Lorsque Dylan organise en 1975 sa tournée surprise « Rolling Thunder Revue », il a 34 ans. Alors que paraît l’enregistrement historique, Jakob Dylan, 32 ans et rejeton du grand Bob, sort son quatrième disque avec The Wallflowers
De ce côté-ci de l’Atlantique, The Wallfowers ont encore beaucoup à faire pour égaler leur popularité nord-américaine. Même s’il n’a jamais cherché à tirer profit du prestige de son père, refusant même de parler de lui dans ses interviews, Jakob Dylan a bénéficié, à domicile, de l’impact culturel de son nom. Pourtant, contrairement à d’autres enfants de stars – Julian Lennon ou Ziggy Marley – Jakob s’est éloigné du patrimoine familial, n’empruntant qu’un grain de voix rouillée rappelant le célèbre croassement « dylanesque » (cf. Here in Pleasantville). Cela dit, le son des Wallflowers peut être comparé à celui de Tom Petty & The Heartbreakers, comparses de Dylan père avec lesquels il a tourné avec eux à la fin des années 1980 et formé un super-groupe – The Traveling Wilburys -. De fait, le nouvel opus des Wallflowers – Red Letter Days – a la grâce des meilleurs disques des Heartbreakers: une lisibilité pop dans un écrin rock’n’roll. Jakob Dylan possède le don d’écrire des chansons puissamment mélodieuses parées d’atours binaires et des textes plutôt directs qui n’évoquent guère les puzzles « méphistophéliques » de papa. L’album aurait parfaitement pu être conçu il y a trente ans. Il ne porte en effet aucune trace de sonorité ne fût-ce que vaguement actuelle. Mais l’optimisme et les sentiments libératoires que Dylan junior & Co y glissent constituent une stricte réaction au pessimisme ambiant de l’après-11 septembre. Ce Red Letter Days arrive dix ans après les débuts discographiques des Wallflowers et démontre que Jakob Dylan maîtrise un univers plus pop, plus immédiat que celui de son père. Mais nettement moins fascinant.
Bob, Renaldo et Clara
« The Rolling Thunder Revue Live 1975 » est le cinquième enregistrement de The Bootleg Series qui offre du Dylan inédit. Au milieu des années 1970, Dylan a déjà vécu deux ou trois vies : jeune folkeux militant reprenant l’esprit contestataire de Kerouac et de Woody Guthrie, il est devenu la conscience de l’Amérique de la génération Vietnam. Il a connu son propre Vietnam émotionnel, se retirant à Woodstock d’une lourde gloire précoce après avoir lâché le protest-song acoustique pour l’électricité baroque de Like a Rolling Stone. Comme on le voit dans l’hallucinant Don’t Look Back de Pennebaker – qui invente le docu « rock » en 1965 -, Dylan est un beatnik affûté, drôle et misanthrope. En 1974, il a mené l’une des plus grandes tournées américaines de l’histoire du rock avec son groupe The Band. Et l’année suivante, après avoir pleinement renoué avec l’inspiration en défendant le boxeur Rubin Carter d’une injuste accusation de meurtre, il repart en tournée de manière informelle. Rassemblant un groupe de potes et de semi-célébrités (Joan Baez, Mick Ronson, Allen Ginsberg), il commence par se produire au déboulé dans des clubs ou des universités, avant de graduellement regagner les grandes salles où se bouscule un public fasciné par le mythe et la caravane de musiciens qui le suit. Ce « Live 1975 » témoigne de l’inventivité d’un Dylan de 34 ans, trop heureux de contourner son aura et de reconstruire ses chansons dans de nouveaux arrangements, parfois radicalement opposés aux originaux. Dylan n’est pas seulement théâtral parce qu’il adopte un maquillage de No (un visage blafard) mais aussi parce que, dans les rayons entre blues, folk et rock, il trouve des munitions pour alimenter sa vision cosmique du monde. Plusieurs moments de ce double CD le rappellent brillamment. En bonus, un DVD de deux titres extraits de Renaldo & Clara, film tourné pendant cette « Rolling Thunder Revue », où Dylan raconte autant ses aspirations musicales que les blessures de son divorce avec sa femme Sara. A cette époque, Jakob Dylan n’a que 5 ans et ne sait encore rien des Wallflowers.
Philippe Cornet, The Wallflowers, chez Universal; Bob Dylan, chez Sony