Aujourd’hui, que puis-je répondre à la question du philosophe Emmanuel Kant : » Que puis-je espérer ? «
Sébastien Asselbergs, Bruxelles
La question du philosophe allemand (1724-1804) est triple : que peut-on savoir, que peut-on espérer, que peut-on faire ? Selon Kant, l’espérance suppose une connaissance préalable. Celle-ci acquise, sachant ce que la nature et les événements nous réservent, on s’interrogera sur ce qu’on peut (en) espérer. Après, après seulement, il sera loisible d’agir pour faire advenir ce qu’on souhaite.
Cet argumentaire, souvent repris depuis, pèche, me semble-t-il, par une sorte d’étroitesse qui porte sur l’idée monotone qu’on se fait de l’espoir. Celui-ci ne vaudrait que dans la mesure où il reproduit un événement jugé favorable. Ainsi, on peut vivre en couple, la preuve c’est que certains y sont parvenus. Avec les moyens actuels, on peut survivre au cancer. L’humanité a connu des moments de paix, pourquoi serait-ce impossible aujourd’hui, surtout si l’on étudie les causes qui ont conduit û hier û à la paix ou à la guerre ? Bref, la croyance traditionnelle relie l’espoir à une expérience passée. Elle exprime une attente, un événement heureux à charge pour nous d’en reproduire les constituants.
Est-on pour autant condamné à cette seule forme d’espérance ? Pourquoi ne pas reconnaître deux types d’espérance ? La première û la plus traditionnelle û consiste dans une attente, la seconde dans une façon de création. Cette dernière ne nous est pas habituelle comme s’il y avait une folle présomption à faire de l’espérance notre £uvre au-delà des enseignements de la nature et de l’histoire, au-delà de l’attente. Elle est cependant le ferment d’un progrès véritable.
Il importe donc de se demander, tout à la fois, en quoi consistent exactement cette notion de l’espoir comme création et la difficulté de sa reconnaissance ? Si l’ordre naturel, qui implique hommes et femmes dans leur réalité biologique, exprime la permanence de la causalité, la société ne participe pas totalement à cet ordre. L’espérance n’est pas uniquement l’attente de ce qui s’est déjà produit… quand elle se marie à la liberté, ce facteur non prédictible, non assujetti à la réalité matérielle et aux habitudes. La liberté, déformant constamment le futur (ce qui doit nécessairement se produire), lui substitue l’idée d’avenir. Ce dernier est, pour une part, l’espérance réalisée en dépit des oukases des réalités naturelles et du poids des habitudes. Tout un chacun peut en dessiner les linéaments pour en faire partager la paternité avec suffisamment d’autres pour bâtir l’humaine et perfectible réalité.
par jean nousse