La communication maladroite de Rudy Demotte sur l’asile a replongé le PS dans ses travers. Malgré le redéploiement de cet été, le parti s’enfonce dans son malaise. Au sommet, on mise désormais sur le temps pour se relever. En prenant pour exemple le président français en 1986.
Le malaise ne cesse d’enfler au PS. Cet été encore, les socialistes se sont arraché les cheveux après une communication erratique et non concertée de l’un de leurs ténors. En cause, cette fois, la sortie impromptue de Rudy Demotte, ministre-président francophone et bourgmestre de Tournai en titre, qui a exprimé sa colère à la suite de la décision du gouvernement fédéral d’installer plusieurs centaines de réfugiés dans sa ville.
Dans le creux de l’actualité estivale, la presse en a fait ses choux gras. Traduction rapide : le PS rejette les réfugiés. Ou comment le syndrome nimby prend le pas sur les beaux idéaux, dixit le président du MR, Olivier Chastel… Un fameux couac pour un parti qui cherche à se recréer une image constructive, porteur d’un projet alternatif.
» On ne nous laisse rien passer ! »
» Rudy n’aurait pas dû réagir à chaud comme il l’a fait, commente une sommité du parti. Le ton de son communiqué était sans doute trop virulent et on l’a mal compris. » Un rien exaspéré, tant au sujet de l’attitude du ministre-président que sur la presse, ce membre de la nouvelle garde rapprochée présidentielle lâche : » Il faut dire qu’on ne nous laisse rien passer ! Aujourd’hui, les médias saluent la soi-disant générosité d’un nationaliste de droite. Et quand un homme de gauche, loin d’être suspect sur la question, commet une petite erreur de forme, on lui tombe dessus à bras raccourcis. C’est hallucinant ! »
Revenu de vacances, le lundi 17 août dernier, Rudy Demotte a eu le temps de repenser longuement à ce qui s’est passé. » Je suis peiné par la manière dont on a interprété mes propos, déclare-t-il au Vif/L’Express. Mon orientation, tant idéologique que personnelle, n’a jamais été vers le rejet d’autrui. » Il se dit conscient d’avoir été » piégé » par la suédoise, qui a joué la carte humanitaire dans la crise de l’asile avec la volonté, délibérée à ses yeux, de pousser le PS à la faute. Sa bévue fut pourtant coupable : il a diffusé son communiqué de l’étranger, sans en avertir personne, pas même son service de communication. » Or, les socialistes savent qu’on ne leur passe rien depuis un an, analyse Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Demotte aurait dû en tenir compte ! »
La rage du ministre-président, venu au secours de son bourgmestre faisant fonction Paul-Olivier Delannois, s’explique par le manque de concertation du fédéral, signale-t-il encore. Sa ville a été mise devant le fait accompli par le secrétaire d’Etat N-VA Theo Francken. » Ma préoccupation a été immédiatement de voir comment faire pour que cela se passe bien. Je connais bien la caserne Saint-Jean : je savais en outre que le nombre de 790 personnes cité dans un premier temps était intenable. La Croix-Rouge m’a donné raison : après une visite des lieux, le nombre a été réduit à 530 personnes… »
Sur le fond, les socialistes soutiennent l’argumentation du bourgmestre en titre de Tournai : » Il n’y a eu aucune anticipation de cette crise de l’asile par le gouvernement fédéral, alors qu’il ne fallait pas être un grand visionnaire pour voir que la situation au sud de l’Europe allait faire passer un été difficile, estime-t-il. Il faudra du temps pour analyser les demandes de ces candidats réfugiés et nombre d’entre elles vont être reçues. Or, rien n’a été prévu non plus en termes d’accueil scolaire, de recherche d’un emploi… Ce sont autant de sujets qui m’inquiètent. » Il n’empêche : voilà » Rudy » contraint de se justifier, de rétropédaler. Il n’aurait pas dû réagir à chaud, se dit-on au parti. Point.
Un redéploiement » militaire »
Car le mal est fait. Le PS se serait bien passé de cet énième épisode dans la reconfiguration délicate de son discours dans l’opposition au fédéral. D’autant qu’à la fin juillet, juste avant de partir en vacances, Elio Di Rupo avait pris soin de revoir l’équipe autour de lui : Karim Ibourki, chef de cabinet sortant de… Rudy Demotte, est devenu directeur de la stratégie et de la communication du parti, tandis que Gilles Doutrelepont reprenait l’institut Emile Vandervelde. Une réforme de la garde rapprochée présidentielle précisément destinée à relancer le parti et à assurer la cohérence de son message.
» Ce n’était pas qu’une simple opération de communication, comme on a pu le dire, mais bien le fruit d’une longue réflexion de fond « , souligne un proche du président. » En termes militaires, on appellerait ça un redéploiement « , magnifie le ministre francophone André Flahaut (PS). » Un choix de popote interne, davantage dicté par des considérations pratiques que par la nécessité de répondre aux défis engendrés par la situation nouvelle dans laquelle se trouve le parti, juge au contraire Pascal Delwit. Pour l’instant, la ligne du PS me semble très éclatée, il n’y a guère de cohérence entre les expressions de ses ténors… Voilà ce que la communication de Demotte a une nouvelle fois révélé. »
Comme s’il s’agissait de rajouter une couche à cette panique apparente, le ministre-président wallon Paul Magnette s’est déclaré favorable, ce mardi 18 août, à une initiative visant à réglementer davantage les conditions dans lesquelles un bourgmestre empêché peut agir. Une annonce faite… depuis l’hôtel de ville de Charleroi et motivée par les nombreuses critiques de l’opposition MR-Ecolo au sujet de son propre cumul. Avec une petite pique à la clé contre le Premier ministre Charles Michel, bourgmestre de Wavre en titre, coupable à ses yeux… de signer un billet sur le site Internet de la ville. Patatras : Stéphane Hazée (Ecolo) dénonce des ministres » davantage préoccupés d’eux-mêmes que du sort de la Wallonie « .
» Pourtant, nous avons raison… »
Au boulevard de l’Empereur, en dépit du changement d’équipe, on cultive toujours une analyse un rien paranoïaque au sujet de la mauvaise passe perceptible depuis la naissance de la suédoise. Certes, on reconnaît que le PS a souffert pour trouver ses marques dans cette situation politique inédite. » La campagne électorale avait été extrêmement polarisée entre la droite et la gauche, nous avons perpétué ce schéma lors des premiers mois de la suédoise, note-t-on au siège du parti. Elio et Laurette ne s’attendaient pas à ce que le MR ose aller seul au fédéral. Ils ont souffert de la trahison du CD&V, qui s’était engagé à prolonger la tripartite, d’autant qu’il n’y a eu aucune reconnaissance du travail réalisé et des sacrifices accomplis. » Le président reste aussi meurtri, aujourd’hui encore, des moqueries exprimées au moment de son mea culpa – » Mon coeur saigne… » – exprimé au sujet de l’exclusion des chômeurs décidée sous son règne. Et vexé de ne plus être relayé comme avant par les médias.
Les socialistes ne comprennent pas que l’opinion publique et les éditorialistes ne les suivent pas dans la dénonciation des dérives créées par la coalition actuelle. » Le gouvernement est très marqué idéologiquement, rappelle-t-on. Il prend des décisions totalement injustes. Et personne ne s’indigne du côté francophone du fait que le MR est ultra-minoritaire dans ce gouvernement. » Il semble soudain loin le temps où l’institut Emile Vandervelde, centre d’études du parti, faisait la pluie et le beau temps dans ce pays… Quant aux critiques récurrentes au sujet du retour de Di Rupo à la tête du parti ? » On a tendance à oublier qu’Elio a remis son mandat en jeu, il a été réélu à 94 % des voix. Il est totalement légitime. » Circulez…
La nouvelle équipe dirigeante fait une seule concession : elle reconnaît que le parti doit prendre davantage de temps pour aller sur le terrain, défendre son projet alternatif et relayer les propositions issues du » Chantier des idées » lancé au printemps dernier par le président. C’était le message exprimé en mai par Laurette Onkelinx, un an après les élections : » La résistance, ce n’est pas suffisant, nous devons aussi créer l’espoir. » Il s’agit également de démontrer l’inconsistance du programme irréaliste du PTB. » J’ai assisté aux deux premières sessions du » Chantier des idées « , franchement intéressantes sur le fond, mais je suis frappé de voir que le parti peine à s’en emparer « , tacle Pascal Delwit. Prochaine session ? Le 13 septembre. Elle sera consacrée… au vivre ensemble, » une question centrale dans notre société ouverte à la diversité et aux flux des populations » (sic), précise le site du parti.
Le rêve d’une » génération Di Rupo »
Dans ce contexte hostile, le PS fait le gros dos, convaincu que l’opinion publique sera bientôt nostalgique de la bonne époque où Elio était au 16. Et ce d’autant plus que la N-VA risque de revenir tourmenter les francophones, tandis que l’âpreté des mesures touchera de plein fouet le portefeuille des citoyens. Il reste même un fifrelin d’espoir que le CD&V, malmené cet été dans la négociation du tax-shift, ne finisse par débrancher la prise.
» Le temps est une donnée importante en politique, insiste-t-on au boulevard de l’Empereur. Le meilleur analyste en la matière, c’était François Mitterrand. En 1986, après avoir perdu les législatives, il a été contraint de cohabiter avec un gouvernement dirigé par Jacques Chirac. Mais il savait à ce moment que la façon dont la droite allait gérer le pays lui serait profitable. Deux ans après, il était réélu triomphalement. En 1986, il fallait y croire… »
Pascal Delwit est sceptique au sujet de cette comparaison. » Tout d’abord, les systèmes politiques belge et français ne sont pas comparables, explique-t-il. Ensuite, François Mitterrand, à l’époque, a fait davantage que le gros dos. Il sentait venir la défaite des législatives et a modifié à l’avance le système électoral en introduisant la proportionnelle pour rendre la défaite moins sévère et disposer d’un groupe solide pour mener l’opposition à l’Assemblée nationale. Cela lui a permis de jouer sur deux tableaux en profitant de cette offensive parlementaire tout en restant au-dessus de la mêlée. »
La réélection mitterrandienne sera consacrée à l’issue d’un débat télévisé qui verra le président moucher son Premier ministre. » Nous sommes deux candidats à égalité « , lancera Chirac. » Vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre « , réplique le président. C’est, aussi, l’époque des affiches consacrant la » génération Mitterrand « . La nostalgie se transforme alors en une mode teintée de modernité. De quoi faire rêver secrètement Elio : à quand l’avènement d’une » génération Di Rupo « … ?
» Il y a sans doute aujourd’hui une sous-estimation du travail réalisé par le gouvernement Di Rupo, c’est une certitude, enchaîne Pascal Delwit. Pour prendre un exemple belge : Guy Verhofstadt était fortement décrié en 2007-2008, mais il est revenu en grâce par la suite. Il a profité de cet effet temporel, oui, mais pas son parti, qui a accumulé les défaites électorales ! » Et de conclure : Elio Di Rupo a surtout » commis l’erreur de monter en lévitation » lorsqu’il était au 16, il doit désormais » retrouver la force de l’action collective « .
Au parti, on se prépare à travailler d’arrache-pied pour que ce soit le cas. » Nous allons renouer avec les militants, tisser des connexions dans les mondes universitaire et associatif, redynamiser l’Action commune… « . En cas d’échec, on changera de stratégie : » Si dans un an ou deux, les sondages ne sont pas bons, il sera toujours temps de revoir ses batteries. » Et de se poser les vraies questions ?
Par Olivier Mouton