La victoire d’Alexis Tsipras, lors du référendum du 5 juillet, pose un dilemme aux autres Etats membres de la zone euro et complique la reprise de négociations. Ne pas relâcher la discipline budgétaire tout en préservant la monnaie unique : pour Bruxelles, la voie est étroite. Et à Athènes, le temps presse.
Plébiscité à Athènes, l’intransigeant Grec Alexis Tsipras exaspère à Bruxelles. Jusqu’au bout, avec le même mélange d’amateurisme et de légèreté qui a caractérisé, tout au long de ces cinq mois, la conduite des négociations par son gouvernement, le Premier ministre issu de la gauche radicale a tenté de se donner le beau rôle. Mais les tergiversations grecques ont lassé ses interlocuteurs européens. Les autres représentants des Etats membres de la zone euro sont agacés par ces Grecs qui disent oui à Bruxelles, puis non, une fois de retour à Athènes. Le 20 février, en échange d’une prolongation du plan européen de sauvetage, Tsipras s’était engagé à définir un calendrier de réformes. Quatre mois plus tard, rien de substantiel n’est venu. Comment croire dès lors, aujourd’hui, que le pouvoir d’Athènes a la capacité de réformer ? L’attitude méprisante du ministre des Finances Yanis Varoufakis, qui, au dire de l’un de ses interlocuteurs, » nous donne un cours magistral d’économie politique comme s’il était dans un amphi d’université mais se défile lorsqu’on lui demande des précisions chiffrées « , en a découragé plus d’un. Les revirements de Tsipras, qui, à plusieurs reprises, est revenu sur la parole donnée à ses homologues et à Jean-Claude Juncker, l’ont discrédité. » C’est comme demander à un étudiant en médecine de pratiquer une opération à coeur ouvert » : vraie ou fausse, la comparaison prêtée à Angela Merkel révèle la piètre estime dans laquelle le Premier ministre grec est tenu par ses homologues.
Le bilan du gouvernement de la coalition formée par le parti d’extrême gauche Syriza et le petit parti souverainiste de droite les Grecs indépendants est, de fait, peu reluisant. Sa stratégie de confrontation a échoué. Le choix d’une rhétorique misant sur la victimisation n’a jamais débouché sur un quelconque gain au-delà des frontières. Tout au contraire. Le nouveau pouvoir à Athènes a été incapable de se trouver des alliés parmi les gouvernements européens et de rompre le consensus favorable à la » consolidation » budgétaire, comme on dit à Berlin.
C’est la seconde raison pour laquelle la double hypothèse d’une reprise des négociations couronnée par une conclusion heureuse paraît douteuse. Comment les dirigeants des » petits » pays qui, au terme d’années d’austérité, voient enfin leurs efforts récompensés par un retour soutenu de la croissance – les Etats baltes, l’Irlande, la Slovaquie, la Slovénie – pourraient-ils accorder un traitement de faveur à Athènes, dont ils assimilent l’irréductibilité à un caprice d’enfant gâté ? » Nous pouvons à présent observer les méthodes de Syriza, l’intimidation, le chantage, les mensonges « , dénonçait, la semaine dernière, le ministre letton des Finances, Janis Reirs. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les autres gouvernements démocratiquement élus de la zone euro qui ont, eux aussi, des comptes à rendre à leurs opinions nationales, jugent avec sévérité les provocations de la gauche radicale grecque et ses cris d’orfraie contre le » complot des cercles conservateurs « . A Berlin, le vice-chancelier Sigmar Gabriel (social-démocrate) résumait, le 1er juillet, l’enjeu vu de l’Europe : » Athènes veut modifier les conditions de coopération au sein de la zone euro » mais l' » idéologie ou la politique suivie par le gouvernement grec ne peut pas, in fine, remettre en question la situation économique de la zone euro dans son ensemble « . Le jour même du référendum, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy (centre droit) tenait le même discours : » L’euro n’est pas et ne peut pas être un club à la carte, il y a des normes et des règles destinées à assurer sa survie. » Et d’ajouter, en guise d’avertissement : » La solidarité européenne est fondée sur la responsabilité et, sans la deuxième, la première ne peut s’exercer. » Si l’Espagnol se dédisait demain en étant trop conciliant envers Tsipras, cela reviendrait à donner les clés du pouvoir aux populistes du mouvement Podemos, proches de Syriza, aux prochaines élections législatives prévues cet hiver. D’autres chefs de gouvernement partagent le même dilemme face à leurs oppositions populistes, qui ont progressé aux élections européennes de 2014 : l’Irlandais Enda Kenny face au Sinn Fein, Manuel Valls face au FN et au Front de gauche, l’Allemande Angela Merkel face à l’Alternative pour l’Allemagne hostile à l’euro, l’Italien Matteo Renzi face à la Ligue du Nord, le Néerlandais Mark Rutte face au parti de Geert Wilders, le Finlandais Juha Sipilä face aux eurosceptiques des Vrais Finlandais en forte poussée aux élections d’avril dernier…
Surtout, céder à Tsipras, ce serait mettre à bas tout le travail méthodiquement entrepris par Berlin, depuis la crise financière de 2008, afin de resserrer la discipline au sein de la zone euro. Un choix assumé par Angela Merkel, qui n’a eu de cesse d’affirmer que la confiance ne pouvait revenir qu’une fois les trajectoires budgétaires nationales corrigées dans le bon sens. C’est ainsi qu’elle avait imposé à François Hollande, à peine élu, le vote par le Parlement français de la » règle d’or « . C’est bien là le fond du problème. Avant même sa victoire en janvier 2015, la Grèce de Tsipras contestait le règlement de copropriété de la zone euro et a ensuite essayé d’en modifier unilatéralement les clauses.
Seul François Hollande fait bande à part. Pour des raisons de politique intérieure, le président français, soucieux de soigner la gauche de sa gauche avant 2017, s’était, quelques jours encore avant le référendum, montré ouvert à une ultime tentative de conciliation. Il va essayer, ces jours-ci, de servir d’honnête courtier entre Athènes et le reste de la zone euro. Mais sa marge de manoeuvre est limitée. Il ne peut sacrifier l’Iphigénie franco-allemande sur l’autel grec. Et il le sait.
Les Européens peuvent choisir de laisser la situation pourrir. Athènes s’est jetée dans une impasse en choisissant l’épreuve de force avec ses créanciers ; l’épuisement des liquidités devrait l’amener à meilleure composition. D’autant que nul ne sait quelle est la situation réelle des établissements bancaires grecs, fermés par le gouvernement Tsipras. L’assèchement de leurs comptes risque de conduire à une panique en cas de retrait massif des dépôts par les épargnants : preuve est faite qu’il est plus facile de fermer des banques que de les rouvrir. A moyen terme, même si le gouvernement, faute d’euros suffisants, imprimait, à titre temporaire, son propre papier, l’expérience gouvernementale de la gauche radicale est un tel désastre que cela ne pourrait durer très longtemps. On savait depuis plusieurs mois que les coffres du Trésor seraient vides à échéance de fin juin.
Européens et Grecs peuvent-ils s’entendre rapidement sur un compromis finalement peu différent de la version proposée par l’Eurogroupe avant le référendum ? Cela suppose que Tsipras, fort de sa victoire politique, ne cède pas à l’hubris, ce vieux péché attique, et puisse, grâce à une légitimité consolidée par les urnes, amener son parti, toujours profondément divisé entre partisans et adversaires du maintien dans l’euro et entre pragmatiques et jusqu’au-boutistes, au compromis avec Bruxelles. Les Européens promettraient publiquement, en échange, d’allonger la maturation de la dette – c’est-à-dire, sans l’avouer, d’en effacer une large partie. Chacune des deux parties pourrait ainsi prétendre ne pas avoir cédé sur l’essentiel. Pour tenir durablement, ce scénario supposerait trois conditions : que le Premier ministre grec fasse preuve d’une sagesse dont il a été peu prodigue jusqu’ici ; que l’esprit de réformes se mette enfin à souffler à Athènes ; que la classe politique allemande – chaque plan d’assistance européen doit être ratifié par le Parlement de Berlin, le Bundestag – consente à sauver de la faillite celui qui l’a défiée. La démission, le 6 juillet, du ministre Yanis Varoufakis, constituait un geste d’apaisement. Mais un cabinet Tsipras peut-il durablement incarner un élan réformateur alors que, selon une solide tradition nationale, il a surtout, jusqu’à présent, soigné sa clientèle ? On peut en douter. Aucune des mesures que l’on pourrait attendre d’un gouvernement de gauche, telles qu’un relèvement de l’imposition des pensions les plus élevées ou un sérieux programme antifraude, n’a été mise en oeuvre. La collecte de l’impôt est toujours aussi chaotique ; la création d’un cadastre, notamment à l’aide d’experts français, aussi lente. A la veille de sa victoire électorale du 25 janvier, Tsipras promettait dans un quotidien allemand » des réformes dans le fonctionnement de l’Etat, dans la transparence de l’administration et dans la lutte contre l’évasion fiscale « . Aucune de ces promesses ne s’est concrétisée. Alors que la Grèce avait renoué avec la croissance au dernier trimestre de 2014, la brutale dégradation du climat des affaires, résultat de l’incertitude suscitée par la politique des autorités grecques, a inversé la tendance.
La sortie de la Grèce de la zone euro est, depuis le résultat du vote du 5 juillet, le scénario désormais privilégié par les analystes des banques américaine, britannique et japonaise JP Morgan, Barclays, Nomura. Les conditions dans lesquelles ce Grexit, écarté aujourd’hui à l’unisson par une large majorité des Grecs et par leur Premier ministre, s’opérerait restent à préciser. Pour la Grèce, en tout cas, le coût économique et social serait redoutable à court et moyen terme. Pour la zone euro, ramenée à 18 membres, une fois le risque de contagion circonscrit (voir ci-dessous) grâce à un pilotage habile de la Banque centrale européenne, ce devrait être l’occasion de pousser plus avant les feux de l’intégration politique. Le désastre grec conduirait ainsi à une Europe plus resserrée et, in fine, revigorée.
Par Jean-Michel Demetz
Ce résultat – 61,3 % en faveur du non – résonne comme un coup de tonnerre dans le ciel d’été de l’Europe
François Hollande ne peut sacrifier l’Iphigénie franco-allemande sur l’autel grec. Et il le sait