Comment le Parlement est devenu un ring de boxe

Le gouvernement Michel veut avancer à marche forcée d’ici au 21 juillet et faire voter une vingtaine de réformes. En évoquant l’urgence pour éviter une saga parlementaire identique à celle autour de la relance du nucléaire. L’opposition dénonce des  » méthodes de cow-boy « .

Cela ressemble à un passage en force, en profitant de la torpeur de l’été. La majorité fédérale de Charles Michel va imposer un rythme de forçat à la Chambre d’ici au 21 juillet, date traditionnelle de fin de session parlementaire. En moins d’un mois, les députés devront étudier et voter une vingtaine de volumineux projets de loi. Qui sont loin d’être des broutilles : relèvement de l’âge légal de la pension, ajustement budgétaire contenant les taxes sur le secteur diamantaire et sur les intercommunales, mesures en tous genres renforçant l’arsenal antiterroriste dont le retrait de la nationalité…  » Le gouvernement utilise des méthodes de cow-boy « , fustige l’opposition.

 » Je suis un novice dans cette assemblée, et cela me frappe de voir que l’on profite à ce point de l’été, quand les gens sont en vacances, pour faire passer une flopée de textes imbuvables « , s’indigne Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB. Et ils réclament systématiquement l’urgence !  »  » Ce sont pourtant des textes qui nécessitent un travail de fond important, regrette Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo. Cette soi-disant urgence est loin d’être évidente.  »  » C’est la dictature de la majorité, tonne Catherine Fonck, cheffe de groupe CDH. Ils veulent faire de nous des béni-oui-oui. C’est tout simplement pitoyable.  »  » De l’abus de pouvoir !, dénonce même Laurette Onkelinx, cheffe de groupe PS. Qu’un gouvernement avance, c’est de bonne guerre, j’ai connu cela dans tous les exécutifs où j’ai siégé. Mais je n’ai jamais assisté à une telle marche forcée. Cela fait vingt fois qu’ils réclament l’urgence…  »

Le bras de fer politique né de la composition asymétrique des majorités fédérale et régionales l’été dernier a encore de beaux jours devant lui.

 » Chat échaudé…  »

En début de semaine, le Parlement a pourtant multiplié les conférences des présidents, l’organe qui réunit tous les partis représentés à la Chambre, pour désamorcer la bombe et organiser les travaux sereinement. Objectif ? Garantir un examen des projets tenant à la fois compte des droits de l’opposition et, surtout, de la volonté majoritaire d’avancer à rythme soutenu. En vain : mardi 23 juin, une réunion décisive sur l’agenda complet pour la fin de session s’est soldée par un échec. Résultat attendu : désormais, la majorité va dérouler. A son rythme réformateur.

 » Chat échaudé craint l’eau froide… « , tonne le chef de groupe MR Denis Ducarme. Car après un premier affrontement sur le saut d’index, en avril, le Parlement a été le théâtre d’une confrontation dantesque sur la relance des centrales nucléaires de Doel I et II en mai et juin. Le MR et ses alliés veulent à tout prix éviter de revivre le calvaire subi par la ministre MR de l’Energie, Marie-Christine Marghem. Au total, pas moins de 75 heures de discussion émaillées de nombreuses interruptions de séances et autres polémiques dans la presse.  » Nous avons fait notre job à fond en utilisant toutes les facettes du travail parlementaire, s’amuse Jean-Marc Nollet. Il est vrai que la ministre nous a bien aidés : si elle avait mis d’emblée tous les documents sur la table, comme l’a souligné lui-même le Premier ministre, nous n’aurions pas été contraints de les réclamer sans cesse ou… de chercher à les obtenir nous-mêmes.  »

Au bout du compte, ce travail de sape n’a- t-il pas été vain, la majorité ayant voté comme un seul homme, jeudi 18 juin, la reprise des centrales controversées pour éviter le black-out l’hiver prochain, en dépit des mises en garde juridiques ou sécuritaires ? Un baroud d’honneur ?  » Non, car cela a permis de mettre à plat tout ce dossier nucléaire, clame Nollet. Si c’était à refaire, je le referais, sans aucun doute. Cela a notamment ouvert la voie à des recours ultérieurs en justice, tout en dégageant des alternatives : même la ministre a été forcée d’admettre que les interconnexions avec les pays voisins méritaient aussi d’être étudiées.  »

Pour l’opposition survoltée, Doel I et II doivent devenir les symboles de la résistance du Parlement pour le reste de la législature. Pour la majorité, débordée plus souvent qu’à son tour, le contre-exemple absolu.

Il faut sauver les pensions

Mot d’ordre au sein de l’équipe Michel :  » La réforme des pensions ne peut pas subir le même sort « . Urgence, donc ! Le Conseil d’Etat n’a eu que cinq jours pour étudier le texte. La haute instance administrative a d’ailleurs regretté d’avoir été contrainte de se limiter à un  » examen sommaire du texte « , non sans sortir la grosse artillerie pour fustiger un recul possible de la protection sociale ou un risque de rupture de l’égalité entre les Belges.  » C’est un projet phare du gouvernement, insiste Denis Ducarme. Nous avons posé un geste de bonne volonté lundi 21 juin en limitant la première séance de travail en commission des Affaires sociales à l’exposé du ministre des Pensions. Mais désormais, nous voulons avancer.  »  » Il faut sauver les pensions « , répète à l’envi le ministre Daniel Bacquelaine.

 » Nous avons eu, à tout casser, 48 heures pour étudier 400 pages, les 280 du projet de loi et celles de l’avis du Conseil d’Etat, cela ne va pas !  » proteste Raoul Hedebouw.  » S’il y a bien un dossier sur lequel nous devrions faire un travail sérieux, c’est la réforme des pensions, estime Catherine Fonck. L’avis du Conseil d’Etat ne peut pas être pris à la légère car il pointe de sérieuses insécurités juridiques. En outre, l’enjeu n’est pas ce relèvement symbolique à 67 ans, mais bien le dispositif à mettre en place pour relever l’âge réel du départ à la pension, qui est aujourd’hui de 59 ans, et pour augmenter le taux d’emploi des plus de 55 ans. Nous aurions pu travailler à des amendements en ce sens. Le gouvernement passe en force alors qu’une réforme aussi importante – et indispensable, nous ne le contestons pas… – aurait mérité un vaste consensus social.  »

Pourquoi un tel empressement, alors ?  » C’est d’autant plus inutile que la réforme des pensions ne sera effective qu’en… 2025 et 2030 « , s’étonnent en choeur Jean-Marc Nollet et Laurette Onkelinx. Réponse de Denis Ducarme, teintée d’un zeste de mauvaise foi :  » Il y a énormément de réformes prévues dans l’accord de gouvernement. Mme Onkelinx disait il y a quelque temps que le Parlement ne travaillait pas assez. Voilà : les textes arrivent. Elle se plaint aujourd’hui que l’on ne tienne pas compte des autres engagements parlementaires : c’est un argument que je ne peux pas recevoir. Nous ne sommes pas dupes, ni naïfs : il y a, dans le chef de certains partis d’opposition, la volonté de faire de l’obstruction pour nous empêcher de voter avant l’été.  »

 » Nous n’avons de toute façon pas le moyen de les en empêcher, rétorque Laurette Onkelinx. Ils peuvent très bien aller au-delà du 21 juillet s’ils le veulent. Dans les années 1980, on a voté des réformes importantes au début du mois d’août. Personnellement, je n’ai d’ailleurs pas envie de faire de la flibusterie sur un dossier aussi important pour les citoyens. J’aurais voulu un débat de qualité.  » Son président de parti, Elio Di Rupo, a déjà annoncé quant à lui qu’il remettrait l’âge de départ à 65 ans si le PS revenait au pouvoir.

 » Le gouvernement Michel veut surtout faire passer le texte avant la rentrée pour être débarrassé de ce brûlot avant la manifestation syndicale du 7 octobre « , raille, cynique, Raoul Hedebouw. La majorité fédérale aura alors un an. Et sera soucieuse de démontrer sa capacité à engranger les réformes structurelles encouragées par l’Europe. Votes à l’appui.

Un bras de fer né l’été dernier

Le Parlement version 2015, quasiment monocaméral depuis la quasi-suppression du Sénat, serait-il devenu un ring de boxe ? Tout le monde se souvient de ces images surréalistes de la déclaration gouvernementale prononcée par Charles Michel dans un chahut indescriptible à la suite des affaires Jambon et Francken.

Laurette Onkelinx, ancienne vice-Première devenue pasionaria de l’opposition, n’en démord pas : elle continuera à s’exprimer  » haut et fort  » pour dénoncer les injustices du fédéral.  » D’autant que la manière de travailler du gouvernement est de plus en plus dérangeante, clame celle qui fut ministre fédérale pendant quinze ans. Nous ne sommes plus dans un schéma traditionnel. La majorité nie littéralement les droits de l’opposition. Et on ne peut pas dire que le président de la Chambre nous aide : Siegfried Bracke n’est pas au-dessus de la mêlée, il est au service de la majorité. Moi, je me souviens de présidents qui se disputaient avec leur Premier ministre pour garantir les droits…  »

 » Notre volonté, exprimée depuis le début de cette législature, consiste à travailler en Parlement ouvert, en interaction permanente avec l’extérieur, enchaîne l’Ecolo Jean-Marc Nollet. Oui, nous réclamons des auditions, des avis du Conseil d’Etat sur les amendements que nous déposons… Nous sommes soucieux de revaloriser l’assemblée. Dans les années 1980, on pratiquait la flibuste. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : à aucun moment, nous ne commencerons à lire des romans pour perdre du temps, comme pouvait le faire à l’époque Herman De Croo.  » La stratégie écologiste, menée de concert avec Groen, a été élaborée lors d’une mise au vert, au cours de l’été 2014. Elle vise délibérément à occuper le terrain en se distinguant du reste de la vaste opposition francophone.

Si le Parlement surchauffe par moments, il le doit aussi à cette rivalité exacerbée au sud du pays.  » Oui, si le Parlement retrouve un tel écho, c’est parce que l’opposition francophone est forte comme elle ne l’a jamais été, analyse Min Reuchamps, politologue de l’UCL. Cela a un effet d’entraînement sur les partis flamands. L’apparition du PTB, dont le discours sans concession s’exprime pour la première fois à la Chambre, n’y est pas étrangère non plus. Cela étant, rien n’empêchera jamais une majorité d’avancer… parce qu’elle a la majorité.  »

 » Le Parlement cristallise les oppositions exacerbées depuis la mise en place de notre gouvernement concède, fataliste, le chef de groupe MR Denis Ducarme. Mais cela ne nous fera pas dévier d’un iota. Et si l’on était d’aventure obligés de travailler cette année au-delà du 21 juillet, cela ne nous poserait pas de problème.  »

La majorité fédérale sera stakhanoviste, jusqu’au bout. Et sourde aux critiques.

Par Olivier Mouton

Le MR et ses alliés veulent à tout prix éviter de revivre le calvaire subi par Marie-Christine Marghem

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