Défier la pesanteur

Guy Gilsoul Journaliste

L’artiste, comme tout homme, souffre parfois d’être soumis aux lois de la physique. Alors, comme le dieu Hermès, il se donne le pouvoir de les défier. Démonstration au Grand-Hornu.

La beauté de l’art tiendrait-elle davantage dans l’ingéniosité mise en £uvre par l’artiste pour dépasser les contraintes de la réalité que dans le résultat lui-même ? C’est en tout cas l’avis de Denis Gielen, qui signe une exposition au titre quelque peu hermétique (emprunté, il est vrai, à Marcel Duchamp), Le Soigneur de gravité :  » En fait, confie le commissaire, je suis fasciné par l’énergie et le foisonnement des imaginations qui, par une action particulière sur et dans la matière, tentent de se libérer.  » Le propos est certes ancien et évoque le processus alchimique.  » Métamorphoser un bloc d’argile en sculpture, poursuit Gielen, donner de la transparence à un bloc de marbre relève, comme l’a très bien décrit Nietzche, d’une sorte de gai savoir.  »

A son tour, l’artiste contemporain rêve d’échapper à toutes les pesanteurs. Dès l’entrée de l’exposition, de manière allégorique, une sculpture de Patrick Guns, posée tel un logo, sert pourtant d’avertissement : un homme-bilboquet en position de joueur de pétanque a perdu la  » boule « . Sa tête, elle-même reliée à une corde, telle une bombe à sa mèche, évoque le côté explosif de l’imagination de l’artiste. Le voyage peut mener au vertige aussi bien qu’au rire tant les horizons sont multiples. La vidéo de Steve Kaspar nous mène au plus près des braises entre cendres, fumée et flammes, jusqu’à l’endroit où tout se dilue, comme si on avait gagné, avec cette lenteur propre aux films de Tarkovski, le c£ur de la matière. A l’opposé, le Suisse Didier Marcel a pris l’empreinte d’un fragment de terre labourée et en a fait un relief de plus de 350 kilos dans lequel, de la même manière, l’£il descend dans les creux de la glaise. Parfois, c’est de très haut qu’on fixe le sol, avec, par exemple, les vues aériennes de Aglaia Konrad. Le point de vue est plus inattendu dans la vidéo du Français Marcel Dinahet, qui maintient, dans un caisson, sa caméra sur la ligne de flottaison de telle sorte que, ballottée par le mouvement des vagues, elle offre dans une même image le domaine miroitant de l’air et l’espace sous-marin. Parfois, c’est le moment choisi et le ralentissement du temps qui fait basculer le réel (une vidéo d’Edith Dekyndt). A d’autres moments, le mouvement rotatif, comme dans une très festive Fleur de rocaille construite avec fils de pêche et perles par le Français Lionel Estève, évoque tout à la fois la montgolfière et le pouvoir de l’hélice.

L’Art, et la science expérimentale

Les plasticiens travaillent ainsi parfois aux confins de la science expérimentale, comme Edith Dekyndt, quand elle filme le même processus de dilution d’encre dans l’eau à différentes températures, ou Anne Veronica Janssens, quand elle dépose une perle de silicone dans un mélange précis d’eau et d’alcool, ou encore, bien auparavant, lorsque le surréaliste Marcel Lefrancq photographiait une goutte de mercure explosant sur une surface de miroir.

Mais parfois, le  » gai savoir  » revient sur terre avec une violence accrue. Dans une suite de photographies, Patrick Guns juxtapose en lettres grasses le dernier menu des condamnés à mort américains et, en couleurs brillantes, le portrait de chefs de chez nous, en tablier blanc, et le plat du condamné qu’ils ont inventé. Non loin, c’est un documentaire, signé du Hollandais Jos De Putter, qui nous prend ainsi à la gorge. On y voit comment, dans Grozny dévasté, un homme, Ramzan Akhmadov, rassemble tous les enfants et leur apprend la danse afin de conjurer, par ce dépassement des conditions physiques, la peur, la folie et la mort. De cette dernière, il est aussi question dans une petite photo datée de la fin du xixe siècle qui montre une séance de spiritisme et, donc, à sa manière, un voyage dans un autre au-delà qui, l’air de rien, rampe tout au long du parcours.

Le Soigneur de gravité, au Mac’s (Musée des arts contemporains), 82, rue Sainte-Louise, Grand-Hornu. Jusqu’au 1er juin. Tous les jours, sauf le lundi, de 10 à 18 heures. Tél. : 065 652121 ; www.mac’s.be

Guy Gilsoul

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