Paysagiste et peintre intimiste, amoureux des Hautes Fagnes, Georges Le Brun est un artiste belge peu connu. Il a pourtant laissé une oeuvre tout en poésie et humanité… Le musée Rops, à Namur, nous la fait découvrir.
Pas une seule fois de sa vie, le Verviétois Georges Le Brun (1873-1914) n’exposa en solo. Aux Beaux-Arts de Bruxelles où il s’inscrit dans la classe du peintre orientaliste Jean-François Portaels, il ne reste que quelques jours. L’artiste ne cherche ni la gloire, ni l’argent et surtout pas une carrière. Du coup, seuls quelques spécialistes s’intéressent à lui. Résultat, aujourd’hui, son nom est encore largement méconnu. D’où l’intérêt de cette exposition namuroise qui réunit une trentaine de dessins, aquarelles, pastels et peintures à l’huile. Certaines oeuvres souffrent d’un réalisme trop marqué par son époque. Le dessin est d’une grande maîtrise mais sans invention particulière. La faute peut-être aux sujets : le monde du travail à la campagne. Peut-être à la volonté de trop bien faire. En revanche, il en est d’autres au pastel ou à l’huile qui n’ont pas pris une ride. On songe à Giorgio Morandi autant qu’aux intérieurs hollandais du XVIIe siècle.
Le Brun n’est jamais aussi profond que lorsqu’il peint les Hautes Fagnes enveloppées dans une lumière diffuse ou quand, avec une précision d’horloger et un sens aigu du mystère, il nous conduit au coeur tamisé des habitations ardennaises. Là, on ressent le peintre aux aguets, travaillant à l’élaboration d’une petite musique dont chaque note est mûrement réfléchie et… ressentie. On découvre alors l’homme cultivé et secret caché derrière l’image du solitaire qui, très jeune encore, décide de rejoindre un petit village du côté de la Baraque de Fraiture. Le climat y est rude, le paysage panoramique, le ciel bas. La couleur avare. A 25 ans, Le Brun signe son premier chef-d’oeuvre, un triptyque impressionnant mettant en scène, sur fond de paysage panoramique, un laboureur, un berger et un arracheur de pommes de terre. Six ans plus tard, avec la Symphonie bleue, il gagne d’autres hauteurs. Désormais, les oeuvres seront moins démonstratives, plus intemporelles et davantage intériorisées.
Entre-temps, le peintre s’est marié et s’est installé à Theux dans une très belle maison dont il compose tous les décors, du mobilier au plateau de faïence qu’il choisit local, rude, simple et beau. Ce nouvel environnement ainsi que la présence de son épouse et de ses deux enfants nourrissent un temps son imagination. Mais bientôt, le besoin de revenir sur ces hauts plateaux s’impose à lui. Et c’est là qu’il réalisera sans aucun doute les meilleurs tableaux.
Peu à peu, ses compositions se vident, les personnages ne s’attellent plus à une tâche mais passent, s’arrêtent, fixent le peintre. Le véritable sujet devient l’inconnu. Pour en exprimer l’intensité mais sans jamais tomber dans la peur, Georges Le Brun joue sur le trouble que fait naître tel arrangement de formes, telles harmonies de couleurs sourdes, telle qualité de texture. Il a 41 ans lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale. Il part sans hésiter pour le front de l’Yser après avoir peint un nouveau triptyque révélant une nouvelle fois le vaste paysage des Hautes Fagnes mais désormais vide de toute présence humaine. Le soldat Le Brun se porte volontaire pour une mission dangereuse. Il n’en reviendra pas.
Georges Le Brun, maître de l’intime, au musée Rops, Namur. Jusqu’au 6 mars 2016. www.museerops.be
Guy Gilsoul