(1) Voir Le Vif/L’Express du 28 janvier 2005, p. 58.
(2) Inès Trépant, L’Evolution récente des relations transatlantiques, Centre de recherche et d’Information sociopolitiques, Courrier hebdomadaire n° 1845-1846, 71 pp.
Entre les Etats-Unis et l’Europe, le torchon brûle (1). Et les sujets de tension ne manquent pas. Le commerce entre les deux rives de l’Atlantique est loin de se dérouler sans accroc. En matière de politique extérieure et de sécurité, les Européens déplorent le goût des Américains pour la force militaire. En revanche, l’attention qu’ils portent aux droits sociaux et aux questions environnementales énerve Washington. Etc. Pourquoi cet entassement de désaccords que la crise irakienne n’a fait que révéler ? Si l’on en croit le Crisp (2), plusieurs facteurs sont à l’£uvre.
La fin du monde bipolaire de la guerre froide d’abord. Elle a diminué l’importance de l’Europe dans les préoccupations extérieures des Etats-Unis. Désormais, c’est davantage sur l’Asie que se focalise l’attention de leurs stratèges. L’allié délaissé, de son côté, construit son identité en se démarquant en partie du » modèle américain » qui lui sert de repoussoir à défaut d’un projet de société vraiment spécifique. Par ailleurs encore, la mondialisation néolibérale multiplie les foyers de tension et de résistance. Mais, en mettant brutalement fin à l’idée d’une dissolution de l’Histoire dans la béatitude marchande, les attentats du 11 septembre 2001 ont, outre-Atlantique, donné un sens à cette dispersion des menaces.
En effet, renouant avec leur vision d’un monde partagé en deux camps, celui du bien et celui du mal, les Américains, convaincus de leur bon droit, y ont vu la nécessité d’exporter unilatéralement la démocratie libérale et l’économie de marché au sein d’Etats » voyous « , complices des terroristes. Sous l’égide des néoconservateurs, ils ont, au grand dam de l’Europe, jugé caduc le système de relations internationales mis en place en 1945. Militarisant leur politique extérieure, ils se sont donc, loin du multilatéralisme prôné de ce côté-ci de l’océan, détournés de ses institutions spécialisées au profit de coalitions hétéroclites. Construites au gré de leurs objectifs ponctuels, ces alliances composites ont rudement malmené les Etats membres.
L’analyse met fort bien en évidence les compositions, décompositions et recompositions du paysage politique et idéologique américain qui sous- tendent toutes ces évolutions géopolitiques. Elle montre aussi que les options de l’administration Bush, pour véhémentes qu’elles paraissent, sont pourtant le fruit de subtils dosages qui font, en outre, l’objet de critiques en règle. Mais le dossier souligne aussi que le divorce transatlantique et les tensions qui l’accompagnent – notamment au sein de l’Otan – ne se nourrissent pas seulement » d’écarts de conduite » du côté américain : les Européens, eux aussi, tracent leur route. Singulièrement depuis le traité de Maastricht qui a vu le retour de l’idée de défense européenne mise sous le boisseau depuis le milieu des années 1950. Entre similitudes et différences, les orientations extérieures américaines et européennes vont donc probablement continuer à s’éloigner. Le poids des intérêts communs devrait cependant, estime l’essai, faire obstacle à une désunion vraiment conflictuelle. Pour le meilleur ? Ou pour le pire ?
Jean Sloover
Européens et Américains regardent de plus en plus le monde autrement. Pourquoi ?