Comment redorer l’image de la Belgique

Stop au Belgium bashing ! Tous les politiques – sauf la N-VA – multiplient les initiatives pour tenter de redresser notre image de marque fortement écornée par les racines molenbeekoises du terrorisme et la menace 4 sur Bruxelles. Campagnes de com, road show, interviews… Un combat low-cost sur fond de bisbrouilles intrafrancophones.

C’est la mobilisation générale : il faut sauver le soldat Belgique ! Et mettre fin de toute urgence à ce Belgium bashing qui fait des ravages depuis l’après-attentats du 13 novembre à Paris, avec ses ramifications molenbeekoises, aggravé par le désastreux lockdown bruxellois du mois de décembre, cette immobilisation de la capitale figée sous menace 4.  » Disons-le franchement : nous avons subi un véritable lynchage médiatique « , s’est exclamé Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères, devant un parterre de diplomates belges, à l’occasion du lancement des Journées diplomatiques, lundi 25 janvier.  » La Belgique a fait l’objet d’un fameux bashing dans certains pays, appuie le Premier ministre, Charles Michel. Cette image, nous devons la redresser au plus vite.  » Action !

Que ce soit au fédéral, dans les Régions ou les milieux patronaux, les initiatives se multiplient. Campagnes de communication, road show dans le monde entier, déclarations fortes… : tout est bon pour remettre notre pays sur les rails. En ordre dispersé et avec les moyens du bord : le contexte politique est marqué au fer rouge par les dissensions récurrentes entre les niveaux de pouvoir et par un cadre budgétaire hyperserré. Le gouvernement bruxellois est aujourd’hui montré du doigt pour son incompétence dans la gestion du dossier des tunnels, Stéphanie en tête, fermé pour une longue durée. Et les nationalistes de la N-VA, eux, brouillent régulièrement l’image de marque du pays. C’est dire s’il y a du pain sur la planche.

 » Une chute de 20 % à Bruxelles  »

L’image de la Belgique a-t-elle été réellement endommagée par les événements de la fin de l’année 2015 ? Les effets concrets sont-ils mesurables ? Sur le plan touristique, c’est indéniable.  » L’impact a été énorme, c’est du jamais-vu, s’écrie Patrick Bontinck, CEO de Visit Brussels, l’organe de promotion touristique régional. Nous avons immédiatement monitoré la situation au départ de plusieurs statistiques : les arrivées aériennes, la réservation hôtelière et la fréquentation des rues, via un système de données avec Proximus. Si on globalise l’ensemble, l’impact, du 13 novembre au 31 décembre 2015, est une chute d’activité de 15 à 20 %, tous secteurs confondus. Dès le lendemain des attentats de Paris, il y a un impact à Bruxelles de l’ordre de 7 à 8 %. Le Brussels Lockdown double ce chiffre. Cela affecte essentiellement le tourisme de loisirs, dont la chute continue au mois de janvier. Le tourisme d’affaires a repris très rapidement, dès le début du mois de décembre.  »

Une enquête menée entre le 14 et le 24 décembre 2015 par Beci, l’organe représentant le patronat bruxellois, évoque un pourcentage comparable.  » Les conséquences de la fermeture sont indéniables, résume Thierry Willemarck, président de Beci. Une entreprise sur deux annonce une baisse de son chiffre d’affaires supérieure à 20 % en novembre.  » L’effet se fait surtout ressentir dans l’hôtellerie, les restaurants, les cafés et le commerce au sens large, singulièrement dans le centre-ville, au coeur du pentagone bruxellois. La Brussels Hotel Association, qui représente le secteur hôtelier, confirme et cite un manque à gagner total de 25 millions d’euros, alors que l’année avait plutôt bien commencé. Des reports ont toutefois été constatés vers la Flandre et la Wallonie au niveau des commerces.

Cette morosité n’affecte cependant pas l’ensemble du pays dans la même mesure.  » Cette crise est comparable à d’autres périodes où l’image de la Belgique a été écornée – que ce soit l’affaire Dutroux en 1996 ou les 541 jours de crise institutionnelle en 2010-2011, constate Pascale Delcomminette, administratrice générale de l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex). Or, à l’époque, cela n’avait pas eu d’impact significatif sur nos relations économiques. Ce sur quoi nous mettons l’accent, c’est la qualité des produits, l’innovation, la fiabilité de notre partenariat… Et pour accueillir les entreprises, ce sont nos avantages en matière de fiscalité ou d’accompagnement pour les investisseurs. Tout cela n’est pas subitement devenu mauvais parce qu’il y a cette vague de radicalisation dans certains quartiers. Les milieux économiques font la part des choses. Nous avons eu quelques annulations très ponctuelles de missions commerciales quand le pays était sous niveau de menace 4, mais elles ont été simplement reportées aux semaines suivantes.  » Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique, met lui en garde sur l’accumulation de nouvelles pouvant nuire au climat des affaires en Belgique :  » Après la menace terroriste, la Belgique a été sommée par la Commission européenne de récupérer 700 millions d’euros d’aides d’Etat « indûment » versés auprès des entreprises qui avaient recouru à un ruling. Il est indéniable que cela suscitera des questions quant au climat d’investissement belge.  »

Mais le préjudice le plus grave est peut-être celui, impalpable, d’une remise en cause de notre modèle de société.  » Ce qui a aussi été attaqué dans les médias, c’est la valeur du vivre-ensemble « , regrette Patrick Bontinck.  » De grâce, sauvons ce modèle ! « , appuie Thierry Willemarck. Attaquer Bruxelles équivaudrait donc à s’en prendre à la capitale d’une Europe mal en point et d’une Belgique secouée. C’est un laboratoire de cohabitation pacifique que l’on prend pour cible.

 » La capitale de 500 millions d’Européens  »

 » Le 13 novembre et les jours qui suivirent, on voyait la chute, mais on ne pouvait pas réagir parce que nous étions dans l’émotion totale « , souligne le directeur du tourisme bruxellois. Or, il ne s’était rien passé à Bruxelles, nous n’avions que les effets collatéraux de Paris…  » Le Brussels Lockdown est venu porter le coup de grâce à la ville, avec la fermeture des magasins, des écoles et le déploiement des militaires.  » Mais qui donc a eu l’idée de mettre un tank sur la Grand-Place ? demande un Patrick Bontinck irrité. Cela a fait des dégâts considérables en termes d’image. Il y a eu une surdramatisation totale de la part des médias et des autorités.  » Pour contrer ce bad buzz, une réplique low-cost a été organisée.

A la suite des perquisitions à Molenbeek, les offices de tourisme régionaux lancent un petit film récupérant l’humour citoyen et ces chats qui ont fleuri sur les réseaux sociaux pour faciliter les perquisitions à Molenbeek.  » Il a été vu un million de fois, se félicite le CEO de Visit Brussels. Ensuite, nous avons lancé une grande campagne à partir du 8 janvier pour redonner la parole aux citoyens et leur permettre d’expliquer eux-mêmes la situation.  » Call Brussels est un concept d’une simplicité désarmante : les touristes potentiels sont invités à appeler de l’étranger trois cabines téléphoniques publiques installées dans la ville, aux citoyens passant à proximité de leur répondre pour décrire ce qui se passe à Bruxelles. Le résultat ? Une vidéo diffusée à grande échelle.  » L’engouement a été bien au-delà des attentes pour une campagne de 500 000 euros à peine, sourit Patrick Bontinck. Nous avons été présents dans 154 pays, avec plus de 12 000 appels téléphoniques, et le film du montage a dépassé le million de vues après trois jours. Ce relais est exceptionnel.  »

Dans un deuxième temps, la Région bruxelloise va lancer, durant ce premier semestre, une campagne pour ramener les acheteurs au centre-ville.  » Ce ne sera pas une campagne classique, mais une dynamique créatrice « , insiste Didier Gosuin (DéFI, nouveau nom du FDF), ministre bruxellois de l’Economie. Un appel à candidatures vient d’être lancé pour rassembler des idées sur le mode du crowdsourcing. Le processus de maturation aboutira en juillet 2016. D’ici là, un Hackhaton, une sorte de vaste brainstorming, sera organisé pour sélectionner les dix meilleurs projets. Budget global : 400 000 euros. Une démarche certes nécessaire, mais qui risque d’être court-circuitée par l’imbroglio autour de la mobilité.  » Les problèmes des tunnels menacent le rôle de capitale de Bruxelles « , a déjà mis en garde le Voka, organe représentant le patronat flamand.

Plus fondamentalement, Bruxelles devra faire de ses faiblesses… une force.  » Nous devons renforcer notre message pour dire que nous sommes la capitale de 500 millions d’Européens, avec sa diversité, estime Patrick Bontinck. Bruxelles a une opportunité à défendre au sortir de cette crise. Oui, nous sommes la ville du vivre-ensemble, avec ses fragilités, peut-être, mais c’est une force pour le futur. Jusqu’ici, on ne l’assumait pas ! Nous avions même peur de dire que nous étions capitale de l’Europe. Voilà pourquoi en 2016 et 2017, nous mettrons l’accent sur « Bruxelles, capitale de la diversité ».  » Non sans intégrer une nouvelle donne : désormais, les grandes villes européennes doivent toutes rassurer les visiteurs potentiels au sujet de la sécurité. C’est d’ailleurs l’objet d’une des campagnes réalisés à la demande du Vif/L’Express par un directeur créatif de l’agence de publicité BBDO (voir page 34).

 » L’union fait la force  »

 » Si quelques articles ou tweets dévastateurs et sans nuances, largement relayés dans les médias et sur les réseaux sociaux, peuvent en quelques minutes créer une image négative, il faut bien plus de temps et d’énergie pour reconstruire une réputation positive « , déplore Didier Reynders. Après avoir pris son bâton de pèlerin pour tenter de minimiser les dégâts du Belgium bashing auprès des journalistes étrangers, le vice-Premier libéral lance… son propre média, un site Internet baptisé Focus on Belgium. Objectif ? Diffuser des bonnes nouvelles sur le pays. On y rappelle que Bruxelles est le nouveau Berlin, selon le New York Times ; que l’Académie de mode d’Anvers figure parmi les trois meilleures du monde, selon le Global Fashion School Rankings ; que la Belgique confirme son statut d’excellent pays culinaire, selon le Guide Michelin ou que les Diables Rouges restent numéros un mondiaux, au classement de la Fifa. Un aide-mémoire pour les ambassades.

 » L’union fait la force « , assure le patron des patrons Pieter Timmermans en dépoussiérant le slogan belge. Le Premier ministre, Charles Michel, lui-même, va retrousser ses manches en ce sens.  » Non, la Belgique n’est pas une zone de non-droit, martèle-t-il. Oui, nous prenons des mesures et oui, nous obtenons des résultats.  » En matière de sécurité, mais aussi de fiscalité avec un tax-shift qu’il compte bien vendre sous toutes ses coutures dans le cadre de cette  » diplomatie économique  » qu’il appelle de ses voeux. A la fin du mois de mars, il se rendra en Chine pour assister au Bao Forum, le Davos asiatique, avant d’autres déplacements en Europe, notre marché prioritaire, et en Amérique du Nord.  » La Belgique est sexy pour l’emploi et l’innovation « , a-t-il assuré au moment de l’annonce faite par Audi de sauvegarder son site de Forest, le 20 janvier. Son vice-Premier libéral flamand, Alexander De Croo, a quant à lui vendu  » le réveil de la Force belge  » à Davos, la même semaine.

Un registre dans lequel on entend moins la N-VA. Pieter De Roover, nouveau chef de groupe nationaliste à la Chambre, n’hésite pas à parler d’un failed state. A l’heure où tout devait être mis en oeuvre pour faire cesser le Belgium bashing, Bart De Wever ne trouvait rien de mieux que de relancer une réflexion sur le confédéralisme. Tiens, au fait, le tank sur la Grand-Place de Bruxelles, c’est Jan Jambon, ministre N-VA de l’Intérieur, qui en a eu l’idée avec son collègue de la Défense, Steven Vandeput, N-VA lui aussi. Certains, dans l’opposition francophone, n’hésitent pas à dire que cela a été orchestré sciemment pour détruire l’image de Bruxelles et… préparer le terrain à Anvers, capitale d’une Flandre indépendante.

 » Une piteuse image du pays  »

Charles Michel va  » donner une piteuse image de notre pays, aux Etats-Unis, en Chine, alors que le principal parti de son équipe veut la fin du pays « , taclait Elio Di Rupo, président du PS, à l’occasion des voeux de son parti, le 21 janvier. Lui aussi, lorsqu’il était Premier ministre, avait multiplié les interventions dans la presse internationale et les participations à des événements à l’étranger pour redorer l’image d’un pays alors secoué par 541 jours de crise institutionnelle.  » Le contexte d’alors était différent, se souvient un responsable de cette campagne préparée en interne, sans agence. Il y avait alors un contexte politique qui permettait une communication cohérente : tout le monde était convaincu de la nécessité de vendre la Belgique. Ce n’est plus le cas cette fois-ci, vu que la N-VA a un objectif diamétralement opposé. Or, pour que cela fonctionne, il faut un message simple, derrière lequel tous les commanditaires se retrouvent, et répété de nombreuses fois. Bonne chance, aussi, pour vendre cela aux correspondants étrangers à Bruxelles, qui sont particulièrement critiques à l’égard des nationalistes.  »

Le storytelling belge de Di Rupo était davantage romantique, celui de Charles Michel sera pragmatique avec ses argumentaires sur la réduction du handicap salarial. Mais un autre élément risque d’être préjudiciable aux élans anti-bashing : la lutte à couteaux tirés du côté francophone entre les majorités fédérale et régionales. Ces dernières semaines, la querelle puérile entre fédéraux et Bruxellois sur la paternité de la bonne nouvelle Audi, la firme allemande ayant confirmé sa présence à Bruxelles où elle produit son nouveau modèle électrique, ou le bras de fer agacé sur la mobilité ont réveillé un combat entre MR et PS qui s’était endormi dans la deuxième moitié de 2015.  » Le Premier ministre veut défendre notre image, mais nous n’avons même pas eu un accusé de réception quand nous lui avons écrit pour demander une réunion conjointe avec les entreprises bruxelloises affectées par le Lockdown, déplore Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois.

Une rivalité contre-productrice face au monde.  » Nous vivons avec cette complexité institutionnelle depuis longtemps, vu que le commerce extérieur a été régionalisé il y a vingt ans, souligne Pascale Delcomminette. Le système est arrivé à maturité. Nous avons développé une image régionale dans un cadre fédéral belge. Vous savez, je pars régulièrement en mission princière en présence de Geert Bourgeois (NDLR : le ministre-président flamand, N-VA). Nous avons besoin de ces moments de paillettes qui mettent un coup de projecteur. La limite du modèle, c’est quand il n’y a pas assez de communication entre les entités et quand on apprend en dernière minute qu’une mission est organisée en Afrique de l’Ouest par Pieter De Crem, secrétaire d’Etat fédéral en charge du Commerce extérieur, et Brussels Airlines sans que les entreprises wallonnes soient invitées. Les entreprises wallonnes ont été humiliées de façon illégitime. C’est inefficace pour tous, on perd de la valeur. Evitons de jouer aux apprentis sorciers et de se marcher sur les pieds, sous prétexte de diplomatie économique.  »

Charles Michel est prévenu : sa croisade mondiale ne sera pas sans accrocs sur le plan belge. Et quand une équipe de la chaîne américaine CBSN est venue faire un reportage à Molenbeek, la semaine dernière, ce n’était pas pour dérouler un tapis de fleurs.  » Si vous voulez devenir Français, vous devez parler français, constate le journaliste, Vladimir Duthiers. En Belgique, vous n’êtes pas obligé de connaître le français, le flamand ou l’allemand. Comme la police de Molenbeek ne parle presque pas arabe, il est très facile d’y passer dans la clandestinité. Molenbeek est aussi un carrefour de trafic d’armes.  » La Belgique n’est peut-être pas une zone de non-droit, mais il y a encore du travail à faire en matière de perception.

Par Olivier Mouton

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