Consommer du lait : oui ou non ?

Ce que l’on entend… et ce qu’il faut savoir sur les produits laitiers. Huit affirmations décortiquées.

1.  » Le lactose cause des douleurs, des diarrhées et des ballonnements  »

 » Il est naturel chez les adultes de mal digérer le lait de vache, ou plutôt son sucre, le lactose « , affirme le Pr Yvan Vandenplas, chef du service de gastro-entérologie à l’hôpital des enfants de l’UZ Brussel. Pour être absorbé, ce glucide doit en effet être coupé par une enzyme, la lactase. Or, celle-ci est à son taux maximal chez le nouveau-né et diminue naturellement après le sevrage chez la majorité des individus. Après l’âge de 3 ans, le corps arrête de produire de la lactase, l’enzyme étant devenue inutile. Seules les populations qui ont pris l’habitude d’en boire à l’âge adulte en produisent toujours. Ces populations se trouvent là où l’élevage s’est développé à partir de 10 000 av. J.-C. : en Europe du Nord, en Amérique du Nord et dans quelques régions d’Afrique. Résultat : les trois quarts restants des habitants de notre planète sont intolérants au lactose. Aujourd’hui encore, malgré la mondialisation, ces différences peuvent se lire dans leurs génomes respectifs, en fonction des pays considérés. L' » hypolactasie primaire  » ou  » déficience en lactase  » n’est donc pas une maladie, mais un  » déclin programmé « .

Car lorsque le lactose arrive intact dans le gros intestin, les entérobactéries (bactéries coliques) le décomposent en acides (lactique, acétique, pyruvique) et en gaz (dioxyde de carbone, méthane, hydrogène). Ce qui peut provoquer maux de ventre, ballonnements et diarrhées. La fréquence du phénomène touche environ 10 % des adultes en Belgique, réellement intolérants au lactose, et s’exprime à partir de 4 ans. Des chiffres qui rejoignent ceux de l’Efsa, l’autorité européenne de sécurité des aliments.

L’intolérance au lactose serait pourtant surestimée. Si la majorité des adultes ne digère pas bien le lactose, cela ne signifie pas pour autant qu’un Belge sur trois y est intolérant. Car, toujours selon un avis de l’Efsa, ceux qui ont une quantité très réduite de lactase peuvent sans problème tolérer une prise de 12 grammes de lactose (soit un bol de lait) par jour sans montrer de symptômes, et des quantités supérieures si la consommation de produits laitiers est répartie sur la journée. Un grand verre de lait avalé à jeun, par exemple, passe trop vite dans l’intestin et submerge les enzymes. Même chez ceux qui en souffrent sévèrement,  » l’intolérance n’est jamais totale « , selon le Pr Vandenplas. Ils tolèrent bien les fromages, par exemple.  »

2.  » Ses protéines peuvent provoquer de graves allergies  »

L’allergie au lait de vache, à ne pas confondre avec l’intolérance au lactose, est due à la présence de protéines dont les plus allergisantes sont les caséines et la bêta-lactoglobuline. De 2 à 3 % des nourrissons y sont sensibles.  » Des manifestations allergiques telles que des diarrhées, des vomissements et des troubles de croissance apparaissent dans les premières semaines de la vie « , indique Yvan Vandenplas. Elle est la quatrième allergie alimentaire chez l’enfant (derrière l’oeuf, l’arachide et le poisson) et disparaîtrait après l’âge de 3 ans dans 90 % des cas. Contrairement à une idée reçue, l’allergie aux protéines de lait de vache n’explose pas chez les enfants. En revanche, le spécialiste constate davantage d’allergies liées à l’environnement. Il n’y a pas non plus d’augmentation des cas d’allergie aux protéines de lait de vache au sein de la population adulte, chez qui elle demeure rarissime, loin derrière les fruits à coque ou les céréales. Chez les allergiques avérés, ses effets sont flagrants et immédiats : urticaire, vomissements, diarrhées.

3.  » Son rôle dans la prévention de l’ostéoporose n’est pas totalement démontré  »

C’est la seule véritable controverse scientifique au sujet du lait (lire Le Vif/L’Express du 16 octobre dernier). Depuis trente ans, les pouvoirs publics et les médias relaient le discours de l’industrie laitière : boire du lait, c’est bon contre l’ostéoporose grâce au calcium qui fortifie les os. En cas de carence alimentaire, le corps puise ce minéral dans les réserves osseuses. Il est donc très important d’en absorber suffisamment pendant les vingt premières années de sa vie, afin de constituer un solide capital osseux. Ensuite, un apport suffisant en calcium permet de ralentir le vieillissement de notre squelette. L’autre adage veut que le lait protège contre l’ostéoporose, cette maladie  » des os poreux  » qui peut entraîner des fractures, principalement chez les femmes. Mais si des apports insuffisants en calcium constituent un facteur de risque de fracture chez les personnes fragiles, la simple prise de calcium ne suffit pas à les épargner – ni personne d’ailleurs – elles doivent aussi assurer un apport en vitamines D et K et faire suffisamment d’exercice physique. Sans cet ensemble de facteurs, le squelette se dégrade irrémédiablement. Cette maladie est également liée à des facteurs génétiques et hormonaux. Ainsi, les filles dont la mère présente une ostéoporose ont un capital osseux plus faible que les autres.

Le manque de laitage n’est donc pas la seule cause de l’ostéoporose. En 2014, une étude a montré qu’une forte consommation de lait pendant l’adolescence ne se traduisait pas par une baisse du nombre de fractures de la hanche. Elle pourrait même… causer des fractures, selon des chercheurs suédois. Dans ce cas, prétendre qu’il est bénéfique de consommer du lait dans sa jeunesse pour éviter fractures et ostéoporose au soir de sa vie n’est-il pas tout aussi difficile à étayer sur le plan scientifique ? D’ailleurs sans que l’on comprenne réellement pourquoi, en Inde, au Japon ou au Pérou, la prise de calcium journalière moyenne est de 300 milligrammes par jour seulement. Pourtant, les fractures y sont moins courantes qu’en Europe. Pas de quoi tirer des conclusions hâtives, selon le Dr Anne Boucquiau, responsable du département de la prévention à la Fondation contre le cancer : des facteurs autres que le calcium peuvent expliquer cette résistance aux fractures, comme l’activité physique ou l’exposition au soleil (indispensable pour synthétiser de la vitamine D). L’une des hypothèses étudiées est que, chez les populations asiatiques, d’infimes variations génétiques pourraient modifier l’efficacité de la vitamine D, précise-t-elle.

Reste enfin que l’on assiste à un débat houleux au sujet de l’apport idéal en calcium.  » La quantité idéale de calcium qui doit composer notre régime alimentaire demeure scientifiquement discutée « , signale Nicolas Guggenbühl. L’OMS préconise pour un adulte une dose journalière de 400 à 500 milligrammes de calcium par jour, ce qui équivaut à un verre de lait ou un yaourt et une portion de fromage de 30 grammes. Chez nous, les recommandations actuelles du Conseil de la santé sont de 900 à 1 200 milligrammes en fonction de l’âge, soit trois à quatre produits laitiers journaliers. En attendant, l’Efsa réexamine sa recommandation de calcium quotidien : elle passe de 1 200 à 1 150 milligrammes pour les adolescents et de 1 200 à 1 000 milligrammes pour les plus de 60 ans.  » Il est devenu difficile de prouver les bénéfices d’une consommation importante de produits laitiers. La position la plus défendable aujourd’hui est celle d’une consommation modérée, c’est-à-dire deux à trois portions de produits laitiers quotidiens « , assure le nutritionniste.

Mais si l’organisme de santé publique conseille la consommation de produits laitiers pour atteindre au moins 900 milligrammes de calcium par jour, c’est parce que la majorité des apports en calcium des Belges – et même des Européens – provient du lait. Les Belges n’atteignent pas les recommandations en matière de calcium sans l’apport des produits laitiers dans leur alimentation.  » Les produits laitiers restent une excellente source de calcium grâce à sa bonne biodisponibilité, c’est-à-dire le pourcentage du calcium qui restera utilisable par l’organisme après la digestion « , note le Dr Anne Boucquiau. Sur les 200 milligrammes de calcium contenus dans un verre de lait, environ 64 seront assimilés ; cette biodisponibilité est nettement inférieure parmi les végétaux, à l’exception de la famille des choux, 300 grammes de brocolis pour avoir autant de calcium assimilé. Les consommera-t-on en pratique ?

4.  » Le lait augmente le risque de cancers  »

D’après les références internationales du WCRF (World Cancer Research Fund), qui centralise les données sur le sujet, la consommation de lait à doses normales n’est corrélée de manière certaine à aucune augmentation du risque de cancer. Seul le cancer de la prostate – le plus fréquemment dépisté en Belgique chez les hommes de plus de 45 ans – pourrait être lié à une surconsommation de lait et produits laitiers.  » En fait, c’est l’excès de calcium qui est sans doute à mettre en cause « , souligne le Dr Anne Boucquiau. Ce nutriment, comme tous les autres, peut avoir des effets indésirables si l’on exagère les doses.  » Ce risque est pointé chez les gros buveurs de lait, à savoir ceux qui absorbent 1,5 gramme ou plus de calcium par jour. Une consommation que l’on rencontre très rarement chez nous « , ajoute le Dr Anne Boucquiau. Cette dose équivaut à deux fromages par jour ou entre 1,5 à 2 litres de lait demi-écrémé journaliers. Une consommation qui est observée, par exemple, aux Etats-Unis. Et le risque dépend du produit consommé, le yaourt étant celui qui présente le risque le plus faible. Les experts estiment que l’augmentation du risque serait de l’ordre de 12 %.

Mais les mécanismes en cause sont loin d’être élucidés. Outre le rôle du calcium, l’autre hypothèse est la présence d' » hormones de croissance « . Par définition, le lait de vache est destiné aux veaux, qui gagnent une centaine de kilos en quelques mois. Il contient des molécules produites par la vache, qui favorisent la multiplication cellulaire – les  » hormones de croissance « . Ce sont ces molécules qui pourraient avoir un effet délétère sur les cellules cancéreuses. Une affirmation que désapprouve le Dr Anne Boucquiau, estimant que les hormones de croissance qui se retrouveraient dans le lait sont, tout comme les autres molécules, digérées par notre organisme et ne sont plus métaboliquement  » actives  » en fin de parcours.  » Il faudrait qu’elles arrivent intactes de la bouteille de lait à votre sang !  »

En revanche, et c’est là un paradoxe, les risques de cancer colorectal, chez les hommes comme chez les femmes, seraient, eux, enrayés par une consommation régulière de produits laitiers… et surtout de lait, avec une diminution du risque estimée à 15-20 %. Les scientifiques concèdent qu’il s’agit d’une observation mais que le mécanisme d’action n’est pas encore établi. De même, les laitages auraient des vertus protectrices contre le cancer de la vessie. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si une forte consommation de calcium et de lait pourrait augmenter le risque de développer un cancer des ovaires chez les femmes. Enfin, en ce qui concerne le cancer du sein, le lait aurait un effet neutre.  » Les études doivent encore approfondir le rôle du lait et du calcium comme facteur de risque ou facteur protecteur selon les cas « , conclut Anne Boucquiau.

5.  » Il favorise le diabète de type 1, mais protège du diabète de type 2  »

Il y aurait un lien entre la consommation de lait et le diabète de type 1 (génétique) chez les sujets à risque. Quelques études montrent en effet un lien. Ainsi la Finlande, l’un des pays européens où l’on consomme le plus de lait (126 litres de lait par an et par personne en 2011) a démarré, depuis 2002, une étude internationale randomisée (dont les participants sont répartis de façon aléatoire) appelée TRIGR. Sa finalité : déterminer si, dès le plus jeune âge, la consommation de lait de vache avec son apport de protéines animales pourrait avoir une incidence sur l’augmentation du diabète de type 1, dont la Finlande possède également le record mondial. L’étude, financée pour partie par l’Union européenne, suit 2 160 enfants à risque dans quinze pays. Les premiers résultats, dévoilés en 2011, révèlent que  » chez les enfants génétiquement prédisposés nourris avec un lait hydrolysé – c’est-à-dire dans lequel les protéines laitières de vache ont été fragmentées en morceaux trop petits pour stimuler le système immunitaire – voient leur risque de développer la maladie diminuer de moitié par rapport à ceux qui reçoivent un lait artificiel classique « , écrit le Pr Mikael Knip, de l’université d’Helsinki, qui dirige cette recherche. Les résultats de l’étude globale sont attendus fin 2017.

En revanche, les cas de diabète de type 2 (diabète sucré) seraient 1,1 fois moins fréquents chez ceux qui consomment 400 grammes de produits laitiers de tous types par jour, et presque 1,3 fois moindre chez ceux qui consomment 200 grammes de yaourt par jour ; ce laitage semblant avoir l’effet le plus bénéfique.

6.  » Les produits laitiers frais protègent des maladies du coeur  »

Les produits laitiers ultrafrais (yaourts, fromages blancs…) contiennent différents nutriments protecteurs. Le magnésium, le calcium mais aussi les peptides font baisser la tension artérielle. Mais s’ils ont mauvaise réputation en cardiologie, c’est en raison de leurs graisses saturées. Ces graisses font grimper le mauvais cholestérol et favorisent les maladies cardiovasculaires. Pour les prévenir, le Conseil supérieur de la santé recommande ainsi de limiter les acides gras saturés à 10 % de nos apports énergétiques. Or, près de 70 % des graisses contenues dans le lait sont saturées. Dans 100 millilitres de lait demi-écrémé, par exemple, on trouve 1,5 gramme de matières grasses, dont environ 0,9 gramme d’acides gras saturés. Dans cette logique, les nutritionnistes excluent certains laitages de la catégorie des produits laitiers. C’est le cas du beurre et de la crème, classés parmi les matières grasses.  » En réalité, les études portant sur les maladies cardiovasculaires et les laitages montrent surtout que les consommateurs de produits laitiers ont un bien meilleur équilibre alimentaire, intégrant davantage de fruits et légumes et limitant la prise d’alcool « , souligne le nutritionniste Nicolas Guggenbühl.

7.  » Il n’est pas la seule source de calcium  »

 » Chez l’adulte, le lait, s’il peut être utile, n’est pas un aliment essentiel ni obligatoire « , répond Nicolas Guggenbühl. D’autres aliments peuvent fournir du calcium. Trouver des substituts est tout à fait possible, comme les jus végétaux s’ils sont enrichis en calcium. Il peut être puisé dans une alimentation équilibrée et dans l’eau minérale.  » En réalité, les produits laitiers sont les produits les plus sûrs pour couvrir facilement les besoins calciques avec une alimentation courante (sans suppléments ou supplémentation comme pour le  » lait  » de soja où le calcium est ajouté) et équilibrée. Il est possible d’y arriver en supprimant les produits laitiers, mais c’est beaucoup plus compliqué « , concède le Dr Anne Boucquiau. Car, contrairement aux idées reçues, le lait n’est pas le seul à contenir du calcium, certains végétaux également mais à condition d’être consommés en grande quantité. C’est le cas des épinards, des brocolis, du cresson, des navets, du persil, du radis noir et surtout des algues, qui sont, en outre, riches en protéines et en fer. Ainsi l’apport d’un verre de lait en la matière équivaut à 300 grammes de brocolis, à 800 grammes de chou (soit trois grandes assiettes), à 150 grammes de sardines à l’huile (avec arêtes) ou bien encore à un kilo d’oranges. Sans oublier la vitamine D – une carence trop souvent ignorée – qui permet de bien assimiler et fixer le calcium. Autres exemples : un apport de 200 milligrammes de calcium absorbable peut être assuré par un demi-litre de lait, ou 60 grammes de fromage à pâte pressée cuite (de type emmental), ou 500 grammes d’amandes, ou 1 kilo de chou ou de haricot blanc, ou… 4 kilos d’épinard.

8.  » Les « laits » végétaux peuvent remplacer le lait et les produits laitiers  »

Ce goût pour le lait végétal est nouveau. Mais le terme de  » lait  » est impropre, il serait plus juste de parler de  » jus  » (de soja, d’amande, d’avoine, de riz, de châtaigne…), puisqu’ils sont le résultat d’un mélange de graines ou de flocons et d’eau. Seules leur texture et leur couleur se rapprochent des laits animaux. Ils sont une alternative intéressante pour les vrais allergiques, les végétaliens, ou ceux qui veulent varier leurs sources d’alimentation. Par contre, ils contiennent peu ou pas de calcium ni vitamine D, s’ils n’en sont pas enrichis.

Mais ces  » laits  » qui n’en sont pas, et qui sont parfois administrés à des enfants en bas âge par des parents convaincus qu’ils sont intolérants, voire allergiques, ont des conséquences dénoncées par les praticiens et les pédiatres. Ces produits, qui ne contiennent aucun des nutriments indispensables aux enfants en bas âge, font l’objet d’un  » marketing habile  » selon le Pr Yvan Vandenplas. Le lait contient d’autres ingrédients que le lactose. Dont de précieuses protéines animales et,  » pour des raisons évidentes, puisqu’il est destiné aux petits qui doivent grandir, des facteurs de croissance « .

Par Soraya Ghali

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