Congo vision

Si le pays doit se relever, ce sera notamment grâce à eux. Membres dynamiques d’une société civile bouillonnante, loin des clichés habituels, ils apportent un vent frais. Portraits.

Freddy Mata

Long et fin, Freddy Mata n’a pas forcément la carrure de ceux qui passent en force. Il en a pourtant déplacé des montagnes, le Kinois. Il a notamment obtenu le prix européen Lorenzo Natali qui récompense les journalistes engagés  » pour les droits de l’homme, la démocratie et le développement « . Thème du reportage radio primé : les enfants-sorciers.  » Il suffit que vous perdiez votre travail, et votre enfant est accusé de sorcellerie. Début de l’année dernière, on a voté une loi sur la protection de l’enfance, mais la situation reste dramatique. « 

Entre-temps, Freddy Mata s’est lancé dans un autre combat. Avec son pote artiste-conteur Doudou Nzio, il a monté une troupe de théâtre rassemblant bien et mal-entendants.  » On évalue à 10 % la proportion de la population atteinte d’un handicap, dont 2 % de mal-entendants. Cela représente beaucoup de monde. Or ces personnes se retrouvent souvent exclues.  » Par le biais du théâtre-action, Freddy et Doudou veulent ainsi donner l’occasion à quelques-uns de se réinsérer.  » Après une représentation, un père est venu me saluer en pleurs, bouleversé d’avoir vu ce que sa fille sourde pouvait faire sur scène. « 

Solange Lusiku

C’est ce qu’on peut appeler un cadeau empoisonné. En 2007, à Bukavu, Emmanuel Barhayiga confie la direction de son journal, le Souverain, à Solange Lusiku.  » J’ai hésité. A ce moment-là, j’étais active dans le mouvement associatif des femmes du Sud-Kivu. J’avais travaillé treize ans comme journaliste certes, mais comme reporter radio. Je ne savais pas comment faire tourner un journal.  » La direction du Souverain représente donc un fameux défi. D’autant que, malade, l’ancien directeur disparaît avant d’avoir pu vraiment former son successeur. Aujourd’hui, le Souverain tient pourtant bon. Mis sous presse à Bujumbura (il n’y a plus une seule imprimerie au Kivu), il sort plus ou moins une fois par mois, à quelque 500 exemplaires. Soutenu en partie par le centre Wallonie-Bruxelles, il est le seul journal de l’est du Congo. Le seul en tout cas libre et indépendant.  » On a élaboré une charte des valeurs qui nous oriente dans ce que nous faisons.  » Dont ce principe :  » L’information est un droit et non un cadeau des politiciens.  »

Djo Lema

Novembre dernier. C’est la saison des pluies, et d’importantes précipitations ont à nouveau endommagé la route de Matadi. Dans le quartier de Djelo-Binza, certaines maisons se sont écroulées.  » Il n’y a pas de canalisations, les constructions sont anarchiques, constate Djo Lema. A chaque pluie, c’est pareil…  » Il sait de quoi il parle. Diplômé en sciences de l’environnement, Djo Lema a étudié à Tanger, avant de travailler dans la construction, en tant que manager environnemental. Il est rentré au pays il y a un an.  » L’écologie est encore un concept flou pour pas mal de monde. Même mon père, qui est un intellectuel, n’a jamais trop compris ce que je faisais exactement. « 

On devine surtout que la thématique verte n’est pas forcément la priorité pour une majorité de Congolais, qui doivent souvent d’abord assurer le repas du jour… Fin 2008, le parti écologiste congolais était pourtant lancé (par Didace Pembe, un ancien ministre de l’Environnement).  » Les grandes institutions mondiales imposent aussi de plus en plus souvent des conditions environnementales à l’octroi de financement. Mais il y a encore pas mal d’entreprises qui rejettent leurs déchets dans le fleuve. En général, Kinshasa est noyée sous les ordures. Il y a du boulot. « 

Blaise Mbatshi

Blaise Mbatshi travaille au ministère des Hydrocarbures.  » C’est la première fois qu’est mis sur pied un ministère consacré uniquement à cela !  » Preuve que le Congo, qui s’est longtemps concentré sur l’exploitation de ses ressources minières, est prêt à creuser son potentiel pétrolier. Des trois bassins riches en or noir, un seul est aujourd’hui exploité, celui du Bas-Congo. A la tête de la province, on retrouve Simon Mbatshi, le… père de Blaise. Qui aurait volontiers assuré la place du fiston au ministère ? Sauf que Blaise aurait pu choisir une solution encore plus facile : rester en Belgique.  » C’est là que j’ai grandi, depuis ma 2e maternelle. Je suis venu régulièrement en RDC, 2, 3 semaines à chaque fois. Mais c’est par exemple la première fois que je passe le mois de décembre ici.  » Diplômé de l’IAG (UCL), Blaise Mbatshi a travaillé six mois à Londres, puis trois ans comme consultant pour PriceWaterhouse Coopers. Avant de tenter l’aventure congolaise. Il fait partie de cette génération de jeunes Congolais décomplexés qui ont terminé leurs études et rentrent au pays, maintenant que la guerre est terminée.  » Aujourd’hui, l’option est de rester ici. Mais pourquoi ne pas tenter l’aventure en Asie ou en Amérique ? « 

Florence Cols

Il faut imaginer la scène. Alors qu’une voiture la frôle, Florence Cols peste bruyamment. Le conducteur passe la tête pour charrier la mundele. Il n’a pas le temps de dire deux phrases que la jeune Belge lui réplique. En lingala dans le texte… Mouché le chauffard. C’est que Florence Cols est une sacrée personnalité. Avec son homme, Manu, ils ont débarqué à l’été 2008. Lui travaille pour une ONG. Elle a trouvé un mi-temps, pour le compte de l’UCL, dont elle est sortie diplômée en droit. Leur crainte : se retrouver  » coincés dans le cercle des expats « . Florence se met donc au lingala. Elle s’inscrit aussi comme bénévole au CATSR, une association congolaise pour le travail social de rue et les droits de l’enfant. Il n’est pas rare de croiser la jeune femme en pagne. Par exemple au marché de Zigda.  » J’ai envie de manger local. Et puis les mamas des échoppes sont géniales.  » Pour se déplacer, pas de 4 x 4 : elle emprunte les taxis-bus bondés.  » Bien sûr, c’est un peu le chaos. Mais, à bien y regarder, il est plus organisé qu’on ne le pense. Même informel, le réseau de transport fonctionne.  » Normalement, le couple aurait dû rentrer l’été dernier.  » Mais on a prolongé l’aventure d’un an. On a encore envie d’en profiter.  »

Alphonse Longbango

Si la reconstruction du Congo doit partir d’en bas, elle ne pourra pas se passer de gens comme Alphonse Longbango. Un jour, le juriste s’est demandé comment rétablir le dialogue avec les autorités.  » On a réuni les habitants et les représentants locaux. Il fallait que le citoyen retrouve un espace pour exprimer ce qui se passe dans son quartier.  » Dans la foulée, un centre multimédia a été monté avec l’aide de l’association belge Oasis N’djili. Des jeunes y sont formés pour effectuer de petits reportages dans la commune.  » L’objectif est de refléter la vie dans le quartier et de le porter sur la place.  » Et pas seulement la place congolaise. Depuis peu, le Codhod (comité des droits de l’homme et développement) d’Alphonse Longbango a lancé un dialogue Nord-Sud, sous forme de petits films : quelle vision ont les jeunes Kinois de la Belgique ? Quel regard portent les jeunes Belges sur le Congo ?  » Aujourd’hui, après cinquante ans d’indépendance, il est temps de faire le bilan et de repartir sur des bases d’égal à égal. Avec les plus jeunes, c’est possible. « 

Propos recueillis par Laurent Hoebrechts

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