D’Anvers à Alep et de mal en pis

Le premier procès belge de la filière syrienne sera axé sur Sharia4Belgium. Avec seulement huit prévenus à la barre et beaucoup de fantômes, victimes ou bourreaux des geôles djihadistes. Il est pointé à risques.

Alors que les têtes roulent dans le désert irakien et qu’un soupçon de complot terroriste est dévoilé tous les jours en Europe, un nouveau procès islamiste va démarrer en force, le 29 septembre prochain, à Anvers. On ne présente plus Sharia4Belgium : un groupe de musulmans extrémistes apparu à Anvers en 2010, à l’instigation d’Anjem Choudary, un prédicateur britannique, fondateur de Sharia4UK (dissous et remis sur pied sous un autre nom). Sous l’influence de ce groupuscule, des dizaines de jeunes Belges sont partis se battre en Syrie, dans les rangs des plus durs : Al-Nosra et l’Etat islamique.

Sharia a une lointaine ascendance Frères musulmans (FM), mais se situe dans la mouvance salafiste soutenue par l’Arabie saoudite et d’autres pays adeptes du wahhabisme, une version ultra de l’islam sunnite. A la différence des distingués FM, surnommés  » les jésuites de l’islam « , les salafistes à la sauce Sharia n’y vont pas par quatre chemins. Ils annoncent la couleur : imposer la charia, la loi islamique, là où les musulmans sont majoritaires et amener les non-musulmans à se convertir.

Sharia4Belgium s’est toujours défendu de vouloir recourir à la violence dans notre pays, prônant seulement le djihad défensif (si les musulmans sont attaqués) et la reconquête de la Palestine, son leitmotiv. Certes, quelques-uns de ses membres avaient chahuté, à l’université d’Anvers, une conférence de Benno Barnard, un intellectuel connu pour sa dénonciation de l’islamisme couvant sous le multiculturalisme. Un crime de lèse-majesté aux yeux des trublions de Sharia4Belgium, emmené par le déjà très médiatique Fouad Belkacem.

Ce dernier, un délinquant multirécidiviste de 32 ans, reconverti dans les affaires pseudo-religieuses, a été condamné à deux ans de prison pour incitation à la violence et à la haine contre les non-musulmans en 2012. Depuis 2010, il était dans le viseur de la justice et des services de renseignement. N’aurait-on pas pu arrêter plus tôt les départs vers la Syrie, alors que la radicalisation et l’engagement de certains jeunes endoctrinés par Sharia et ses émules étaient déjà connus grâce aux écoutes téléphoniques ? La justice n’a pas bougé, reprochent certains parents de djihadistes. De fait, à l’époque, le sujet n’était pas à la mode.  » On s’en foutait un peu « , se souvient un magistrat. Aujourd’hui, les dossiers pour terrorisme s’accumulent au parquet fédéral. Plus de 200 % d’augmentation en 2014. Une autre époque.

Le procès correctionnel qui va s’ouvrir à Anvers ne lèvera cependant qu’un coin du voile sur la lutte anti-terrorisme en Belgique. Le parquet fédéral est avare d’explications car la matière est délicate et les avocats de la défense à l’affût du moindre faux pas. Les magistrats du parquet poursuivent logiquement un objectif judiciaire : établir les infractions et déférer leurs auteurs présumés devant un juge indépendant. Peu leur chaut que ce procès n’explique pas les causes profondes de l’explosion de radicalisme dans la communauté musulmane ni la démarche des recruteurs. Ni a fortiori qu’il ne propose pas de remède.  » Les magistrats considèrent que la prévention relève d’autres autorités, les Communautés, les bourgmestres, les parents, relève l’un d’entre eux. La lutte contre le terrorisme est aussi affaire d’éducation et d’accompagnement social.  » Conséquence : le public anversois n’aura droit qu’à deux journées d’audience, réquisitoire et plaidoiries compris. Avec, sans doute, un jour supplémentaire d’audience, le 8 octobre, vu l’abondance des questions de procédure soulevées par la défense.

Fouad Belkacem, bouc émissaire ?

Comparaissant détenu, Fouad Belkacem risque gros. Cette fois-ci, la justice espère l’épingler pour des faits de terrorisme. Lorsque le parquet général d’Anvers avait examiné la faisabilité d’une procédure en déchéance de nationalité, la réponse avait été  » non « . Dossier trop léger. En 2008, le Belgo-Marocain a été condamné par le tribunal correctionnel de Bruxelles, avec sept autres personnes, pour l’importation de 5,3 tonnes de cannabis marocain. Le 7 octobre prochain, la cour d’appel de Bruxelles va rouvrir les débats en raison de la disparition de certaines pièces du dossier. Les commentaires triomphants du porte-parole de Sharia4Belgium lors du décès de l’ancienne femme politique anversoise du Vlaams Belang, Marie-Rose Morel ( » une punition d’Allah « ) et autres propos blâmables lui ont valu deux ans de prison en 2012. Pas de quoi lui retirer son passeport belge, acquis en 1997.

Mais au terme de son nouveau procès, il pourrait écoper d’une condamnation pour terrorisme (entre dix et vingt ans de prison) qui pourrait relancer une demande du parquet général de retrait de nationalité. Seuls quelques  » poids lourds  » du terrorisme, recruteurs ou combattants avérés en Afghanistan, Tarek Maaroufi, Amor Sliti et Abdelkrim El-Haddouti, ont été déchus de leur nationalité belge en 2009. Dans ses arrêts, la cour d’appel de Bruxelles avait systématiquement évoqué  » l’incompatibilité entre l’islam radical et la citoyenneté belge « . Un message politique qui reste au coeur des débats judiciaires. D’autres activistes sont actuellement dans le collimateur judiciaire. Prochaine décision attendue, le 9 octobre : Malika El Aroud saura si elle redevient une simple Marocaine, après avoir embrassé la cause des moudjahidines afghans et entraîné un jeune à sa perte, en l’endoctrinant.  » Fouad Belkacem est en détention préventive depuis longtemps et les jeunes continuent tout de même de partir en Syrie « , nuance son avocat, Me John Maes.

Dans le contexte de formation du futur gouvernement, qui fourbit de nouvelles armes sécuritaires, l’affaire Sharia4Belgium vient à point nommé pour démontrer que la Belgique combat le djihadisme avec détermination et que ses moyens légaux doivent être renforcés. Un axe bruxello-anversois se dessine. L’enquête a été menée par la PJF d’Anvers, avec l’aide de la Sûreté de l’Etat, sous la direction du parquet fédéral à la tête duquel officiait Johan Delmulle, réputé à poigne et proche des milieux politiques. Devenu procureur général de Bruxelles, le magistrat flamand a consacré sa première mercuriale à sa volonté de toucher les djihadistes au portefeuille en les privant d’allocations sociales et en récupérant les subsides des asbl qui auraient contribué à leurs expéditions guerrières.

Un procès disparate

Le procès Sharia4Belgium d’Anvers rassemble des incriminations très différentes sous l’étiquette  » groupe terroriste « . Il examinera de simples atteintes à l’ordre public commises à Molenbeek-Saint-Jean, en 2012, après l’interpellation d’une femme en niqab, et des faits infiniment plus graves imputés à certains prévenus, dans le cadre du djihad, en Syrie. Comme la séquestration de chrétiens et de chiites non identifiés ayant conduit à leur mort… A d’autres prévenus, on reproche leurs menaces contre la population belge ou le ministre de la Défense, Pieter De Crem (CD&V) ; l’aide logistique et financière apportée au groupe terroriste dont ils sont censés avoir fait partie ; ou encore, la séquestration de Jejoen Bontinck. Ce dernier, inculpé comme membre de Sharia4Belgium, a été exfiltré de Turquie par son père et il a dénoncé le comportement de ses anciens compagnons d’armes.

Le lien entre ces événements disparates est l’appartenance à l’organisation présumée terroriste Sharia4Belgium. Sur les 46 prévenus, 16 sont considérés par le parquet comme des  » dirigeants « , ce qui les expose au risque d’écoper de vingt ans de prison au lieu de dix pour de simples  » membres « . Toutefois, les faits reprochés à certains prévenus (Hakim Elouassaki, Zakaria Asbai, Nabil Azahaf, Magomed Saralapov, Tarik Taketloune…), sont tellement graves qu’on peut légitimement se demander s’il n’aurait pas fallu les renvoyer devant les assises. Il pourrait s’agir, en effet, de crimes de droit humanitaire international (crimes de guerre), à propos desquels, en principe, la législation antiterrorisme belge ne s’applique pas. Mais un procès d’assises ne se bâtit pas comme un procès correctionnel. Il faut des preuves en béton, une instruction d’audience, des témoins présents à l’audience, convaincre un jury populaire, avec, le cas échéant, des peines pouvant aller jusqu’à la perpétuité. Actuellement, il est impossible d’envoyer un juge d’instruction dans les territoires contrôlés par l’Etat islamique ou Al-Nosra. Le parquet fédéral a donc décidé de tenter le coup, en s’appuyant sur un dossier qu’il juge solide.

Des 46 prévenus, huit seulement seront au procès, comme Fouad Belkacem, Jejoen Bontinck ou Hakim Elouassaki. Il en manquera 38 à l’appel, soit parce qu’ils sont morts (sans acte officiel de décès), soit parce qu’ils sont toujours au front ou réfugiés dans d’autres pays. Les jugements par défaut ne sont pas rares dans les dossiers  » terrorisme « . On rejoue le procès lorsque les absents réapparaissent, comme ce fut le cas récemment avec Rachid Benomari et deux autres membres d’une filière terroriste somalienne, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Mais les morts auront-ils le droit à la parole ?

 » La plupart des prévenus absents, une quinzaine environ, sont morts et on va faire un big show de deux jours autour d’eux, s’indigne Me Abderrahim Lahlali, avocat de Hakim Elouassaki, 22 ans, de Vilvorde. Je vais aussi défendre quelqu’un, Houssien Elouassaki, pour lequel j’étais mandaté quand il était encore en vie, mais il est mort en août 2013, comme l’indiquent des témoignages, des écoutes téléphoniques, des photos Facebook… Je trouve immoral de l’avoir cité. C’est la même situation pour Tarek Taketloune, de Vilvorde, dont on est sûr à 100 % qu’il est décédé.  »

L’avocat Abderrahim Lahlali élargit sa défense de la fratrie Elouassaki à la responsabilité globale de la Belgique.  » On a laissé s’implanter le salafisme en Belgique en offrant de multiples facilités à l’Arabie saoudite, dont la mosquée du Cinquantenaire, en échange de son pétrole, accuse- t-il. Fouad Belkacem a été influencé par le salafisme mais, d’après mes informations, il n’a jamais prémédité un attentat en Belgique. C’est toute la différence entre Al-Qaeda, qui prônait le djihad mondial, et l’Etat islamique, du moins jusqu’à l’intervention de la coalition en Irak.  »

L’avocat s’en prend également aux services de sécurité belges qui savaient, par leurs écoutes et surveillances diverses, que certains se préparaient à partir, s’ils étaient en chemin ou déjà arrivés. Et qui ne sont pas intervenus.  » C’est le cas de mon client, Hakim Elouassaki, que son père et sa mère avaient privé de ses passeports belge et marocain tant ils craignaient qu’il rejoigne son frère aîné, Houssien, en Syrie « , illustre-t-il. Or, les départs visés par le procès Sharia4belgium se sont échelonnés d’août 2012 à la moitié de 2014.  » La Sûreté de l’Etat et la police fédérale étaient informées, poursuit l’avocat gantois. On a laissé la plupart des jeunes partir jusqu’à ce que, en mars 2013, Michèle Coninsx, la magistrate belge présidente d’Eurojust (NDLR : agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire entre les Etats), évoque à la VRT le départ de quelques dizaines de jeunes Flamands et exprime la préoccupation des procureurs européens devant un phénomène en pleine expansion.  »

Me Lahlali, qui fut onzième sur une liste régionale du CD&V aux dernières élections, ne va pas jusqu’à parler de  » provocation « , mais il pointe une négligence et donc une responsabilité dans le chef de l’Etat belge.  » C’est incompréhensible d’avoir laissé partir des jeunes d’à peine 20 ans comme Hakim Elouassaki, répète-t-il. La Belgique devrait avoir, à l’instar de l’Allemagne, un plan politique national de prévention pour stopper l’exode des jeunes et pas seulement renforcer la répression  »

Par Marie-Cécile Royen

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