Cornes de cocu

L’Atelier Jean Vilar confie l’inusable L’Ecole des femmes, de Molière, au metteur en scène Jacques Delcuvellerie: priorité à la farce!

Quand il ne s’attelle pas à un « monstre » de création tel que Rwanda 94 (1), Jacques Delcuvellerie se nourrit de classiques. Il affronte aujourd’hui « la » comédie: cette Ecole des femmes qui, en 1662, propulsa Molière au premier plan parfumé de scandale. Point de relecture sacrilège ici, mais une mise en théâtre savoureuse et claire dans ses axes: la connaissance de soi par la révélation de la sensualité pour Agnès, et la mise à sac du plan de vie longuement mijoté par celui qui la gardait pour lui, Arnolphe. Les procédés formels et traditionnels de la farce (chutes, coups, confidences indues, jeu des valets…) en deviennent le pivot prioritaire, mais ils laissent leur part fugitive aux échappées plus sombres.

Un rideau de tréteaux se tire sur une armoire monumentale, dont les lourdes portes ont des grincements de prison (scénographie de Johan Daenen). Translucide, l’armoire-maison de poupée révèle la fornication des valets au rez-de-chaussée, tandis qu’Agnès brode à l’étage. Cette métaphore limpide du bien précieux gardé sous clé et des intérêts on ne peut plus charnels (de chacun) est planté au centre d’un espace neutre, sous des projections d’esquisses de campagne, subtilement dorées de l’aube à la nuit par les lumières de Philippe Sireuil, directeur du théâtre Jean Vilar. On peut à loisir détailler les costumes de Greta Goiris: plus moliéresques que nature avec ce surplus de noeuds, de rubans, de volants qui en assument la théâtralité!

Arnolphe, l’orgueilleux donneur de leçons, se croit hors d’atteinte des cornes du cocuage en ayant pris soin de maintenir la fille convoitée dans l’ignorance. Il ferme donc ses écoutilles aux sirènes des précautions que lui chante l’ami raisonneur Chrysalde (excellent et ironique Julien Roy). Les confidences, presque affectueuses, du damoiseau Horace (Alexandre Trocki, complaisant et inconséquent à souhait) sur la séduction « naturelle » d’Agnès, enferreront Arnolphe dans une cascade de coups parés et manqués, dont les bons valets de tradition (Michèle Végairginsky et Alain Kremer) ne sont pas absents… L’assaut cruel viendra de celle à qui Arnolphe prêcha si bien l’augustinienne morale: « Votre sexe n’est là que pour la dépendance, du côté de la barbe est la toute puissance! » A ce vers, la salle rugit encore de plaisir et d’indignation… Molière n’a, décidément, pas besoin d’actualisation.

C’est qu’Agnès s’est éveillée au frisson du plaisir, par la venue d’Horace. Voilà bien un autre cadeau de mariage que le livre des devoirs imposé par Arnophe! Le barbon a beau jeter son d’amour sincère à ses pieds, la belle a appris à se défendre, à réfléchir, à parler, à jouer, elle sape les illusions de possession du grincheux et sa conception même du monde!

Jeanne Dandoy a de l’or dans sa naïveté; elle la maintient jusqu’au bout du rôle, mais en la nourrissant de plus en plus d’éclats, de fermeté, par-dessus les sursauts peureux de soumission. Elle en devient lumineuse, splendide! La trajectoire d’Arnolphe est à l’inverse. Max Parfondry trottine sur des ressorts de jouissance anticipée au premier acte, il peut encore dresser son onctueuse autorité, puis il explose, se tasse et fait du décor un mur des lamentations! Ce rôle, parmi les plus longs du répertoire, est une performance en soi. Il excelle dans le jeu de la farce, et la grimace de douleur y trouve matière à ambiguïté, mais avec un luxe de détails et de détours par une distance sur lui-même qui en font apparaître (et disparaître tout aussi vite) la dimension tragique. Tandis qu’il se balance obstinément face à son mur, tout le monde se retrouve sous la poudre de perlimpinpin d’un happy end sorti des oubliettes!

(1) Egalement à Louvain-la-Neuve, en avril. L’Ecole des femmes, Atelier Jean Vilar, Louvain-La-Neuve, jusqu’au 1er décembre. Au Théâtre national (Palace), qui coproduit le spectacle, du 15 au 31 janvier. Tél.: 0800-25 325.

Michèle Friche

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