Le ministre wallon de l’Economie rêve ouvertement d’une promotion à la ministre-présidence après mai 2014. Dans les faits, c’est d’ailleurs déjà lui l’homme fort face à la faiblesse de Rudy Demotte. Deux obstacles de taille : son manque de popularité et le retour des querelles au PS liégeois.
Quand il était enfant, Jean-Claude Marcourt suivait régulièrement son père Jean, vétérinaire, premier directeur des centres d’insémination, sur les routes de Wallonie. » Il m’a emmené partout, dans le Hainaut, le Namurois… C’est grâce à lui que j’ai compris qu’il s’agissait d’un vrai espace territorial, se souvient le socialiste liégeois. Depuis, j’ai toujours embrassé la Région de manière globale. Mon père n’a jamais fait de politique, mais il était profondément attaché à la Wallonie. Je suis un enfant du Mouvement populaire wallon d’André Renard, indigné par le désinvestissement industriel et par le fait que ma région ait été mal traitée par de grandes institutions comme la Générale de Belgique. »
Contrairement à son père, Jean-Claude Marcourt a transformé cette indignation en combat politique. Licencié en droit de l’Université de Liège, brièvement avocat, il a marché dans les pas d’un socialiste qui reste sa référence : Guy Mathot. Jusqu’à rêver aujourd’hui de devenir numéro un de cette Wallonie qu’il a tant arpentée.
Une ambition » légitime »
A 57 ans, l’homme s’est forgé une expertise politique d’envergure à la tête des cabinets ministériels de Guy Mathot, Bernard Anselme, Jean-Claude Van Cauwenberghe, Elio Di Rupo et Laurette Onkelinx. Sorti de l’ombre, ministre de l’Economie depuis dix ans, Jean-Claude Marcourt incarne à la fois l’amorce de renouveau économique et le triomphe du régionalisme sur le communautarisme sacralisé par la sixième réforme de l’Etat. C’est fort de ce bilan sur le fond qu’il vise ouvertement la ministre-présidence wallonne, au lendemain de la » mère de toutes les élections » du 25 mai prochain.
» Personne ne dit que c’est illégitime « , sourit-il, mi-gêné, mi-flatté, lorsqu’il évoque les réactions à son acte de candidature. » Dans les faits, c’est déjà lui aujourd’hui le ministre-président, témoigne un ministre puissant du gouvernement wallon. C’est surtout dû à la faiblesse de Rudy Demotte, qui n’est qu’un notaire. Sa candidature est donc légitime, même si tout dépendra du rapport de force électoral. » » Jean-Claude aurait déjà dû être ministre-président wallon en 2009, révèle Alain Mathot, député fédéral PS, bourgmestre de Seraing et intime de Marcourt. A l’époque, c’est Michel Daerden qui s’y était opposé en raison des remous internes au PS liégeois. A nous d’éviter les divisions cette fois-ci… » Marcourt, insiste-t-il, est le mieux placé pour permettre à Liège de récupérer un des six postes en vue occupés par des socialistes. » Premier ministre, vice-Premier, président de parti, trois ministre-présidences : pas un seul Liégeois, pour deux Bruxellois (NDLR : Onkelinx, Vervoort) et trois Hennuyers (NDLR : Di Rupo, Demotte et Magnette). Cela ne peut plus durer. »
Pour concrétiser son ambition, Jean-Claude Marcourt devra avant tout apaiser les tensions renaissantes au sein du PS liégeois depuis la nomination de Jean-Pascal Labille en tant que ministre. Et obtenir un score valable, lui l’anti-charismatique qui » ne veut jamais jouer au clown « , comme le glisse un de ses proches collaborateurs. Tout en faisant barrage aux sirènes de l’extrême gauche, le PTB comptant bien profiter du traumatisme lié à la fermeture annoncée d’ArcelorMittal dans une région déjà sinistrée.
» Après tout le boulot qu’il a fait pour la Wallonie, Jean-Claude mériterait d’être ministre-président, appuie Thierry Bodson, secrétaire général de l’Interrégionale wallonne de la FGTB, qui est aussi son ami. C’est légitime qu’il se positionne. Je serais heureux pour lui. Mais s’il devait être l’heureux élu, l’idéal serait qu’il garde aussi le portefeuille de l’économie comme, avant lui, Bernard Anselme, Guy Spitaels ou Robert Collignon. » » Il en est parfaitement capable, il a les compétences voulues, enchaîne Vincent Reuter, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises. L’avantage, c’est qu’au moment des arbitrages, il tiendrait forcément compte de son passage à l’Economie en ce moment décisif où il faut accélérer le pas pour redresser la Wallonie. »
Même dans les rangs libéraux, on ne balaie pas forcément d’un revers de la main cette velléité. » Je ferai tout pour que la ministre-présidence revienne à quelqu’un du MR, souligne Christine Defraigne, tête de liste aux régionales à Liège, qui sera son adversaire en mai 2014. Mais si je ne suis évidemment pas d’accord avec ses choix stratégiques, je l’apprécie sur le plan personnel. C’est un homme très intelligent, vif, qui a le sens de l’humour et, c’est essentiel, qui sait négocier : il va à l’essentiel et il a le respect de la parole donnée. »
Une vision de la Wallonie
Comment celui qui fut » cabinettard » pendant dix ans peut-il aujourd’hui se profiler sans grande controverse comme numéro un de Wallonie ? Propulsé en 2004 ministre wallon de l’Emploi et de l’Economie, Jean-Claude Marcourt est alors l’expert qu’il faut au duo Di Rupo – Onkelinx pour piloter le plan Marshall, ce vaste exercice de planification économique destiné à redynamiser une Wallonie bien mal en point. » J’ai accepté de faire le grand saut pour une seule raison : apporter ma pierre à l’édifice du projet wallon « , déclare-t-il. Un hommage à son père mais aussi à Guy Mathot, son second père en politique.
» Mon père ne connaissait pas Jean-Claude Marcourt quand il l’a engagé comme chef de cabinet en 1992, se souvient Alain Mathot. Mais cela a tout de suite collé entre eux. Ils avaient tous les deux une intelligence hors normes et une vision commune sur l’importance du rôle du secteur public et la nécessité d’avoir une Wallonie suffisamment forte pour qu’elle puisse s’en sortir seule au vu de l’avenir compromis de l’Etat fédéral. » » Aujourd’hui, Jean-Claude Marcourt est l’un des seuls à avoir une vision à long terme pour sa région « , appuie Thierry Bodson.
Jean-Claude Marcourt a su mettre à profit l’opportunité politique reçue en devenant ministre. Ce parfait inconnu du grand public se fait rapidement respecter dans le sérail. Technocrate, il est rarement pris en défaut sur sa connaissance des dossiers. Diplomate, il sait faire le grand écart entre les positions des uns et des autres. Au fil du temps, il a su acquérir la confiance des partenaires sociaux en dépit des ravages de la crise économique. » C’est un ministre qui va au charbon ! souligne Thierry Bodson. Il n’y a pas une seule entreprise en restructuration pour laquelle il ne s’est pas mouillé, on l’a vu pour ArcelorMittal ou Caterpillar. Mais depuis dix ans, c’est aussi un ministre associé à des réussites, à une Wallonie qui relève la tête. Ce n’est pas un hasard si c’est aujourd’hui l’une des terres d’Europe qui accueille le plus d’investissements étrangers. » » C’est le père des pôles de compétitivité, une des meilleures initiatives prises depuis longtemps parce que cela structure l’économie wallonne « , ajoute Vincent Reuter.
» Au début de l’olivier, en 2009, j’avais un a priori négatif à l’égard de Marcourt, je le voyais comme un défenseur de l’industrie traditionnelle, confie Jean-Marc Nollet, vice-président Ecolo du gouvernement wallon. Mais j’ai découvert quelqu’un d’ouvert, avec lequel il y a moyen de trouver des terrains d’entente, y compris sur des décisions liées à l’économie circulaire (NDLR : qui se veut » écologiquement vertueuse « ). »
Dans les rangs socialistes, pourtant, on regrette désormais que l’association des trois partenaires (PS, CDH, Ecolo) » dilue la force du plan Marshall « . A la FGTB, on se dit même ouvertement favorable à une alliance à deux. Fut-ce PS et MR. » Cela permettrait de mener une politique plus cohérente et d’éviter que chacun ne tire la couverture à lui. »
Le régionalisme triomphant face à Demotte
Associé aux négociations institutionnelles depuis 2008, Jean-Claude Marcourt a su imposer sa vision wallonne en réponse aux velléités autonomistes flamandes. La sixième réforme de l’Etat consacre pleinement la primauté de son projet régionaliste sur celui des communautaristes francophones.
» Marcourt n’est pas un régionaliste romantique à la Happart ou à la Dehousse, il est bien trop pragmatique pour cela « , estime Jean-Marc Nollet. » Je partage son projet régional pragmatique, prolonge Thierry Bodson. Le fait de renvoyer un certain nombre de compétences au niveau régional, c’est simplement une question de cohérence. Je pense comme lui qu’il faut créer une identité wallonne. Et cela ne passe que par des projets concrets, la création d’emplois… Mais je serai plus concret que lui, encore. Ce qui manque au plan Marshall aujourd’hui, c’est quelque chose permettant aux citoyens de se l’approprier. Nous devrions suivre l’exemple de la région de Lille ou du Pays basque, où tout s’articule autour d’un projet citoyen et culturel. »
Jean-Claude Marcourt, lui, entend poursuivre sa quête. Au Vif/L’Express, il annonce les prochaines compétences qu’il aimerait régionaliser : l’organisation de l’enseignement et l’accueil de l’enfance. Il plaide pour un triple pacte wallon : citoyen, social et territorial. Un acte de candidature face à » l’inertie de l’actuel occupant de l’Elysette, Rudy Demotte « .
Entre les deux hommes, tant des objectifs politiques divergents que des caractères peu compatibles – Marcourt peut être » soupe au lait » et a régulièrement des » colères théâtrales » – ont conduit à une rupture quasi définitive. » Au gouvernement, c’est Marcourt qui accorde les violons, qui est le plus souvent à la manoeuvre, lâche un membre de l’équipe. Rudy est une savonnette. Il a fait son temps. Il affirme s’être récemment rapproché d’Elio Di Rupo, mais c’est sans doute là son chant du cygne… » » Les tensions entre Marcourt et Demotte sont évidentes, ajoute un autre. Il est arrivé que le chef de cabinet de Rudy Demotte nous mette ouvertement en garde contre des projets… portés par Marcourt. Il suffit de voir comment ils parlent l’un de l’autre. Interrogé sur un plateau de télévision sur ce qu’il souhaiterait à Jean-Claude Marcourt, Rudy Demotte a eu cette flèche assassine : « Je lui souhaite de rencontrer le succès électoral ! » Cela veut tout dire. »
Contacté, Rudy Demotte a préféré ne pas s’exprimer au sujet d’un ministre clé de son équipe. Un silence qui en dit long sur le climat de tension qui règne entre les deux hommes.
Ses talons d’Achille : sa popularité et le PS liégeois
La pique télévisée envoyée par Rudy Demotte ne tombait pas du ciel. » Le seul réel problème de Marcourt, c’est son absence totale de charisme, souligne un de ses collègues. Quand il passe à la télévision, il faut avouer que tout le monde a envie de couper le son. De plus, il n’a pas obtenu à ce jour de résultats électoraux dignes des ambitions qu’il porte. » » Rudy Demotte reste son principal challenger pour la ministre-présidence wallonne, constate Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Or, il est plus populaire que lui. »
Dans le chaudron liégeois, face à des faiseurs de voix comme Willy Demeyer ou les » fils de » Mathot et Daerden, le technocrate Marcourt peine à obtenir la popularité que requiert un poste en vue. Son ami Alain Mathot vole à son secours : » On lui fait un mauvais procès. Jean-Claude a démontré qu’il pouvait aller chercher des voix. Il a obtenu 120 000 voix aux européennes, il a fait le deuxième score aux communales… De prime abord, il peut lui sembler plus difficile qu’à d’autres d’aller au contact, mais c’est une carapace pour se protéger. C’est un timide. » L’équation liégeoise risque pourtant d’être le noeud ruinant ses ambitions. En cette période de composition des listes, au PS, cela chauffe encore plus fort que d’habitude !
Jean-Claude Marcourt fut une des clés du dispositif visant à mettre fin à l’hégémonie de Michel Daerden à la tête de la fédération. Pour contrecarrer l’autoritarisme de » Papa « , une répartition des rôles fut décidée au sein d’un » Groupe des cinq » : le fédéral à Alain Mathot, la Wallonie à Jean-Claude Marcourt, la Ville et la fédération à Willy Demeyer, les intercommunales à Stéphane Moreau et la Province à André Gilles… » A la mort de Michel Daerden, le ciment qui soudait ces hommes a disparu « , constate un fin connaisseur du PS liégeois. Désormais, ce sont les manières » mâles » de Willy Demeyer qui sont en ligne de mire : derrière ses allures bonhommes, alors qu’on le jugeait » trop mou « , le président de la fédération a repris ces derniers mois des travers autoritaires de l’ère Daerden.
La promotion de Jean-Pascal Labille est venue perturber le fragile équilibre. Propulsé ministre fédéral des Entreprises publiques, le patron des Mutualités socialistes semble avoir été envoyé par le boulevard de l’Empereur pour contrôler le chaudron liégeois et recadrer Demeyer. » Il ne faut pas oublier non plus les ambitions de l’ultra-populaire Frédéric Daerden, bourgmestre d’Herstal, qui incarne en quelque sorte l’opposition au groupe des Cinq, analyse Pascal Delwit (ULB). Marcourt veut à tout prix éviter de l’avoir sur la liste régionale parce que l’on risque fort de comparer leurs scores au lendemain du scrutin. Mais en se privant de locomotive, il pourrait ruiner ses ambitions de ministre-président si le PS enregistrait un mauvais score. »
Car l’autre difficulté, c’est la crise économique et le dossier hyper-délicat d’ArcelorMittal qui dopent la gauche radicale dans le bassin liégeois. 1 300 emplois directs menacés, une région entière proche de la sinistrose, une délégation syndicale noyautée : le Parti du travail de Belgique ne cesse de prendre du poids dans la région liégeoise. » Le grand problème de Jean-Claude Marcourt, c’est qu’il est pris entre le marteau et la faucille, ironise Christine Defraigne. Derrière ses airs de businessman se cache aussi, par conviction et par nécessité, un doctrinaire idéologique. »
C’est en raison de l’équation politique liégeoise liée à ArcelorMittal que Marcourt a déposé sur la table du gouvernement wallon un projet de décret permettant l’appropriation publique d’une entreprise confrontée à une restructuration douloureuse. » Qu’un ministre ose le faire, c’est une sacré signal, salue Thierry Bodson. Je ne sais si ce texte passera, mais il aura au moins provoqué un vrai débat au sujet de ces investisseurs qui ferment une entreprise pour faire de la spéculation pure et simple. » » C’est calamiteux pour la Wallonie ! tempête Vincent Reuter. C’est un retour à l’économie planifiée bolchevique. J’ose espérer que ce n’est là qu’une obligation politique liée à la montée du PTB. Le problème, c’est que cela risque de faire fuir les investisseurs. »
Ministre-président ? Il le voudrait. On l’y voit. Mais ce rêve ne deviendra réalité que si Jean-Claude Marcourt parvient à surmonter les écueils liégeois. Et… à convaincre les électeurs de voter pour lui. Deux fameux défis. » Ce pourrait être sa dernière chance d’accéder à la fonction, conclut un homme fort du gouvernement Demotte. Mais il ne faut pas exclure que le PS fasse un autre choix, celui de propulser Paul Magnette à l’Elysette. Lui, le cas échéant, dispose de la popularité pour incarner le projet wallon en ce moment clé pour l’avenir de la Région. »
Par Olivier Mouton; O. M.
» L’équation liégeoise risque d’être le noeud ruinant les ambitions de Jean-Claude Marcourt «