Des réseaux électriques éclectiques

La sortie progressive du nucléaire requiert une adaptation des réseaux de distribution électrique aux particularités des énergies renouvelables qui dépendent de la météo. Il faut donc adapter la structure existante pour en faire un réseau intelligent, un  » smart grid « .

Il en va de l’électricité comme de l’eau : en tournant un commutateur ou un robinet, on n’imagine pas l’infrastructure nécessaire en amont pour permettre ce geste quotidien.

Pour comprendre ce qui suit, il convient de savoir que la distribution d’électricité répond à une équation en apparence banale : pour que le réseau fonctionne, il faut produire exactement la quantité d’énergie consommée. Ni plus, ni moins, car un écart dans un sens ou dans l’autre entraînerait une coupure, un black-out. Ce délicat équilibre doit être maintenu à toute heure du jour ou de la nuit, qu’il fasse torride ou glacial, que les industries lourdes fonctionnent ou soient à l’arrêt…

En divers points du pays, des dispatchings contrôlent en permanence les flux électriques et Elia, le gestionnaire du réseau haute tension, donne aux producteurs les instructions nécessaires pour équilibrer demande et production. C’est la raison pour laquelle il vous arrive, par exemple, de voir des éoliennes à l’arrêt alors que la météo leur est favorable. Comme il est, en effet, très difficile de stocker l’électricité, la sécurité du réseau passe par des arrêts ou des diminutions de production. Et cela touche évidemment aussi les grosses centrales, qu’elles soient nucléaires ou classiques (gaz, charbon…).

Un casse-tête pour les électriciens

Le réseau actuel a nécessité des investissements très lourds, à l’image de sa structure qui relève d’une arborescence classique : de grosses unités centralisées aux endroits où la demande est la plus importante fournissent l’électricité aux clients industriels ou particuliers. En fonction du développement de la consommation, on a tiré des lignes supplémentaires au fil du temps, pour s’adapter.

Mais la donne a changé depuis l’émergence des unités de production décentralisées comme les installations de panneaux solaires photovoltaïques, les centrales de cogénération ou les champs d’éoliennes. Alors que, pour certaines, le courant généré est en partie consommé sur place, il en va autrement pour les éoliennes, par exemple, qui sont situées dans des endroits éloignés des principaux consommateurs. Si on ajoute à cela les multiples micro- productions de particuliers et le caractère intermittent des productions solaires ou éoliennes, on comprend que les électriciens s’arrachent les cheveux pour intégrer ces différents paramètres et réguler les flux en temps réel.

La solution passe par une  » gestion active de la demande  » grâce à la mise en place de réseaux intelligents intégrant dans leur structure les technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment la télégestion et la domotique. Elle demande aussi de pouvoir modifier les habitudes de consommation lorsque la chose est possible. Un exemple simple : si votre boiler réclame du courant à huit heures du matin (alors que vous venez de quitter votre domicile) pour réchauffer une eau qui ne sera pas consommée avant la soirée, pourquoi ne pas lui donner instruction de déplacer ce temps de charge à une heure creuse où l’électricité sera, en outre, moins chère ?

Les travaux de Redi

Il faut donc adapter notre réseau. En janvier dernier, sur la base d’une proposition adressée au ministre régional de l’Energie, la Cwape – la Commission wallonne pour l’énergie – a été mandatée par ce dernier pour créer un groupe de réflexion pluridisciplinaire chargé de préparer un rapport sur les priorités à dégager dans le domaine.

Baptisé Redi – pour Réseaux électriques durables et intelligents – il est composé de spécialistes issus des milieux concernés : producteurs, gestionnaires de réseaux, fournisseurs d’énergie, fabricants d’appareils de gestion à distance, administrations, ministères, équipes universitaires, etc. Et, bien sûr, de la Cwape dont le président, Francis Ghigny ne cache pas sa satisfaction après onze mois de travail.

 » Trois groupes se sont penchés sur autant d’aspects du problème, à savoir : comment assurer l’intégration des productions décentralisées, limiter la consommation des clients finals (le pluriel d’usage dans le domaine, NDlR) et, enfin, améliorer l’efficacité et le rapport coût-bénéfice des investissements. Le 6 décembre prochain, nous allons présenter nos premières conclusions en assemblée plénière. Après examen et intégration éventuelle des remarques, nous remettrons notre rapport au ministre en janvier.  »

D’ores et déjà, Francis Ghigny souligne les grands enseignements enregistrés.  » Nous avons cartographié et quantifié les différentes productions d’électricité à partir d’énergies renouvelables attendues d’ici à 2020 en Wallonie et qui représenteront, sur la base des décisions du gouvernement, près de 30 % de la consommation à cette échéance. Nous avons aussi étudié ce que les consommateurs peuvent apporter de leur côté. Avant, les gens consommaient ce qu’ils voulaient, quand ils le voulaient, et c’était aux producteurs de s’adapter. Désormais, le client final peut aider à une meilleure gestion sans être pénalisé, voire en bénéficiant de meilleurs tarifs. Nous avons ainsi calculé qu’il est possible de déplacer dans le temps (de 4 à 15 heures) jusqu’à 30 % de la charge de consommation, en agissant sur la production d’eau chaude sanitaire, la buanderie, les pompes à chaleur, etc.. ! A condition, évidemment, que le consommateur accepte que ces équipements fonctionnent avec un signal émis à distance. Certains équipements sont déjà équipés aujourd’hui pour démarrer automatiquement à la réception de ce signal et bénéficier de meilleurs tarifs.  » Mais au-delà de ces études abondamment chiffrées qui constitueront un document de travail déterminant pour la prise de décisions politiques, le président de la Cwape se réjouit des avancées en termes de dialogue.

 » C’est la première fois que la communication et l’échange entre différents acteurs ont pu aller aussi loin. Certains, comme les fournisseurs d’énergie et les gestionnaires de réseaux par exemple, ont des vues divergentes. Pourquoi ? Parce que les premiers ont intérêt à fournir une électricité moins chère, achetée à un moment où les prix sont bas au niveau belge ou international, tandis que les seconds doivent faire face à d’éventuels problèmes de congestion locales sur le réseau. Les deux contraintes ne sont généralement pas simultanées. A qui, dès lors, confier le pilotage d’une gestion active de la demande ? Sous notre impulsion, des compromis ont été dégagés, des solutions acceptées. Et c’est là une étape majeure dans le processus d’élaboration d’un réseau intelligent… « 

FRANCIS GROFF

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