Durant l’été 1905, dans le petit village de Collioure, naissent les premières toiles » fauves » de Matisse et Derain. Plus de 100 ouvres et documents font revivre l’aventure, au Cateau-Cambrésis, en France
Matisse-Derain. Collioure 1905, un été fauve. Musée Matisse, palais Fénelon, Le Cateau-Cambrésis. Jusqu’au 22 janvier. Tous les jours, sauf le mardi, de 10 à 18 heures. Tél. : +33 3 27 84 64 50.
Le 16 mai 1905, Matisse, l’homme du Nord, vient d’arriver à Collioure, dans les Pyrénées-Orientales, non loin de l’Espagne. Sa femme et ses deux enfants le rejoindront sous peu. Le village, lové dans un paysage de pins, d’agaves et d’asphodèles descend lentement jusqu’à la Méditerranée, si bleue. Matisse a déjà 35 ans. La lumière l’émerveille d’emblée alors que la douce chaleur du printemps l’accompagne jusqu’à l’auberge de la gare, où il s’installe, même si la patronne ne voit pas d’un très bon £il l’arrivée de cet étranger. C’est, du reste, le seul hôtel et il n’est pas cher. Dès le lendemain, il se lie d’amitié avec l’homme à tout faire qui lui fait découvrir son potager, ainsi qu’avec le voisin de l’auberge : le viticulteur, photographe et amateur d’art Paul Soulier.
Comme de nombreux peintres depuis les impressionnistes – Van Gogh à Arles, Gauguin à Papeete, Cézanne à Aix, Monet à Giverny… -, Matisse cherchait un » lieu « . Une terre bénie qui, par on ne sait quelle magie, aurait le don d’éblouir l’artiste et de le mener au c£ur d’une £uvre à venir dont il devinait les signes avant-coureurs sans pouvoir encore les formuler. Matisse avait certes déjà, comme Delacroix presque un siècle plus tôt, traversé la Méditerranée afin d’y découvrir d’autres richesses chromatiques. L’année précédente, il avait aussi travaillé à Saint-Tropez, aux côtés du pointilliste Paul Signac, et rencontré l’ami de Gauguin, Henri de Monfreid, lui-même peintre installé dans le Roussillon. Mais c’est à Collioure qu’il devient » Matisse « . Et c’est à Collioure qu’il reviendra régulièrement, jusqu’en 1914.
Couleurs rugissantes
Après quelques jours nécessaires à une première reconnaissance des cadrages intéressants, il cherche un atelier et loue une chambre dont la fenêtre donne sur la plage du port d’Avall. Rêvant de créer là une colonie d’artistes, il envoie des invitations à ses camarades, comme lui passionnés par la question de la couleur. Un seul répondra : André Derain, son cadet de dix ans. Ses parents, d’abord hostiles au projet, finissent par céder. Tout de blanc vêtu et casquette rouge sur la tête, le jeune peintre de 25 ans arrive le 5 juillet. L’été est très chaud. Aussitôt, ils choisissent les mêmes points de vue, comparent leurs recherches, s’encouragent mais travaillent toujours séparément. » Nous étions devant la nature comme des enfants « , confiera Derain. Quelques mois plus tard, leurs toiles exposées au Salon d’automne, à Paris, signe- ront la naissance du mouvement » fauve « . C’est que, à Collioure, les couleurs vives vont se mettre à rugir sous leurs pinceaux. Pour exalter les lumières, il ne s’agira plus de diviser les teintes, de » pointiller « , comme on le disait à l’époque, mais d’oser davantage les à-plats fortement contrastés et d’outrepasser la sacro-sainte expérience de la perception rétinienne chère aux impressionnistes. Résultat : des tableaux composés comme de la musique et autant d’espaces inspirés par la magie d’un lieu, Collioure, que révèlent, pas à pas, une fenêtre, une plage, des barques, les visages aimés ou même des aubergines… » Un tableau fauve, écrira plus tard Matisse, est un bloc lumineux formé par l’accord de plusieurs couleurs, formant un espace possible pour l’esprit. »
La présente exposition réunit pour la première fois les toiles, aquarelles et dessins réalisés à Collioure par les deux comparses. En les confrontant, on devine combien Matisse fut porté par l’enthousiasme de Derain. Combien Derain apprit de la sagesse de Matisse. Mais l’intérêt du parcours vient aussi des documents photographiques dont certains, réalisés par l’ami de la première heure, le viti- culteur Paul Soulier, ont l’art de nous faire remonter le temps et de rendre plus vivants encore ces » fauves » de l’été 1905.
Guy Gilsoul