Des excuses socialistes à Verviers

Jean-François Istasse, ancien président du parlement de la Communauté française, a fait son mea culpa pour la gestion clientéliste de la diversité par son parti aux élections communales de 2012. Un électrochoc.

Molenbeek-Verviers, même combat ? Dans ces deux communes, un socialiste moustachu et professeur d’histoire (ULB, ULg) a dominé entièrement la vie locale durant deux décennies. Leur majorité a été renversée aux élections communales de 2012, après une campagne marquée par de multiples crispations identitaires. Les présidents de partis, Charles Michel (MR) et Benoît Lutgen (CDH), y ont veillé personnellement. Philippe Moureaux et Claude Desama ont ainsi perdu leur sceptre. L’assaut de la rue de la Colline, le 15 janvier dernier, a renforcé leur gémellité apparente. Si la cellule djihadiste démantelée était composée de jeunes Molenbeekois d’origine marocaine, c’est à Verviers qu’ils avaient établi leur safe house. Fâcheuse coïncidence, car cette ville wallonne de moyenne importance (56 000 habitants) est aussi connue pour abriter des extrémistes de tout poil, en raison, notamment, de la proximité des frontières néerlandaises et allemandes. D’Aix-la-Chapelle, où ils sont présents depuis 1978, les Frères musulmans syriens ont essaimé en Belgique et des salafistes grand teint, comme l’ancien imam marocain de la mosquée somalienne de Hodimont, frappé d’expulsion par le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, jouent à saute-mouton entre les Pays-Bas et la conurbation Dison-Verviers.

Aussi, quand Jean-François Istasse (PS), ancien président du parlement de la Communauté française et ancien échevin, redevenu simple conseiller communal de Verviers, homme policé entre tous, présente des excuses, dans La Meuse (19 août), pour la manière dont son parti a conduit les élections de 2012 et laissé les communautés vivre côte à côte sans s’intégrer, cela crée des remous en bord de Vesdre. D’une part, les politiques n’ont pas l’habitude de faire leur mea culpa et, d’autre part, ses propos résonnent comme la fin officielle de l’ère Desama. Extrait.  » La position du PS durant la campagne électorale portait sur le « vivre ensemble » mais elle a été mal exprimée par le PS verviétois, en général, et par Claude Desama, en particulier. La construction même de la liste, avec telles places réservées aux Marocains, telles autres places aux Turcs, était elle-même une erreur politique. Cela a été très mal interprété par la population, qui s’est sentie envahie par les personnes d’origine étrangère. C’était une mauvaise campagne électorale. Ma position est de dire que nous devons nous excuser auprès des Verviétois et leur proposer une nouvelle vision, une nouvelle politique.  »

Le timing est choisi. Ce 27 août, à Verviers, le même Jean-François Istasse, membre du Comité des Régions de l’Union européenne et président local du PAC (Présence et action culturelle), organise, au nom du Parti socialiste européen (PSE), une journée d’étude sur le  » vivre ensemble « . Deux semaines avant le  » chantier des idées  » du PS sur le même thème, à Mons. La nouvelle cheffe de file verviétoise du PS, la députée Muriel Targnion, tentera de faire la synthèse entre la position de Jean-François Istasse et celle de Claude Desama, son mentor, qui a juré ses grands dieux qu’il ne présenterait pas d’excuses pour sa gestion passée sur l’air du  » ce n’est pas moi, c’est lui  » car, dit-il, il était en coalition avec le CDH ou le MR, soutenu par ses camarades locaux et le  » PS tout entier  » et regardez bien l’actuelle coalition CDH-MR, elle ne fait pas mieux que moi.  » Le MR a rompu le consensus politique portant sur les relations interculturelles qui avait été décidé, au début des années 1990, après l’élection de trois conseillers communaux d’extrême droite à Verviers, rappelle Claude Desama au Vif/L’Express. C’était l’époque où la RTBF titrait un reportage : La Vesdre brune. Avec quelques hommes politiques libéraux et sociaux-chrétiens, nous avions constitué un front des démocrates pour éviter que les populations d’origine étrangère s’enferment dans un ghetto. Le MR, en 2011, n’a fait que reprendre la propagande de l’extrême-droite à mon égard.  » L’accord voulait aussi que les sujets  » sensibles  » soient mis en sourdine.

Pourtant, sans inventaire de l’héritage de Claude Desama, de fait plutôt complaisant à l’égard des minorités, point de salut pour le PS verviétois.  » Si je me suis excusé, précise Jean-François Istasse au Vif/L’Express, ce n’est pas parce que nous aurions commis une faute éthique, mais plutôt parce que nous n’avons pas réussi à expliquer aux Verviétois ce que nous voulions faire ni répondu à leurs attentes. Ces excuses, c’est une manière de promettre de faire mieux à l’avenir, pas de renoncer à des échevins qui se sont montrés très compétents, comme Assan Haydin ou Malik Ben Achour. Nous ne voulons pas être seulement le parti qui protège les personnes d’origine étrangère mais également celui qui demande des efforts à tous les Verviétois, aux uns, de connaître notre langue et notre culture, aux autres, d’accepter leurs concitoyens sur pied d’égalité. Nous devons construire une nouvelle ville, moins compartimentée et, je le dis en tant que laïque, nous ne pouvons pas tolérer des musulmans ce qu’on a refusé aux catholiques.  » Comme libéré, l’ancien échevin de la Culture et des Finances propose que les compétences de la culture traditionnelle et de l’intégration convergent au sein d’un échevinat du Vivre ensemble et que l’enseignement se batte  » dans chaque classe, chaque école  » pour amener les élèves au meilleur d’eux-mêmes. Le ton est grave, rassembleur.

Politique de l’autruche

Une douce musique aux oreilles du bourgmestre, Marc Elsen (CDH), qui tient le même discours des droits et devoirs mais peine à remettre le bateau à flots, dans une conjoncture où même les subsides wallons se détournent de sa ville. Invité à Verviers, Paul Magnette, ministre-président de la Région wallonne (PS), devra montrer qu’il est à l’écoute des besoins locaux, financiers comme d’une clarification idéologique. La sortie de Jean-François Istasse a globalement été bien accueillie par les autres partis, le MR assistant, goguenard, à la rentrée en grâce d’un parti jusqu’alors tenu à l’écart. Quant au PS national, il n’a pas encore secoué sa torpeur estivale ni tranché entre sa frange laïque et ses  » antiracistes « . La table ronde du 12 septembre sur le  » vivre ensemble « , à Mons, n’est qu’une étape d’un long processus de décantation. C’est Claude Desama, encore lui, qui balance :  » Je me réjouis qu’au niveau le plus élevé, on commence à réfléchir à la problématique car cela a souvent été la politique de l’autruche au boulevard de l’Empereur. Entre les laïcards de Mons et l’esprit communautaire de Bruxelles, nous, qui partageons la sociologie bruxelloise et sommes des Wallons, nous étions assis entre deux sièges.  » Jean-François Istasse confirme :  » Jusqu’à présent, il n’était pas question de parler de cela au PS, sous peine de déclencher des tempêtes à Bruxelles. Mais les choses changent…  » Reste à voir comment le discours socialiste, à Molenbeek, va évoluer. Simplement pour vérifier si Molenbeek et Verviers, outre leur passé industriel, ont vraiment le même ADN.

Par Marie-Cécile Royen

 » Nous ne pouvons pas tolérer des musulmans ce qu’on a refusé aux catholiques « 

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