» Difficile de penser que Sarkozy n’était au courant de rien « 

EXCLUSIF Pour la première fois depuis sa mise en examen, Bastien Millot, cofondateur de la société Bygmalion, dit ses vérités sur le financement de la campagne 2012 de l’ancien président français, sur François Fillon et sur Jean-François Copé.

Pour la première fois, il parle. Bastien Millot a choisi de s’expliquer dans Le Vif/L’Express. Quelques jours après sa mise en examen, le cofondateur de Bygmalion, désormais avocat, revient longuement sur l’affaire qui secoue le principal parti de la droite française, l’UMP, et gâche le retour de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy. Les soupçons – et les sommes d’argent – évoqués sont lourds. Plus de 18 millions d’euros auraient été illégalement affectés à sa campagne présidentielle en 2012, grâce à une double facturation mise en place à la demande de la direction de l’UMP avec la complicité de Bygmalion.

Dès la rentrée, l’enquête s’est accélérée au fil des interpellations policières. Le domicile de Bastien Millot dans l’Aisne (nord de la France) a été perquisitionné, le 29 septembre. A Paris, devant les enquêteurs, il a nié avoir eu connaissance d’un quelconque système comptable frauduleux. Guy Alvès, dirigeant de Bygmalion, affirme le contraire. Il assure avoir averti son associé et ami, même s’il n’en précise pas les circonstances.

Qui était au courant de l’existence de ce système frauduleux ? Nicolas Sarkozy pouvait-il tout en ignorer ? C’est aujourd’hui l’une des questions-clés de l’instruction conduite par les juges Serge Tournaire, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, où six personnes sont déjà mises en examen. Lors de son entretien sur France 2, le 21 septembre, l’ex-chef de l’Etat avait décliné toute responsabilité. Il disait même n’avoir entendu parler de Bygmalion qu’après sa défaite. Une affirmation qui laisse Bastien Millot pour le moins sceptique…

Le Vif/L’Express : Vous voici désormais mis en examen dans l’enquête liée à des soupçons de financement illégal de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 avec la complicité de Bygmalion. Maintenez-vous n’avoir jamais été informé de la double comptabilité de l’agence de communication dont vous êtes l’un des fondateurs, au bénéfice du candidat ?

Bastien Millot : Je le maintiens catégoriquement, comme je l’ai fait devant les juges et les enquêteurs. Je n’ai jamais été avisé d’une quelconque facturation litigieuse avec l’UMP dans le cadre de la campagne présidentielle. Je n’ai participé à aucune réunion, à aucun moment, sur les dépenses de campagne ou leur répartition. Je suis donc totalement étranger à cette affaire.

Pourtant, votre associé, Guy Alvès, a assuré aux enquêteurs que vous étiez parfaitement au courant…

Guy Alvès est un ami de longue date, contre lequel je n’ai aucun esprit d’animosité. Nous avons fondé ensemble cette entreprise. Mais je suis tout à fait formel : personne ne m’a jamais informé ni alerté sur cette affaire.

Comment expliquez-vous que personne ne vous ait prévenu au sein de Bygmalion, ou bien à l’UMP, où vous n’étiez pas tout à fait un inconnu ?

J’ai été de manière tout à fait surprenante, et la presse s’en fait régulièrement l’écho ces dernières années, souvent présenté comme étant placé sur une  » liste noire  » par l’ancien président Sarkozy. Cela remonte à l’époque où je travaillais aux côtés de Jean-François Copé, entre 1995 et 2005. Il y avait régulièrement des tensions très fortes entre les deux hommes, dont j’ai été plusieurs fois une sorte de victime collatérale. Bref, il n’était un secret pour personne que je n’avais aucune proximité avec Nicolas Sarkozy. Dans ces circonstances, comment imaginer que quelqu’un ait eu l’idée absurde de m’associer à un acte si grave concernant sa campagne ? Cela n’a aucun sens.

Bygmalion, via Event & Cie, était au coeur de la campagne, il est difficile de croire que vous ne vous y êtes pas intéressé…

Depuis que cette affaire est sur la place publique, certains tentent de manière pathétique de faire comme si le groupe Bygmalion travaillait seul sur la campagne de Nicolas Sarkozy. En réalité, des dizaines de sociétés ont été payées pour du conseil politique, des sondages, des déplacements, des frais d’imprimerie, etc. Quel est le montant de ces factures ? Qui parmi ces sociétés travaillait également pour l’UMP ? Et pourquoi personne n’en parle ? Je m’interroge. Rien que dans le domaine de l’organisation des meetings, il y avait de très nombreux sous-traitants et un autre prestataire important, Agence Publics. Il y a donc un circuit de responsabilité à mettre au jour. Je l’ai dit en sortant du bureau des juges : j’ai le sentiment que Bygmalion et Event & Cie (NDLR : filiale de Bygmalion) sont un arbre un peu facile destiné à cacher une forêt beaucoup plus sombre. Et ce, alors même que la justice enquête depuis longtemps sur une autre campagne du candidat Sarkozy, celle de 2007.

Non. Quand la campagne de 2012 a démarré, j’ai indiqué d’emblée aux collaborateurs d’Event que je ne m’y impliquerais ni de près ni de loin. Et, le 24 avril 2012, quand je constate que la machine s’emballe, que les meetings se multiplient, j’ai pris mes responsabilités de président de la société mère à l’égard de sa filiale. J’ai rappelé dans un e-mail destiné aux dirigeants d’Event – que j’ai remis aux enquêteurs – les règles comptables en vigueur, comme la nécessité d’obtenir des validations écrites des devis et des bons de commande, y compris dans un contexte d’urgence. On m’a répondu qu’il n’y avait pas de problème particulier. Je n’avais aucune raison de ne pas le croire.

Nicolas Sarkozy explique que, président toujours en exercice, il n’avait pas le temps de  » regarder les contrats des sociétés qui travaillaient pour faire les meetings et les décors « .

Rappelons quelques évidences : une campagne se déroule au bénéfice d’un candidat et sous sa responsabilité. C’est lui qui nomme un directeur de campagne. Ce dernier doit assurer le relais entre le candidat et ses équipes et lui rendre des comptes au fil de la campagne. Mais c’est bien le candidat lui-même qui signe le compte de campagne à la fin, avec une responsabilité légale et financière. Il est donc difficile d’imaginer qu’il l’ait signé sans regarder.

 » J’ai appris le nom de Bygmalion plusieurs semaines après la campagne présidentielle « , affirme Nicolas Sarkozy sur France 2, le 21 septembre. Vous ne le croyez donc pas ?

Je n’ai jamais rencontré Nicolas Sarkozy entre 2005 et 2012. Et, comme je vous l’ai dit, je n’ai pas participé à sa campagne. Mais tout cela est quand même surprenant ! Prenons juste un exemple : quand vous regardez certaines images télévisées des meetings, on aperçoit un homme qui accompagne le candidat Sarkozy jusqu’à la tribune, en le guidant. Cet homme, c’est Franck Attal, le directeur d’Event & Cie ! Le candidat l’a donc forcément vu à de nombreuses reprises. En outre, il serait naïf de croire que les questions financières d’une campagne présidentielle échappent totalement à un candidat, quel qu’il soit. Tout le monde peut comprendre que 44 meetings organisés dans la précipitation, cela coûte bien plus cher que les quatre meetings initialement prévus. Je constate également que, parmi les responsables de la campagne du président sortant, certains, dont son expert-comptable, avaient lancé par écrit des alertes. L’emballement des dépenses suscitait visiblement de l’inquiétude. La vérité, c’est que le train était lancé à toute vitesse et que personne n’a su l’arrêter. Même vu de l’extérieur, difficile de penser que Nicolas Sarkozy n’était au courant de rien.

Nicolas Sarkozy pouvait-il se rendre compte d’un dérapage des dépenses ?

Quand on choisit de faire 44 meetings, et que l’on décide de fournir les images clés en main aux chaînes de télévision, qu’on exige de faire travailler tel réalisateur de télé payé des milliers d’euros, tel aménagement scénique, telle maquilleuse, qu’on réclame trois énormes meetings – Villepinte, Concorde, Trocadéro -, et qu’on fait venir les militants par trains et cars entiers, le candidat ne peut pas totalement ignorer que la calculatrice tourne. Soyons clairs : il a pu ne pas savoir. Mais, s’il n’a pas su, c’est que ses collaborateurs ont eu peur de lui en parler. Beaucoup d’ouvrages ont évoqué le sentiment de terreur qui peut exister chez les collaborateurs de Nicolas Sarkozy quand il s’agit d’aller lui soumettre un problème compliqué.

A-t-il préféré ne pas savoir ?

C’est à lui qu’il faut poser la question. Mais, en octobre 2012, j’assiste à la remise de décoration de Jérôme Lavrilleux par Nicolas Sarkozy, dans ses bureaux d’ancien président. Un geste rare pour lui signifier sa reconnaissance. Et j’entends ce jour-là, comme la petite trentaine de personnes présentes, Nicolas Sarkozy déclarer :  » Voilà un homme qui a le talent de ne pas embêter les personnes pour qui il travaille avec des problèmes dont elles n’ont pas à connaître.  » Cette phrase prend aujourd’hui une résonance particulière.

Et à l’Elysée, des gens savaient-ils ?

Comment voulez-vous que je le sache, puisque je n’ai jamais participé à cette campagne ? Mais les médias ont évoqué un comité stratégique qui, visiblement, se réunissait chaque soir à l’Elysée, réunissant les principaux conseillers du président candidat.

Vous parlez de Franck Louvrier, Pierre Giacometti, Jean-Michel Goudard et Patrick Buisson, tous quatre conseillers ou visiteurs du soir de Nicolas Sarkozy ?

Il y a parmi eux des professionnels de la communication. Certains étaient même rémunérés comme prestataires de l’UMP et/ou de la campagne. Ils étaient visiblement en contact permanent avec les collaborateurs opérationnels. Il est donc difficile d’imaginer qu’ils n’aient jamais évoqué l’organisation des meetings.

Qui a fait sortir cette affaire ?

Grâce à mes contacts dans le monde des médias, où j’intervenais quotidiennement, j’étais informé depuis juin 2012 qu’il y avait de la part de proches d’hommes politiques une volonté de s’en prendre à Bygmalion. Cela coïncide avec le début de la guerre Copé-Fillon pour la présidence de l’UMP. J’ai même reçu un sms dont je me souviendrai toute ma vie, d’un chef de service politique d’un hebdomadaire français concurrent de L’Express, qui disait :  » Attention, il va y avoir du sang sur les murs ! Prépare-toi, ils veulent te faire la peau.  » Ce sms date de la fin 2012. Les premières attaques émanent de l’entourage de François Fillon, sur le thème  » Copé a fait travailler ses amis « . Ce qu’ignorent les amis de François Fillon, c’est qu’en voulant cibler Jean-François Copé, ils vont s’en prendre non seulement à lui, mais aussi à Nicolas Sarkozy.

Et Jean-François Copé ? Pouvait-il ignorer ce qu’il se passait dans son propre parti ? Quel était le rôle de Jérôme Lavrilleux, son directeur de cabinet ?

Je crois volontiers Jean-François Copé quand il dit qu’il n’était pas au courant du détail des dépenses de la campagne de Nicolas Sarkozy. Il a toujours fait en sorte de se tenir éloigné des sujets d’intendance. Quant à Jérôme Lavrilleux, il se retrouvait durant la campagne avec deux patrons, un au quotidien, Copé, et un patron de circonstance, le président de la République candidat. Il était donc dans une double loyauté, entre sa fidélité à l’un et la mission que lui avait confiée l’autre.

En regardant les comptes de l’UMP pour l’année 2012, Jean-François Copé aurait pu cependant s’apercevoir que des postes de dépenses avaient explosé ?

Ne travaillant plus au quotidien avec Jean-François Copé depuis 2005, il m’est difficile de savoir comment il se tenait informé de l’état des comptes du parti qu’il dirigeait.

Y a-t-il eu une caisse noire pour Jean-François Copé ?

En aucune manière ! Il n’y a eu aucune caisse noire. C’est un fantasme insultant ! Bygmalion n’a jamais été l’officine d’un homme ni d’un parti.

Jérôme Lavrilleux a-t-il pu le faire dans votre dos ?

On nage en plein délire.

Que vous inspire le retour de Nicolas Sarkozy dans l’arène politique ?

De la curiosité en tant qu’observateur, et même une certaine gourmandise en tant que passionné de politique ! Quelque chose me dit que l’histoire de la campagne présidentielle de 2017, qui commence à s’écrire à partir d’aujourd’hui, risque de réserver nombre de rebondissements et de surprises.

Par Pascal Ceaux et Benjamin Sportouch, avec François Koch

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