De rouge et de bleu

Guy Gilsoul Journaliste

Si l’oeuvre de Louise Bourgeois (1911-2010) est autobiographique, elle touche par sa dimension universelle. Un ensemble de sculptures et de dessins des dernières années de sa vie ont été réunies par Xavier Hufkens, à Bruxelles.

En 2000, Louise Bourgeois, 89 ans, avait derrière elle une oeuvre colossale et singulière dont le moteur renvoie aux relations de l’artiste à sa féminité et aux rapports orageux qu’elle avait entretenus avec sa mère (dont elle fera des araignées géantes) et son volage de père. Mais à cet âge, quoique toujours en éveil, entre plongées introspectives et analyses, l’artiste française, installée à New York dès 1938, sait que le temps lui est désormais compté. Est-ce la raison de ces petites figures roses, blanches ou noires qu’elle va alors confectionner à l’aide de bandes de tissus provenant de ses propres vêtements ?

Quatre ans plus tard, elle entame une nouvelle série de 21 têtes en bleu, la couleur qui, pour elle, symbolise au mieux la mélancolie mais aussi ce moment, décrit par le poète Keats comme l’instant de l’entre-deux mondes qui caractérise le fait créatif. La galerie Hufkens en réunit exceptionnellement douze. Six d’entre elles se dressent sur un socle au centre d’une cage de verre aux montants d’acier. Ce sont des visages grossiers. Les uns grimacent, les autres rient ou ricanent. L’une des pièces est double comme si le portrait (le sien ? celui de son père ?) présentait deux aspects noués l’un à l’autre. Cinq autres, à la manière d’une famille pendent têtes en bas dans une sorte de prison de verre et de grillage. La présentation de la dernière évoque une balance dont la figure de tissu bleu serait l’un des éléments.

L’intensité expressive de ces têtes tient au traitement du volume mais surtout à la manière dont l’artiste les confectionne. Imaginons son travail. De ses mains usées par le temps, elle prépare d’abord ses lambeaux de tissus puis les enroule à la manière d’un bandage autour d’une âme en polystyrène auquel elle a préalablement donné un volume approximatif. Puis elle prend du fil et coud à gros traits les éléments les uns aux autres. Ce sont des cicatrices. Enfin, avec détermination et distance, elle les met en scène, glaçant l’ensemble. Le rendant intouchable.

En 2007, à 96 ans, souffrant d’insomnie, Louise Bourgeois dessine des nuits entières, debout devant sa table de travail. Ce sont des silhouettes rouges de femmes aux allures de stéatopyges, têtes minuscules et ventres pleins. Au petit matin, son assistant ramasse les feuilles tombées sur le sol. Sur une des pièces accrochées dans la galerie bruxelloise, un ensemble de six dessins, on voit comment l’artiste associe les deux couleurs. Le rouge depuis toujours chez elle signale le défi. Il est le corps et le contour. Le bleu se réserve le ventre maternel.

Il ne reste plus à Louise Bourgeois que quelques mois à vivre… Deux ans auparavant, en 2008, le Guggenheim de New York et le Centre Pompidou à Paris lui avaient consacré de vastes rétrospectives. Depuis, d’autres ont suivi. En 2015, les musées de Malaga, Istanbul, Moscou, Stockholm et Munich auront ainsi accueilli des ensembles conséquents.

Louise Bourgeois. Les têtes bleues et les femmes rouges, à la galerie Xavier Hufkens, à Bruxelles. Jusqu’au 31 octobre. www.xavierhufkens.com

Guy Gilsoul

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