Il est devenu, à 66 ans et à la surprise générale, le nouveau chef d’un Labour britannique dont il n’était, jusqu’alors, qu’un marginal député proche de la gauche radicale. Porté par une vague militante, il veut en finir avec le blairisme, et inspire autant qu’inquiète la gauche social-démocrate européenne.
Et si les ringards n’étaient pas là où on le croit ? Le Londonien Jeremy Corbyn, 66 ans, est devenu le 12 septembre dernier, avec près 60 % des suffrages des militants et dès le premier tour de scrutin, le nouveau patron du parti travailliste britannique. Ses trois adversaires dans la course à l’investiture travailliste, Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall, l’avaient vu entrer dans la course avec un mélange d’étonnement et d’amusement. La candidature de Jeremy Corbyn les étonnait car il ne leur semblait pas avoir une seule chance de l’emporter. La candidature de Jeremy Corbyn les amusait car elle légitimait la leur, comme le moissonneur profite de l’épouvantail.
Epouvantable, Jeremy Corbyn l’était aussi, pour l’establishment du Labour. Le parti est sorti laminé des élections du printemps, qu’il pensait pouvoir gagner. Le Premier ministre conservateur David Cameron, lui, en est sorti historiquement gagnant. Bien dans la tradition britannique, le leader du parti vaincu, Ed Miliband, a démissionné une fois les résultats connus. L’analyse qui prévalait alors était qu’il avait mené une campagne trop orientée à gauche. En conséquence, les trois principaux candidats à sa succession voulaient recentrer encore davantage une formation que les années Tony Blair avaient très largement éloignée de la social-démocratie.
Et puis donc, il y eut Corbyn. Corbyn le pacifiste, qui s’était opposé à la guerre en Irak, contre le gouvernement de Tony Blair. Corbyn l’ancien syndicaliste, qui a toujours dénoncé les compromissions travaillistes avec les grandes entreprises. Corbyn l’indocile, qui a voté près de 150 fois en dix ans contre la consigne de groupe de son parti. Corbyn le propalestinien, Corbyn le républicain, Corbyn le végétarien. Bref, pensait-on, Corbyn le perdant. Le ringard, député d’une circonscription ouvrière depuis 1983, allait faire courir le Labour à sa perte, disait Tony Blair, évoquant les démons de 1983, lorsqu’un programme très à gauche avait assuré Margaret Thatcher de sa réélection. » Si votre coeur vous dit de voter Corbyn, allez vous faire faire une transplantation « , a même ironisé l’ancien locataire du 10 Downing Street. Sa campagne contre Corbyn a eu le contraire de l’effet escompté. Elle a galvanisé la gauche du parti, muette depuis des années. Elle a mobilisé des dizaines de milliers de militants, qui ont pris ou repris leur carte de parti. Elle a, finalement, assuré son adversaire d’une victoire inattendue.
Aujourd’hui, Jeremy Corbyn est donc l’improbable leader de l’opposition officielle du Royaume-Uni. Il a composé un shadow cabinet penchant à gauche, certes, mais laissant la place à des figures plus modérées du travaillisme britannique. Il a aussi atténué certains de ses propos, sur l’Union européenne notamment. Il a enfin rameuté parmi ses conseillers tout ce que la gauche mondiale compte comme intellectuels en vue, du prix Nobel Joseph Stigliz à Thomas Piketty, en passant par l’Italo-Américaine Mariana Mazzucato. Il n’est donc plus ringard. Tellement peu que PS et PTB se le disputent.
Nicolas De Decker