En février 2012, on commémorera le bicentenaire de la naissance de Charles Dickens. Déjà, une série d’ouvrages, romans et biographies, viennent nous replonger dans les enchantements et les sortilèges du plus magique des conteurs.
De Dickens, chacun s’est fait son image : l’auteur des contes de Noël, le philanthrope sensible à la cause des miséreux, ou encore le père d’Oliver Twist, dont deux versions cinématographiques magistrales, celle de David Lean (1948) et celle de Roman Polanski (2004) ont fixé l’image pour des générations entières. L’un des mérites de la biographie que vient de lui consacrer Jean-Pierre Ohl consiste à faire la part entre ces images qui, pour n’être pas entièrement fausses sont pour le moins réductrices, et le véritable Dickens, cet être complexe que Chesterton définissait comme » une substance fluide et composée « . Amoureux, depuis sa prime adolescence, de l’£uvre dickensienne, Ohl nous entraîne avec verve dans le sillage de celui qu’on surnommait déjà de son vivant l’ » Inimitable » et qui, tel son héros David Copperfield, nourrissait le rêve ardent de devenir le héros de sa propre vie.
Ayant quitté l’école à 15 ans, Dickens exercera les métiers les plus divers : commis chez un avoué (comme Balzac !), sténographe dans un tribunal ecclésiastique, jusqu’à ce qu’enfin un coup de chance lui permette de devenir journaliste, se spécialisant rapidement comme reporter parlementaire et politique. Peu auparavant, il avait réussi à placer son premier texte littéraire, Les Esquisses de Boz.
Lorsqu’en 1837, une toute jeune reine de 18 ans, Victoria, monte sur le trône, Dickens est déjà un jeune homme en route pour la gloire. Entre-temps, il s’est marié avec Catherine Hogarth, la fille du rédacteur en chef de l’Evening Chronicle et a publié en livraisons mensuelles Les Papiers du Pickwick Club, un coup de maître qui fait de lui, pour reprendre l’expression de son biographe, » le premier victorien « . S’il insiste sur les options politiques parfois déroutantes de Dickens, que l’on peut qualifier de radical sentimental, Jean-Pierre Ohl nous montre des facettes plus méconnues de l’auteur des Grandes espérances. L’humour de Dickens tient ainsi une place importante, qui en fait un précurseur de Kafka et de Gombrowicz. Fou de théâtre, Dickens était aussi un formidable comédien qui brûlait les planches dans ses tournées amateur.
Le mystère d’Edwin Drood
C’est en 1869 que Dickens, déjà physiquement fort affaibli, se lance dans la rédaction d’un nouvel opus intitulé Le Mystère d’Edwin Drood. Meurtri par le semi-échec de son précédent roman, L’Ami commun, et frappé par le succès rencontré deux ans auparavant par ce qui sera considéré ensuite comme l’un des tout premiers romans policiers, La Pierre de lune, de son ami et disciple Wilkie Collins, Dickens se lance à son tour dans une intrigue criminelle. Ce roman, qui met en scène la disparition et la mort probable du jeune Edwin Drood, Dickens n’aura jamais l’occasion de l’achever. Lui-même meurt en effet le 9 juin 1870, sans avoir livré le nom du coupable. Fasciné, comme bien d’autres avant lui (Chesterton, Conan Doyle, etc.) par cette énigme littéraire, l’Américain Dan Simmons en a fait l’épicentre de son dernier roman, Drood. Spécialiste du fantastique (cfr. son fabuleux Echiquier du mal), Simmons parvient à nous envoûter par la description très précise d’une Angleterre victorienne noire à souhait. Par la voix d’un narrateur qui n’est autre que Wilkie Collins, on découvre toute la complexité de la relation qui l’unissait à son maître et mentor vieillissant. Réflexion sur les affres de la création littéraire, Drood n’intéressera pas seulement les inconditionnels de Dickens. La chute de ce pavé (près de 900 pages !) réservera d’ailleurs une formidable surprise…
Charles Dickens, par Jean-Pierre Ohl, Folio Biographies ; Drood, par Wilkie Collins, Robert Laffont.
ALAIN GAILLIARD