Une seule option : tenir. Un seul objectif : 2019. Contre une opposition déchaînée, contre des médias impitoyables, contre certains de ses propres camarades, Charles Michel s’est retranché, entraînant son parti avec lui, dans une défense hargneuse. Quitte à défendre l’indéfendable.
La si pacifique Belgique politique se lassera-t-elle un jour des métaphores guerrières ? Pas cette semaine, en tout cas. Pas avec ce gouvernement fédéral. Pas avec ce Mouvement réformateur. Pas avec Jacqueline Galant. Pas avec Marie-Christine Marghem. Pas avec Charles Michel. Les psychologues des foules, pour autant qu’il en existe encore, appellent « fièvre obsidionale » ce trouble collectif qui frappe les habitants des cités assiégées. Victor Hugo, plaidant pour l’amnistie des communards, soutenait qu’elle avait frappé les Parisiens soumis à un encerclement versaillais de plusieurs mois. Pas besoin d’être docteur en poliorcétique – l’art militaire de mener un siège -, ni même bachelier en sciences politiques, pour le constater : seul contre tous, le Mouvement réformateur, cet automne, se donne des airs de bunker où se retranchent généraux ou troufions, civils et militaires, ministres, militants et mandataires, et dont il ne sort qu’à coups d’agressives grenades.
Les assaillants ? Les autres. Tous. Tous les autres partis francophones, bien sûr, qui torpillent tous azimuts, sans faire de quartier, quoiqu’avec des intensités très variables. L’opinion telle que cristallisée dans les réseaux sociaux, aussi, dont les mouvements, aussi difficiles à saisir qu’une chevauchée de Huns sur la steppe, qui baigne la Toile dans l’insulte. Les médias, enfin, éperonnés par les deux précédents, qui dardent leurs flèches vers l’avenue de la Toison d’Or, le siège du parti, et vers le 16, rue de la Loi. Poser des questions insolentes à un ministre réformateur, de nos jours, c’est s’exposer à de sévères semonces, elles-mêmes munitions d’impitoyables répliques. Car à ce jeu, les médias l’emportent toujours : le porte-parole de Charles Michel, Frédéric Cauderlier, l’avait peut-être oublié lorsqu’il a tancé des journalistes de la RTBF alors que tournaient encore leurs caméras pendant la visite officielle du président turc Erdogan. Marie-Christine Marghem n’y a pas pensé lorsque, traquée par les plumitifs après le plus récent conseil des ministres, elle a non seulement refusé de commenter les problèmes de sa collègue Jacqueline Galant, mais qu’elle a ensuite réclamé de nos confrères de RTL-TVI » un peu de correction dans la manière dont vous posez vos questions « . Ceux-ci ont évidemment diffusé la séquence, qui alimente encore la rancoeur obsidionale des prétendus assiégés. Et qui les rend encore plus vindicatifs.
Ainsi est, en deux mots, la spirale dans laquelle est entrée le Mouvement réformateur.
Le terrain
La configuration incline particulièrement à se sentir seul contre tous. Seul, le MR l’est au gouvernement fédéral, où ses alliés sont exclusivement flamands. Il l’est aussi au Parlement, où, dans le groupe linguistique francophone, vingt parlementaires réformateurs côtoient quarante-trois députés d’opposition. Jamais dans l’histoire de la Belgique une formation francophone ne s’est à ce point trouvée isolée alors qu’elle exerçait le pouvoir. En face, les socialistes ont, dès avant la prestation de serment du gouvernement Michel, dressé les barricades. Ils se sont calmés. Parce que sur les marchés publics d’avocats, ils ont déjà solidement encaissé – et Denis Ducarme, à la Chambre, en chef du groupe libéral, n’a pas manqué de le suggérer. Parce que leur ton martial des premiers mois n’a pas convaincu, bien au contraire. Parce que, tout compte fait, ils n’envoient jamais de bombes médiatiques. » En général, les infos confidentielles ne viennent pas de chez nous, peut-être parce qu’on n’a pas encore vraiment l’habitude de travailler dans l’opposition « , admet un député PS.
D’autres ont pris le relais avec la rage du franc-tireur. Les écologistes, sur le nucléaire mais pas seulement, ne laissent pas respirer Marie-Christine Marghem, qui le leur rend bien. Le CDH n’a pas voulu entrer dans un gouvernement avec la N-VA. Il veut disputer au MR son électorat de centre-droit, et a donc toutes les raisons du monde de se disputer. » Face à une telle agressivité, on se serre les coudes, c’est clair. Plus que face à une opposition modérée « , explique un parlementaire réformateur. Pourtant, le MR fait face, au sud, à un front commun qui n’a même pas encore donné la pleine mesure de la combativité parlementaire. » Sous le gouvernement Leterme, on avait fait convoquer le Premier ministre au Parlement alors qu’il était en voyage officiel, et il avait dû revenir en urgence « , se rappelle l’écologiste Jean-Marc Nollet, dans l’opposition fédérale sous Verhofstadt puis Leterme. » On n’en est pas encore là… » Quant au nord, ses grands alliés flamands ne l’appuient ni ne le minent. Ils l’ignorent. Tant mieux, en un sens. Car quand ils ne l’ignorent pas, c’est pour l’obliger. Ils ne disent pas un mot sur Jacqueline Galant : Jacqueline Galant tient. La N-VA n’a pas voulu de l’accord entre Régions sur le climat piloté par Marie-Christine Marghem : Marie-Christine Marghem écrase.
Au nord, au sud, à gauche, au centre : partout où se pose le regard des vigies réformatrices, les horizons sont barrés. Et puis, quand Charles Michel glisse un oeil à l’intérieur de son camp, il voit que la solidarité fait parfois défaut.
Pourquoi Reynders se tait
Si le Premier ministre défend les siens et les siennes – et encore, à la tribune de la Chambre, lorsqu’il y est acculé -, il n’y a pas grand-monde pour le flanquer efficacement.
Pas au gouvernement, où l’indifférence flamande le dispute à l’inexpérience francophone. Le seul autre ministre libéral en activité à avoir exercé des responsabilités exécutives, Didier Reynders, est ailleurs, au propre comme au figuré. Le ministre des Affaires étrangères qu’il est voyage beaucoup. Les rumeurs sur un départ à l’international reprennent à chaque moment de tension. Sa compétence fonctionnelle le fait délaisser les affaires politiques intérieures. Son intérêt politique encore davantage. Car l’ancien président du Mouvement réformateur qu’il est aussi n’ira pas secourir les éclopées de son successeur et rival. Jamais. Parce que la rancune ne s’éteindra jamais, que le seul ministre fédéral de son clan, Daniel Bacquelaine, est de ceux qui s’en sortent le mieux, et que, sait-on jamais ? un Didier Reynders immaculé pourrait faire un salvateur recours. Personne n’en attendait moins de lui. Ni de ses partisans. » Nous, on reste au balcon. Je ne dis pas qu’on jubile, mais presque « , dit d’ailleurs l’un d’entre eux.
Pourquoi Chastel se tait aussi
Mais Charles Michel, ces derniers jours, s’est même un peu trouvé isolé parmi les siens. Le silence d’Olivier Chastel, président réformateur et fidélissime allié, peut à ce titre surprendre. » S’il y a un communiqué du parti sur l’affaire Galant, ce sera pour annoncer la démission et le remplacement « , avance un libéral de son camp. Cette présidentielle discrétion s’explique pourtant, et simplement : le Carolorégien ne désire pas non plus s’abîmer à défendre le peu défendable. Sa première impulsion, nous glisse- t-on à plusieurs sources, l’aurait même plutôt poussé à demander la démission de Jacqueline Galant. Ni le Premier ni l’intéressée ne l’auraient suivi. Il ne l’a donc pas fait. Mais il s’est tu. » Olivier est tout sauf un imbécile. Il ne va pas sortir et raconter partout que Marie-Christine et Jacqueline sont deux merveilles que le monde entier nous envie « , ironise un reyndersien. A charge pour Charles Michel (à la Chambre), pour Denis Ducarme (à la Chambre et dans la presse), et pour le très plastique Richard Miller (dans les débats dominicaux) de la défendre rageusement.
Le Premier ministre est ici presque seul. Il n’est pas sot non plus. Il sait que ses ministres sont en mauvaise posture, mais veut tenir. Donc, il tient. Mais il bout aussi. Donc, il recadre. Et gronde. Marie-Christine Marghem et Jacqueline Galant ont dû, ces dix derniers jours, affronter sa colère. » Surtout Marghem, en fait, dont Charles Michel est de moins en moins content : il lui est tombé dessus, devant tout le monde, après son foirage sur la répartition des efforts à accomplir en matière de production d’énergie renouvelable « , raconte un réformateur du Hainaut.
Le tempérament
Ce réflexe de défense qui ajoute, face à l’adversité, une revancharde agressivité à la fermeture instantanée, tient également au caractère des principaux protagonistes. » Marghem et Galant sont arrogantes et, en plus, incapables de revenir sur leur propos lorsqu’elles ont tort « , diagnostique un parlementaire de l’opposition, qui légitime son constat d’une comparaison : pourtant pas pourvu d’un département populaire, le ministre des Pensions, Daniel Bacquelaine, est, lui, revenu sur une de ses décisions après avoir été bousculé par l’opposition. Deux fois au moins, après une sortie de l’Ecolo Gilkinet pour maintenir ouvertes les permanences-pensions locales et après une alerte du socialiste Laaouej pour éviter à certains pensionnés de voir la hausse de leur retraite annulée par la conséquente augmentation des impôts sur leurs revenus.
Denis Ducarme, » qui sait être condescendant « , lâche un député socialiste, a le verbe ferme du chef de groupe bien dans son rôle. Le tonnerre de sa grosse voix contre les grenades adverses donne un puissant fond sonore au siège réformateur. » Mais en même temps, dans les couloirs du Parlement, il garde un bon contact avec toute l’opposition et veille à tisser des liens : il dit lui-même que personne n’a rien à gagner à trop se laisser embarquer dans la haine que se vouent nos patrons respectifs « , pondère un de ses adversaires.
La stratégie
Justifiée par la configuration politique, renforcée par le tempérament des protagonistes, cette posture de l’assailli combatif aurait-elle également des motifs tactiques ? La défense acharnée de ses deux ministres, » brûlées toutes les deux » (un député MR dixit) peut-elle se révéler profitable ? » En fait, les gros dossiers de la législature pour nos ministres les plus faibles arrivent seulement, comme le survol de Bruxelles, la réforme de la SNCB, la répartition des efforts de réduction de gaz à effet de serre ou le pacte énergétique… « , note un autre réformateur. » Et Charles les ferait sauter maintenant pour que leur successeur saute à cause d’un de ces dossiers pourris ? Il n’est pas fou, et il sait que notre réservoir de ministrables n’est pas inépuisable… »
Ce qui sera décisif, ce sont les prochains sondages. Si le MR plonge, ni Charles ni Olivier ne pourront garder ce cap-là. Ça gronde déjà assez comme ça en interne « , pronostique un reyndersien. Alors viendra, peut-être, la livraison expiatoire d’une otage. Voire de deux. Mais de reddition, jamais. Pas avant 2019.
Par Nicolas De Decker
» Olivier est tout sauf un imbécile. Il ne va pas sortir et raconter partout que Marie-Christine et Jacqueline sont deux merveilles que le monde entier nous envie »