Dans la cour des Grands

Charles Michel inclus, 51 chefs de gouvernement ont cornaqué la Belgique depuis 1831. Ceux qui ont vraiment su se révéler dans la fonction ne sont pas légion. Le Vif/L’Express est parti à la chasse de ces  » oiseaux rares  » qui ont façonné le pays.

Devenir Premier ministre : le couronnement d’une carrière politique, l’ivresse d’accéder à la fonction suprême, quoique soumise à rude concurrence depuis la montée en puissance des ministres-présidents des Régions et Communautés. Depuis 1831 et le premier exécutif permanent de Belgique, ils sont 51, exclusivement mâles, à avoir connu ce bonheur. Plaisir plus souvent fugace que durable.

Rares sont ceux qui ont su faire mieux que passer ou s’accrocher à la fonction, mais qui s’y sont véritablement révélés. Par leur capacité à ne pas seulement subir les événements, mais à en infléchir le cours, leur aptitude à fixer et à garder un cap contre vents et marées.

Le Vif/L’Express en a sorti dix du lot. Dix  » perles rares  » triées sur le volet, après être passées au tamis du jugement d’une dizaine d’historiens et de politologues consultés par nos soins et qui livrent leur appréciation. Emergent ainsi, depuis 1831, cinq chefs de cabinet sur les vingt et un qu’a compté le pays, et cinq Premiers ministres sur trente. Nuance, en effet : cette lourde charge ne s’est pas imposée d’emblée. Il a fallu les tourments de la Première Guerre mondiale pour que l’appellation  » Premier ministre  » soit consacrée par arrêté royal du 25 novembre 1918. Et pour que son titulaire devienne plus qu’un simple primus inter pares mais un vrai  » patron « .

Mention spéciale pour six catholiques, trois libéraux et un socialiste : ce déséquilibre politique n’est qu’affaire d’occupation plus ou moins prolongée du pouvoir. Sur ce terrain, la gauche a souffert d’un handicap : la tête de l’exécutif lui est restée inaccessible tout au long du XIXe siècle et ne lui est que chichement attribuée depuis l’instauration du suffrage universel en 1919 : les socialistes n’ont eu droit qu’à cinq Premiers ministres, là où les catholiques ont fourni trente-six chefs de gouvernement et où les libéraux en ont aligné dix.

Bien sûr, chefs de cabinets puis Premiers ministres ne sont jamais des hommes seuls. Un gouvernement est avant tout un travail d’équipe, tributaire d’une foule de paramètres et de contingences qui lui échappent.

Mais de Lebeau à Dehaene, en passant par Rogier, Frère-Orban, Beernaert, Broqueville, Van Zeeland, Van Acker, Eyskens et Martens, ceux-là se sont au moins distingués par un coup de rein décisif qui leur a permis de forcer le destin à des moments cruciaux de l’Histoire. Leur action, qu’elle soit jugée politiquement louable ou non, a d’ailleurs marqué les esprits et résisté à l’épreuve du temps. Elle a pu manquer de panache. Elle a toujours révélé un sens aigu du pragmatisme, une habileté manipulatrice à négocier, une obstination peu commune et un feeling qui font la  » patte  » des grands. Charles Michel (MR), 51e chef de gouvernement depuis un an, aura-t-il l’étoffe pour rejoindre un jour ce club très fermé ? A ce stade, le suspense reste entier et le pronostic réservé.

Par Pierre Havaux

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