, chaque passager est contrôlé par l’OMS avant d’embarquer dans un avion. Un thermo-scan permet de détecter ceux qui auraient de la fièvre, premier symptôme d’Ebola.  » Cela dit, les symptômes ne se déclarent pas pendant la période d’incubation de la maladie, soit entre 8 et 21 jours selon les cas. Un passager peut donc très bien arriver à Zaventem avec le virus sans encore être contagieux ni repérable.  » La majorité des passagers en provenance de ces pays sont en transit ou en transfert vers une autre destination, ce qui réduit encore le risque pour la Belgique « , selon Florence Muls, de Brussels Airport.

Quant au personnel de bord de Brussels Airlines, il a été briefé sur la maladie et surtout, il ne reste jamais dormir dans les capitales des pays à risque.  » Même si un avion tombe en panne et nécessite une escale de 24 heures le temps d’acheminer une pièce, nous avons prévu un avion de réserve dans un pays voisin pour venir chercher les pilotes et les hôtesses « , confie Geert Sciot.

Hôpitaux universitaires, en première ligne

Sur le sol belge, tous les hôpitaux et les médecins généralistes ont été sensibilisés par le SPF, début septembre, au dépistage du virus, ce que nous ont confirmé plusieurs d’entre eux. En principe, chaque patient fiévreux est interrogé sur ses éventuels voyages récents. Les cas suspects seront pris en charge par les hôpitaux universitaires. Ceux-ci ont reçu, en août, une procédure standard à suivre du Conseil supérieur de la santé.

Nous nous sommes rendus à l’hôpital Erasme de Bruxelles pour voir comment les équipes médicales se préparent à cette éventualité.  » Une personne qui a de la fièvre et qui provient d’une zone d’Afrique touchée par Ebola n’a pas forcément contracté la fièvre hémorragique, explique le docteur Baudouin Byl, infectiologue et hygiéniste. Il peut aussi s’agir de la malaria dont nous ne pouvons pas non plus louper le diagnostic.  » En attendant d’être fixé, il faut placer le patient en chambre d’isolement – comme on l’a fait déjà pour trois cas suspects et finalement négatifs (à Charleroi, Ostende et Bruxelles) – et lui administrer un large spectre médicamenteux, notamment des antibiotiques contre le paludisme.

Les urgences et deux unités de soins intensifs de l’hôpital Erasme sont équipées de plusieurs chambres avec sas.  » Ce qui n’est pas absolument nécessaire, le virus ne se propageant pas par voie aérienne comme la tuberculose par exemple, mais c’est plus confortable pour le personnel soignant qui doit enfiler un équipement de sécurité avant d’approcher un malade suspect « , relate le Dr Byl.

Un équipement impressionnant : une cagoule de chirurgien, un masque prévu pour se protéger de patients tuberculeux, une large visière, deux blouses étanches utilisées en bloc opératoire, deux paires de gants et des couvre-bottes.  » La protection du personnel soignant est la priorité numéro un, assène Huguette Strale, infirmière chef en hygiène hospitalière, chargée de dispenser la  » formation Ebola  » depuis début septembre. Quoi qu’il arrive au malade, on n’entre pas dans une chambre sans EPI, équipement de protection individuel. La consigne est stricte.  » L’hôpital n’a cependant pas opté, comme en Afrique, pour la combinaison intégrale, moins souple mais encore plus étanche.  » La situation sanitaire ne le justifie pas, assure Baudouin Byl. Contrairement aux trois pays qui doivent faire face à une contamination environnementale majeure.  »

Le matériel utilisé est soit jeté, soit désinfecté à l’eau de Javel, le meilleur tueur de virus. Ce qui est jeté (blouses, gants, masques, seringues, etc.) est enfoui dans des fûts hermétiques destinés aux déchets biologiquement contaminés avant d’être incinéré, une procédure ici classique pour un hôpital confronté en permanence à des risques infectieux. Pour les prises de sang, les seringues utilisées sont sécurisées.  » Il s’agit d’un bouchon coulissant qui vient se placer sur la pointe de l’aiguille lorsqu’on retire celle-ci du bras du malade « , nous montre Huguette Strale.

Protégés par un triple emballage, les tubes sanguins ne peuvent pas être analysés par le labo d’Erasme. Les biologies classiques (fonction rénale, hépatique…) des patients suspects doivent être effectuées dans un labo belge sécurisé, spécialisé pour ce type de pathologie. Les prélèvements pour un test de diagnostic doivent, eux, être acheminés, par une compagnie de transport médical certifiée, à Hambourg, en Allemagne, dans un labo de type L4 (le plus haut niveau de protection) qui a l’expertise Ebola pour une grande partie de l’Europe et dont les résultats sont fournis rapidement (deux à trois jours).

Autre enjeu : le virus s’attrapant par un contact direct ou indirect avec des fluides corporels, leur absorption s’avère a priori délicate. Mais ici aussi, tout semble prévu. La panne (bassin de lit) destinée à recueillir les excréments est recouverte d’un plastique au fond duquel est étendu un linge super-absorbant et gélifiant. Idem pour les vomissements, hémorragies etc. Une poudre gélifiante peut être utilisée pour transformer tous ces liquides en solides, ce qui est plus facile à ramasser. Ensuite, on désinfecte à l’eau de Javel.

Reste le problème des cadavres, dans l’hypothèse où un malade Ebola viendrait à mourir. Qu’en fait-on ?  » Un corps mort est évidemment bourré de virus sinon il ne serait pas mort, éclaire le Dr Byl. En outre, il suinte. Donc, il est hypercontagieux.  » Bien sûr, il existe des housses étanches qu’on peut multiplier et imbiber d’eau de Javel. Et ensuite ? Rien ne semble prévu, pour l’instant. Ce sont en tout cas les autorités sanitaires publiques, telle l’inspection d’hygiène (SPF Santé) appelable jour et nuit, qui devront s’en charger.  » Soyez certain qu’elles seront là dans l’heure, si le cas se présente « , affirme Baudouin Byl. Il est fort probable que la famille ne pourra pas choisir le mode d’inhumation. On devine que l’incinération sera la seule option possible.

Enfin, lorsqu’un patient est diagnostiqué Ebola, il est prévu de tracer tous les contacts que celui-ci a eus : sa famille, ses proches mais aussi les personnes assises autour de lui dans l’avion provenant d’un pays affecté. Pour ces vols-là, les passagers doivent d’ailleurs compléter un questionnaire dans lequel ils indiquent leur place précise, au cas où ils auraient changé par rapport à la réservation. On a vraiment tout envisagé…

Par Thierry Denoël – Photos Debby Termonia pour Le Vif/L’Express

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