DEGRELLE : DU NATIONALISME AU NAZISME

Dans sa biographie politique de Léon Degrelle, Arnaud de la Croix met l’accent sur les racines idéologiques du chef de Rex, brillant espoir de la famille chrétienne belge jusqu’en 1935. En primeur, un extrait du livre.

Plus de septante ans après la Seconde Guerre mondiale, que peut-on encore apprendre de neuf sur la personne et l’action de Léon Degrelle ? Ouvrages de spécialistes, documentaires et articles de presse ont traité le sujet sous tous les angles. Degrelle lui-même n’a cessé, au cours de son demi-siècle d’exil espagnol, de  » refaire le match  » à sa façon, face caméra ou dans ses livres. Le poids de l’historiographie n’a pas dissuadé Arnaud de la Croix, déjà auteur de deux ouvrages sur des aspects de l’idéologie hitlérienne, d’entreprendre une biographie politique du sulfureux personnage. Elle couvre l’ensemble de son parcours, depuis sa naissance à Bouillon, en 1906, jusqu’à son décès à Malaga, en 1994. Clair, concis, bien documenté, son Degrelle, qui sort ces jours-ci chez Racine et dont nous publions, en primeur, un extrait (lire page 56), va à l’essentiel.  » L’idée, avoue-t-il, est de toucher le grand public, interpelé par le parcours d’un homme qui a marqué l’histoire de Belgique et reste le dernier des porte-parole du nazisme en Europe.  »

L’homme providentiel

L’auteur s’intéresse au sujet depuis le début de ses études universitaires.  » Mon père, Paul de la Croix, qui a eu 20 ans à Bruxelles sous l’Occupation et est décédé en 2009, m’a souvent parlé de cette période. Il est issu de ce milieu catholique belge dans lequel le  »beau Léon » a été si populaire au milieu des années 1930. J’ai été surpris, en travaillant sur ce livre, de constater à quel point le rexisme fait partie, de près ou de loin, de l’histoire familiale de nombreux Belges.  »

Philosophe de formation et enseignant, Arnaud de la Croix met l’accent, dans son ouvrage, sur les racines idéologiques de Degrelle.  » J’ai pris pour fil rouge la trajectoire intellectuelle du chef de Rex depuis ses années de jeune homme pressé jusqu’au basculement du vieil exilé dans le négationnisme. Le retour en force du nationalisme et du populisme d’Anvers à Ankara, de Vienne à Washington donne une résonance très actuelle aux événements de l’entre-deux-guerres, à la montée du rexisme. Ne voit-on pas réapparaître la figure de « l’homme fort », de « l’homme providentiel » ?  »

L’ordre, l’autorité, le roi

Adolescent, Degrelle s’enthousiasme pour l’équipée du poète-soldat Gabriele D’Annunzio à Fiume. Collégien à Namur, il est, selon ses propres termes,  » ébloui  » par le coup de force qui installe les fascistes au pouvoir en Italie. L’arrivée de Mussolini est bien accueillie par les milieux européens les plus hostiles au marxisme, dont les catholiques belges. Degrelle devient aussi, comme d’autres jeunes chrétiens francophones, un fervent partisan du  » nationalisme intégral  » prôné par Charles Maurras et ses épigones de l’Action française. Il en retiendra les idées d’ordre et d’autorité, le culte de la monarchie, le mépris du parlementarisme et de la haute finance internationale.

 » Vu son âge, sa matrice sociologique et sa personnalité particulière combinant à la fois intelligence certaine, extraversion poussée, volonté de puissance et arrivisme frénétique, Degrelle ne pouvait qu’être sensible aux sirènes du maurrassisme dans un premier temps, du fascisme italien puis du national-socialisme dans un second « , assure l’historien Alain Colignon dans la préface de l’ouvrage.

Degrelle admire le style vigoureux du polémiste Léon Daudet, qu’il s’efforcera d’imiter dans ses propres écrits et ses meetings. Le fils aîné de l’aimable auteur des Lettres de mon moulin a fait de l’écriture une machine de guerre dirigée contre les ennemis de l’Action française, dont il est l’un des plus fameux collaborateurs.  » On imagine mal l’impact qu’a eu cet homme sur l’opinion, remarque Arnaud de la Croix. Il anime et agite les salons, les réunions politiques, les journaux. Il est l’équivalent, au début du XXe siècle, des polémistes d’aujourd’hui omniprésents dans les médias, tels Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, voire Michel Onfray. Leurs livres-chocs, Le Suicide français, L’Identité malheureuse… et leur sens prononcé du déclinisme et du catastrophisme rivalisent avec les accents apocalyptiques de Daudet fils. Son Stupide XXe siècle est sous-titré : Exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans.  »

Mgr Picard, mentor de Degrelle, est l’homme qui va aider l’ambitieux petit canard  » avec un grand bec  » – comme le jeune bouillonnais se décrit lui-même- à satisfaire ses rêves : en 1927, l’aumônier général de l’Association catholique de la jeunesse belge lui confie la direction de L’Avant-Garde, le journal des étudiants de Louvain. En 1930, il nomme Degrelle à la tête de la maison d’édition Christus-Rex. Arnaud de la Croix pointe aussi le rôle non négligeable des Lemay, la belle-famille de Degrelle, dans l’ascension de leur beau-fils. Grâce à leur argent, il devient officiellement, à 27 ans, propriétaire des éditions Rex, et il peut acquérir, peu avant la Seconde Guerre mondiale, une luxueuse villa à la drève de Lorraine, près de la forêt de Soignes.

Degrelle et Hergé

Un chapitre est consacré aux relations entre Degrelle et Hergé, devenues houleuses en novembre 1932, quand le père de Tintin menace l’éditeur de poursuites judiciaires pour l’utilisation, contre sa volonté, de l’un de ses dessins – une tête de mort couverte d’un masque à gaz – sur une affiche électorale appelant à voter pour le parti catholique. L’auteur revient aussi sur l’accord secret d’octobre 1936 entre Rex et le VNV, qui a éloigné du rexisme une partie de son électorat. Un pacte  » fondé sur un malentendu « , constate-t-il : Degrelle s’est imaginé qu’il avait réussi à rallier les nationalistes flamands à la cause de l’unitarisme. En contrepartie, son parti a adopté le projet VNV d’un  » Grand Bruxelles  » gouverné de telle sorte que la francisation de la capitale soit stoppée et remplacée par une politique de flamandisation.

L’opportunisme mégalomaniaque du chef de Rex a également retenu l’attention de l’auteur.  » Il est frappant de constater que Degrelle n’a cessé, tout au long de son existence, de mentir à son public, à ses militants et même aux cadres de son parti, auxquels il cache ses intentions. Il y a un décalage constant entre son agenda et celui de ses partisans, sur lesquels il a toujours une longueur d’avance. Rares sont d’ailleurs, parmi ses proches collaborateurs, ceux qui le suivront jusqu’au bout.  » De même, il invente, force le trait ou romance sa vie dans ses livres et interviews. Il prétend qu’Hitler lui aurait dit, avec une affection vibrante :  » Si j’avais un fils, je voudrais qu’il soit comme vous.  » On n’a pas retrouvé la moindre trace, dans les archives allemandes, de la fameuse phrase. Le fondateur du rexisme ne cessera pourtant de la répéter.

PAR OLIVIER ROGEAU

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