Divine surprise

Avec Jésus de Nazareth, le pape publie une ouvre très personnelle qui vise à réconcilier l’Histoire et la foi. Loin des images pieuses.

Voici Benoît XVI à son meilleur ! Non pas le  » panzercardinal « , ni le préfet pour la doctrine de la foi (ex-Saint Office), ni le père Joseph qui veillait à maintenir le dogme au côté de Jean-Paul II, ni encore le souverain pontife dont les déclarations ont pu choquer les musulmans ou, plus récemment, les cultures indiennes d’Amérique du Sud. Le vrai Joseph Ratzinger est avant tout théologien, ce que ses lourdes fonctions et son déficit diplomatique ont pu, un temps, faire oublier. C’est pourquoi son dernier livre, Jésus de Nazareth, est étonnamment (mais subtilement) signé de son patronyme civil suivi de son nom pontifical, ce qui lui permet d’affirmer que sa démarche d’écriture  » n’est en aucune manière un acte du magistère « . Au vrai, en 430 pages, il y révèle une plume alerte, un style moderne, une vraie liberté d’esprit et, surtout, une profonde intelligence. Ce qui donne une grande clarté à son propos.

 » Le fossé s’est élargi entre le « Jésus historique » et le « Christ de la foi », écrit-il dès l’introduction, et les deux figures se sont éloignées l’une de l’autre à vue d’£il.  » Comment le nier ? Depuis plusieurs années, la multiplication des livres, des films, des séries télévisées va dans le sens d’un Christ  » historicisé  » de gré ou de force, au point de tordre les Evangiles comme un linceul qu’on voudrait essorer. Certes, depuis le xixe siècle, les acquis de la méthode historico-critique, qui doit une large part de sa production à des cerveaux germaniques (d’Adolf von Harnack à Rudolf Bultmann, en passant par Karl Barth…), ont permis des avancées considérables dans la perception de Jésus. Mais, au fil du temps, cette approche est à son tour devenue une sorte de dogme visant à opposer de manière systématique le souffle des Ecritures et la science historique. En France, notamment, l’immense succès de la série Corpus Christi, diffusée par Arte, a engendré des sentiments divers, mélange de vraies questions bien posées et de réponses discutables qui laissent perplexe. Peut-on relire la vie de Jésus sans penser une seconde à la foi, celle du maître comme celle de ses adeptes qui ont rédigé les Evangiles ? Doit-on tout remettre en question sans proposer la moindre certitude, de sorte que l’historien reste frustré et le croyant se sent dés£uvré ? C’est à cette interrogation sans fin que Joseph Ratzinger veut justement apporter une finalité, sur la base d’une culture chrétienne gigantesque. Quoi de plus naturel, en somme, que le très catholique Benoît XVI, compatriote de Luther et de Nietzsche, entreprenne sa contre-réforme à l’heure où les mouvements évangéliques d’inspiration américaine autant que les  » athéologues  » progressent partout au détriment de la doctrine catholique, apostolique et romaine ?

Dans cette entreprise, le Saint-Père entrevoit la possibilité de réconcilier l’Eglise et l’Histoire, la sanctification et la sécularisation, le carbone 14 et la croix. Nul doute que sceptiques et rétifs campereront sur leurs positions. Mais rendons grâce à Benoît XVI de faire réfléchir tout  » honnête homme « . Par exemple, quand il nous rappelle que le propre du christianisme, en particulier par rapport à l’islam ou au bouddhisme, est  » de se référer à des événements réellement historiques « , car la Bible, ajoute-t-il,  » ne raconte pas des légendes comme symboles de vérités qui vont au-delà de l’Histoire, mais elle se fonde sur une histoire qui s’est déroulée sur le sol de cette terre « . Ce livre mérite d’être lu. Pour une fois, l’Eglise n’apparaît pas sur la défensive mais prend l’initiative. Benoît XVI laisse les tenants d’un Jésus banalisé en arrière du front intellectuel ; c’est bien joué. Il incite les exégètes postmodernes à lui damer le pion ; c’est fair-play. Par-dessus tout, il rend à la foi chrétienne sa spécificité, à savoir la valeur inestimable du doute tel qu’il est formulé dans l’Evangile de Jean :  » Qu’est-ce que la vérité ?  » l

Christian Makarian

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