Selon Ahmed Kadhaf al-Dam, c’est un » comité spécial « , sous l’autorité directe de son cousin Muammar Kadhafi, qui aurait été chargé d’aider le candidat Sarkozy.
Le Vif/L’Express : Des juges enquêtent en France pour savoir si Kadhafi a financé Nicolas Sarkozy pour sa campagne électorale de 2007. L’a-t-il fait ?
Ahmed Khadaf al-Dam : Il l’a fait. Mais, sachez-le, la corruption d’un futur président ou d’un parti politique étranger n’a rien d’exceptionnel. Beaucoup de pays y ont recours ; pas seulement la Libye. C’est une façon de contrôler l’avenir.
Nicolas Sarkozy, lui, conteste ces accusations. Comment avez-vous été informé de ce supposé financement politique ?
Je l’ai appris de la bouche du colonel lui-même.
Quand ?
En octobre 2005, à Tripoli. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, avait débarqué en visite officielle pour nous vendre des armes et du matériel de surveillance. Il avait retrouvé Kadhafi sous la tente pour discuter en tête à tête. Quand il est reparti à l’aéroport, j’ai rejoint Muammar. Nous sommes sortis nous promener dans le jardin et il m’a parlé de Nicolas Sarkozy.
Que vous a dit le colonel Kadhafi sur Nicolas Sarkozy ?
Il m’a expliqué que Sarkozy lui avait déclaré son intention de se présenter à l’élection présidentielle.
C’est curieux, parce que Nicolas Sarkozy a annoncé sa candidature un an plus tard, en novembre 2006…
Comme je vous le dis, Muammar me l’a révélée en 2005. Il était enchanté du dialogue avec Nicolas Sarkozy. Il admirait son enthousiasme, son ambition. La Libye, à l’époque, se battait depuis longtemps pour construire une nouvelle entité politique : les » Etats-Unis d’Afrique « . Muammar m’expliquait que nous ne pourrions jamais construire une puissance africaine autonome si nous n’instaurions pas d’excellentes relations avec la France. Il me disait ceci : » Nous devons aider Sarkozy à devenir président. Il nous faut un ami à l’Elysée. »
Comment comptait-il l’aider ?
De toutes les manières possibles, afin qu’il puisse gagner cette élection.
A-t-il parlé d’argent ?
Oui. Muammar parlait d’un soutien financier. Il parlait en même temps d’un soutien politique et d’un soutien médiatique. Il était prêt à engager tous les moyens pour que Sarkozy soit élu.
Avez-vous connu ces montants par la suite ?
Pas dans la précision. Mais il s’agit de dizaines de millions d’euros, distribués en plusieurs versements à partir de 2005-2006.
Avez-vous eu confirmation par d’autres sources ?
Après ma discussion avec Muammar, plusieurs sources m’ont confirmé ces financements secrets.
Savez-vous qui s’occupait des transactions que vous évoquez ?
Kadhafi avait mis en place un comité spécial, composé de trois personnes chargées de faciliter le processus. Il y avait le Premier ministre Baghdadi al-Mahmoudi ; le chef du renseignement extérieur, Moussa Koussa ; et enfin notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, Abderrahmane Chalgham .
Savez-vous comment travaillait ce » comité spécial » ?
Al-Mahmoudi, Koussa et Chalgham s’occupaient d’examiner les demandes de Sarkozy et de son équipe. Ils rencontraient les émissaires français puis transmettaient chaque demande au colonel. Ce dernier disait oui ou non. L’ordre final de délivrer l’argent devait toujours sortir du bureau du colonel. Après le feu vert, le comité spécial gérait les procédures de versement.
Comment s’effectuaient les versements dont vous parlez ?
Plusieurs fois, des Libyens appointés par le comité spécial se sont rendus au guichet d’une banque européenne où nous avions des fonds. Ils y retiraient plusieurs millions d’euros en liquide. Ces retraits s’effectuaient sans encombre : personne ne demandait des comptes à des diplomates ou à des personnalités du régime qui retiraient de l’argent. Une fois, notre Premier ministre, Baghdadi al-Mahmoudi, a lui-même emmené une délégation dans une capitale européenne, et ce sont ses émissaires qui ont retiré le cash. Ils ont rempli une valise, ils ont retrouvé dans un hôtel des émissaires de M. Sarkozy, et ces derniers sont repartis en traînant la valise.
Existe-t-il des preuves de ces transactions ?
Plusieurs remises de cash ont fait l’objet d’enregistrements audio, ou vidéo, dans lesquels on entend les propos échangés. Imaginez les archives de l’Etat libyen : quarante-trois ans de relations avec le monde, d’enregistrements audio et vidéo de conversations secrètes entre Kadhafi et plusieurs dirigeants de la planète. En 2011, les avions français les ont bombardées. Quantité de preuves ont été détruites. Certaines ont été volées et sorties du pays par des insurgés protégés par l’Otan et par les troupes de Sarkozy. Mais d’autres ont pu être sauvées par des fidèles et cachées en lieu sûr.