Le décret d’autorisation régionale (DAR), qui simplifie la vie des autorités wallonnes en matière de permis pour ses gros chantiers, est de plus en plus menacé. Et s’il était annulé ? Quid des projets en cours ?
On parle de centaines de millions d’euros ! Willy Borsus (MR) le rappelle régulièrement au parlement wallon. Il n’a pas tort. Même si personne ne les a jamais chiffrés globalement, la somme que représentent les différents projets d’aménagement déjà engagés via le DAR – la procédure dérogatoire imaginée par la Région wallonne pour ses gros chantiers – est astronomique : développement de Bierset, de l’aéroport de Charleroi, le contournement de Couvin ( lire le Vif/L’Express du 25 novembre), le réseau RER entre La Hulpe et Louvain-la-Neuve, l’extension du métro de Charleroi… Bientôt aussi la gare Calatrava de Mons, pour laquelle le ministre de l’Aménagement du territoire Philippe Henry (Ecolo) a récemment commandé une étude juridique à plusieurs cabinets d’avocats. Objectif : vérifier que le projet puisse bien rentrer dans le champ d’application du DAR.
Visiblement, les autorités wallonnes avancent aveuglément. Elles continuent à bétonner des permis considérés comme d’importance majeure pour la Région, en confiant leur validation – c’est la particularité du DAR – au parlement. Comme si de rien n’était. Comme si l’avenir du décret n’était pas menacé. Comme si ni la Commission européenne ni la Cour de justice européenne n’avaient rien dit… C’est pourtant une véritable bombe à retardement qui tangue au-dessus de leur tête.
En effet, en 2009, un an après l’adoption du décret wallon, la Commission avait froncé les sourcils en demandant à l’Etat belge si le DAR wallon était bien compatible avec les directives européennes et surtout avec la fameuse convention internationale d’Aarhus (sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice, en matière d’environnement). Interpellée, la Région avait à peine répondu, si ce n’est avec dédain.
Une avalanche de recours
Mais, le 18 octobre dernier, la Cour européenne de justice, à qui le Conseil d’Etat avait posé des questions préjudicielles, a rendu un avis négatif sur le DAR, en se basant sur Aarhus. Voilà qui est beaucoup plus gênant. Car, de son côté, la Cour constitutionnelle belge a été saisie de pas moins de 16 recours en annulation contre le DAR et les permis déjà ratifiés. Elle attend, elle aussi, une réponse aux questions préjudicielles qu’elle a posées à la Cour de Luxembourg. Difficile d’imaginer que cette réponse soit diamétralement opposée à celle qui vient d’être rendue. Difficile également de concevoir que la Cour constitutionnelle puisse s’asseoir sur l’avis des juges européens. Bref, comme l’a souligné Willy Borsus le 26 octobre dernier au parlement, le DAR est largement compromis.
Si la justice annule in fine le décret, le gouvernement wallon se retrouvera bien coincé. Avec quelles conséquences ? Faudra-t-il réintroduire des permis ? Les projets seront en tout cas considérablement retardés. Le plus pittoresque de l’histoire est que le DAR a justement été conçu pour accélérer les procédures de permis ! » Ces permis étant ratifiés par le parlement, les recours ne peuvent pas être introduits devant le Conseil d’Etat, qui examine les actes administratifs, mais devant la Cour constitutionnelle, compétente pour les actes législatifs, explique Jean-François Pütz, juriste d’Inter-Environnement Wallonie (IEW), elle-même à l’origine d’un recours contre le DAR. Or les arguments qui peuvent être soulevés devant la Cour sont beaucoup plus restrictifs que devant le Conseil d’Etat. » C’était justement le but recherché – et à peine caché – par la Région wallonne pour éviter les procédures fastidieuses. C’est ce déficit d’accès à la justice qui est critiqué par la Commission et la justice européennes.
Lors de la précédente législature, Ecolo avait prédit ce scénario. Aujourd’hui dans la majorité, les verts se sentent gênés aux entournures. Ils n’aiment pas le DAR, ce poison qui fait lentement son effet, mais, pressés par le CDH et le PS, ils doivent composer avec lui. Le ministre Henry, qui n’a pas donné suite à nos appels, a hérité de la patate chaude. Le 26 octobre au parlement, il a déclaré que, pour ce qui concerne les projets concernés, rien ne change à ce stade-ci puisqu’on n’est pas au bout de la procédure judiciaire. Un attentisme justifié par les montants engagés et les investisseurs impliqués. Un attentisme cependant suicidaire. D’ici à moins d’un an, la bombe peut exploser.
THIERRY DENOËL