L’univers de Pascal Tassini tourne autour d’une cabane. Celui d’Eric Derkenne n’a besoin que d’un stylo Bic. Ces deux artistes belges sont à l’honneur au musée de l’art brut de Lausanne.
Prévus depuis 2007 mais sans cesse reportés, les travaux de rénovation du MADmusée à Liège (anciennement appelé musée des arts différenciés) sont enfin lancés. En attendant la fin du chantier, c’est donc hors les murs que la collection (riche déjà de 2 500 pièces) et les expositions temporaires seront présentées. Ainsi, dès septembre, une première manifestation sera organisée dans un espace prêté par le théâtre de Liège. Mais pour l’heure, c’est le célèbre musée de l’art brut de Lausanne qui, en organisant un one-man-show des oeuvres réalisées dans l’atelier liégeois du Créahm par le sexagénaire Pascal Tassini, propulse ce fils d’émigrés siciliens sur la scène internationale. Dans le même temps et dans le même lieu, le commissaire argentin Gustavo Giacosa réunit un ensemble de dessins composés dans l’atelier » S » de Vielsalm par Erik Derkenne.
Les noeuds de Pascal Tassini
Né à Ans en 1955 dans une famille d’émigrés siciliens, Pascal Tassini grandit entre un père mineur et une mère ouvrière et guérisseuse à ses heures. Il a 41 ans quand, suite au décès de ses parents, il entre pour la première fois dans l’atelier liégeois du Créahm (une association » dont l’objectif est de révéler et de déployer des formes d’art produites par des personnes handicapées mentales « ) . Ses mains pétrissent alors dans la glaise un premier personnage à l’allure phallique. Puis bien d’autres, sans fin, qu’il protège en leur construisant une cabane. La demeure plantée au centre de l’atelier est précaire, faite avec des matériaux de récupération maintenus vaille que vaille par un réseau de cordes dans les vides desquels il noue des étoffes. Ce sera désormais son lieu, sans cesse transformé.
Pendant un moment, il y accueille les autres » habitants » de l’atelier afin de leur prodiguer des soins. Le voilà Docteur Tassini, délivrant des ordonnances après avoir fait, autour d’eux des mouvements de chaman. Parallèlement, il découpe en lanières des morceaux de tissus qu’il assemble et noue à l’aide de ficelles, de bouts de laine ou encore de sacs en plastique. Il en fait des costumes d’apparat en vue du grand jour du mariage. Pour la belle inconnue, il fabrique une robe étroite et de très lourds chapeaux ornés de fleurs artificielles. Pour lui, un costume fait de noeuds et d’excroissances. Puis d’autres étrangetés comme lorsqu’il recouvre de ses noeuds textiles, chaises et tabourets.
Les autoportraits d’Eric Derkenne
Originaire de Stavelot, Eric Derkenne (1960-2014) vit dans une famille aisée qui, à défaut d’échanges par la parole, l’encourage à dessiner. A 35 ans, il rejoint le grand atelier – la » S » – de Vielsalm dans lequel, durant les quinze dernières années de sa vie, il dessine selon un rituel précis et sans cesse recommencé. Les premiers tracés précisent toujours des contours elliptiques ou circulaires qui croissent au fi des circonvolutions graphiques. Au fur et à mesure, apparaît un visage, voire un corps car on ne peut préciser si telle forme oblongue renvoie à l’image d’un nez ou d’un sexe, si les trouées désignent des yeux ou des seins. Assis à la table, au fond de l’atelier, près de la fenêtre, il trace, avec le seul outil qu’il admet : un stylo Bic.
Au Musée de l’art brut de Lausanne. www.artbrut.ch
Guy Gilsoul